Cette semaine, Moussa Ouane est notre interlocuteur de “Que sont-ils devenus ?” Nos échanges par SMS nous ont permis de comprendre que l’homme doit avoir un comportement honorable basé sur des principes à ne pas transgresser. Dès lors, il nous fallait vraiment faire preuve de ponctualité pour le rendez-vous avec cette icône du 7e art malien. Dès l’entame de notre entretien, nous découvrions un Moussa Ouane ambitieux, de convaincu et sûr de son talent. Il dit avoir puisé ces qualités, depuis son adolescence dans la région de Mopti, dans la culture peule. Pour l’enfant de Bandiagara, le cinéma a un énorme impact sur la société. En plus d’être l’ensemble des arts, il est la meilleure manière de connaître un pays, de susciter un débat, de s’identifier. Bref, un moyen pour valoriser son patrimoine culturel. Comment Moussa Ouane est devenu cet homme des arts et de la culture, journaliste-réalisateur, passionné du cinéma ? Tout a commencé en 1976, à quelques semaines de la sortie de sa promotion. Son professeur d’origine allemande, Arman Dreyfus, lui trace sa voie, en lui conseillant la mise en scène plutôt que la comédie. Au Théâtre national, son premier service d’affectation, après avoir assisté comme stagiaire à la production de la pièce de théâtre “Kaydara”, il en déduit que son avenir n’est pas là. Moussa Ouane sollicite alors un stage à Radio-Mali en 1977. Là, il coïncide avec une formation sur la production radiophonique et produit une émission de vingt-six minutes sur le théâtre, les biennales au Mali. Il hérite d’une opportunité qui fera de lui l’un des meilleurs cadres du cinéma malien. Comment ? Que pense-t-il du bradage de nos salles de cinéma ? Moussa Ouane dans sa nouvelle vie de retraité a regardé dans le rétroviseur pour se remémorer son histoire, dont l’un des tournants date de 1976, sa sortie de l’Institut national des arts comme metteur en scène.
Il est évident que les générations des années 1970-1980 ont été choquées par le bradage des salles de cinéma. Celles-ci étaient des lieux de loisirs pour nous et nos aînés. Pour expliquer cette décision préjudiciable des autorités, Moussa Ouane affirme que l’Etat malien était confronté à des difficultés énormes et était placé sous les fourches caudines du Fonds monétaire international (FMI), autrement dit l’ajustement structurel.
Pour mettre le cinéma dans ses droits, le président Alpha Oumar Konaré, a son accession au pouvoir, a pourtant demandé aux cinéastes de former des groupements d’Intérêt économique. Il envisageait de leur confier la gestion de ces salles. Mais ils n’ont pas pu s’entendre.
Cependant, pour sauver les meubles, le ministre de la Culture, Cheick Oumar Sissoko a attribué certaines salles au Centre national de la cinématographie du Mali, comme patrimoines de l’Etat. L’histoire de ces salles de cinéma nous fait penser aux documentaires projetés à l’époque en avant-première des séances de nuit. Selon Moussa Ouane, ces images, plus de trois milles éléments, sont toujours gardées au CNCM. Malheureusement, elles ne sont pas exploitées, sauf que l’ORTM en choisit par moments pour les reportages de remémoration historique.
Toujours sur la brèche
Faudrait-il rappeler que Moussa Ouane a fait valoir ses droits à la retraite en 2016. Il consacre sa vie de retraité à la rédaction de scénarios, de documentaires en cinq projets, dont la réalisation est entravée par l’insécurité et le retard accusé pour le versement de l’aide à l’industrie cinématographique, promise par l’Etat depuis 2016. Il donne également des cours à l’Ecole supérieure de journalisme et des sciences de la communication. En dehors de tous ces programmes, il fait des consultations et du sport.
Son arrivée à Radio-Mali pour son stage probatoire coïncide avec une formation sur la production radiophonique. Cela lui donne l’occasion de produire une émission de vingt-six minutes sur le théâtre, les biennales au Mali.
Il ne quittera plus Bozola après ce stage, et s’invitera dans l’animation des magazines sur la santé, des reportages sur le terrain, la diffusion de spots publicitaires de 1977 à 1978. Date à laquelle il ambitionne de rentrer à l’INA de Paris sur concours. Problème ! Il n’a pas les deux ans requis dans la fonction publique. Le salut de l’enfant de Bandiagara viendra de l’Etat, qui jugera nécessaire de former des cadres de média sur la mise en scène, la musique, la peinture.
Moussa Ouane, en compagnie de cinq autres, s’envole donc pour Cuba. Il atterrit à l’Institut supérieur des arts de La Havane pour six ans (1978-1984). Cette période, considérée comme une étape importante de la révolution cubaine, a permis aux étudiants étrangers de se former sans problème. Et Moussa Ouane en a profité pour participer aux grandes rencontres et séminaires sur le cinéma, animés par de grands cinéastes, des metteurs en scène et hommes de culture.
Moussa Ouane, en sa qualité de journaliste-réalisateur, fait partie des cadres de média qui ont aidé la télévision malienne à se tenir debout. La RTM, ancêtre de l’ORTM, a été en effet créée avec des journalistes radio (qui devaient s’adapter à l’écran), des techniciens, mais sans metteurs en scène. C’est dire que M. Ouane est revenu de Cuba au bon moment. Seul bémol : il avait tendance à être en avance sur son administration qui avait la crainte du pouvoir.
Une filmographie
Mais, par tous les moyens, il va démontrer que les images doivent parler plus que les commentaires. Parce que l’image est un langage, un code qui doit faire passer un message pour le public. Autre aspect qu’il a voulu magnifier, le côté spectacle de la télé, en le sortant du studio. Entre-temps Moussa Ouane réalise sa première fiction : “Bamako Bama Saba”. Laquelle retrace l’histoire d’un étranger qui tombe amoureux subitement d’une jeune fille à l’aéroport. Mais le temps de remplir les formalités aéroportuaires, la fille disparaît.
Durant tout son séjour, il cherche la dame. En vain. C’est le jour de son retour qu’il rencontre la fille par le plus pur des hasards. Celle lui a fait un signe. C’était trop tard, le jeune homme n’avait plus ce temps, même minimal pour matérialiser son amour vis-à-vis de la jeune dame.
L’arrivée d’un autre réalisateur, Alawi Touré finira par donner raison à Moussa Ouane. Celui-ci a fait le même constat concernant les orientations, le plan d’action de la télé malienne. Le directeur général de la RTM, Younouss Hamèye Dicko est revenu à de meilleurs sentiments et responsabilisera ses deux réalisateurs. D’emblée, il a confié une émission sur le BEC de l’UDPM à Moussa Ouane. Mais comment cela s’est-il passé ?
“J’ai réalisé un reportage de dix-neuf minutes, mon directeur n’était pas du tout d’accord, il l’a jugé trop court. Je lui ai demandé de le visualiser, ce qui l’a convaincu. Heureusement, le reportage a été une réussite, et le BEC a envoyé à l’administration de la télé une lettre de félicitations”.
Maintenant que la confiance et la caution de la hiérarchie sont un acquis, en plus des moyens mis à disposition, le duo Alawi-Ouane se met au travail et produit la première série malienne, diffusée à l’extérieur en 1987 : “Ces Mains qui racontent”. Ce film parle de l’artisanat malien. Après, il réalise un long-métrage sur le Sida en 1989 “Romance pour un amour mortel”.
Avec ses réalisations, sa connaissance de la matière ne fait plus l’objet d’aucune ambigüité, et il continue de se battre pour assurer la renommée à la télévision malienne. Voilà que Moussa Ouane est rejoint par deux autres grands réalisateurs, Djibril Kouyaté et Mahamadou Koly Kéita un homme reconnu pour sa sensibilité musicale afin de donner un éclat particulier aux clips en dehors du studio.
A trois, ils entreprirent beaucoup de projets dans le cadre de la conception pour dynamiser la production locale et donner plus de visibilité à notre culture. Avec les ressources propres de la télévision, ils réalisent des fictions : “Ba Djéné”, “Seko Bouaré”, “Walaha”, des séries au niveau international comme le paludisme et l’habitat au Mali, les instruments de musique en Afrique avec le Cirtef.
En même temps Moussa Ouane va réaliser des documentaires : “L’Esprit de Mopti” (troisième prix et meilleur documentaire au Fespaco en 2000, Vue d’Afrique au Canada, premier prix au festival international de Zanzibar, mention en Italie, et sélectionné pour le festival de Biraous), le documentaire “Inch Allah”. Parallèlement à toutes ces productions, Moussa Ouane ne quitte pas le terrain des reportages, assure la couverture du Fespaco de 1985 jusqu’à sa retraite en 2016, et crée même une émission sur l’ORTM, “L’artiste et sa création”.
Entre 1992 et 1994, il quitte momentanément la télévision, pour occuper le poste d’expert en art dramatique dans un projet. A ce niveau, il produit une quinzaine de pièces de théâtre avec la méthode “Création Collective”. De 1997 à 1997, il est chef de section production à l’ORTM, puis chef de division production-programmation de 2000 à 2005. Moussa Ouane quittera pour toujours la télévision en 2005 après sa nomination comme directeur du Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM) sur proposition du ministre de la Culture Cheick Oumar Sissoko.
Pédagogie
A ce poste, il interrogera individuellement les cadres pour savoir leurs problèmes, leurs préoccupations, leurs perspectives et leurs propositions. A la lumière de ces entrevues, il s’est attelé à changer le statut du CNCM (jadis service rattaché) en direction nationale, et a obtenu des fonds sur le budget du département, pour financer les films comme “Commissaire Balla”, “Le Grin”. Pour la première fois, les acteurs sont motivés par les retombées financières de leurs prestations. Son plaidoyer lors de l’arbitrage budgétaire lui a permis d’avoir une dotation conséquente.
Moussa Ouane dégage trois axes : le paiement de matériels cinématographiques, la création d’un studio-école pour former les techniciens par rapport à l’évolution de la technologie, et la maîtrise de l’outil ; la projection d’un film sur l’histoire du Mali à la suite d’un appel à candidature. C’est de cette manière que les films “Samayana” (prix de l’Unité africaine), “Toile d’araignée”, “Rapt à Bamako”, “Koussaw de Tombouctou” ont été réalisés.
Mieux Moussa Ouane, en plus d’un partenariat avec l’ambassade danoise, a créé le Marché africain de l’image et du son.
Cet espace d’échanges des producteurs de la sous-région pour vendre leurs produits, a été apprécié par la France, mais non soutenu par l’autorité malienne. D’où son échec dans le temps. Moussa Ouane, chevalier de l’Ordre national, est marié et père de quatre enfants dont une fille. Dans la vie, il aime le cinéma, la lecture, les débats et déteste le travail inachevé.
O. Roger
Tél (00223) 63 88 24 23