Le pillage du patrimoine culturel a pris une ampleur considérable. Des objets de valeurs patrimoniales inestimables ont disparu, en toute illégalité du territoire national pour se retrouver dans des collections privées ou des musées occidentaux.
Les futures générations du Mali auront-elles la possibilité de connaître l’histoire de leurs ancêtres ?
Si l’hémorragie actuelle continue, demain se fera sans d’importants fragments de la mémoire de la Nation.
En effet, depuis des décennies, des milliers d’objets d’art se sont envolés du Mali pour atterrir dans des salons privés cossus et des musées ayant pignon sur rue en occident. “Antiquaires” ou trafiquants, collectionneurs ou faux touristes n’hésitent pas, forts de quelques francs CFA à “acheter” de véritables œuvres à de simples quidams. Ces transactions amputent notre pays de ce qu’il a de plus cher : son identité.
Dans le delta intérieur du Niger, 70% des 806 sites archéologiques répertoriés en 1991 ont été “visités”. Djenné Djeno, la première ville de l’Afrique occidentale, fondée trois siècles avant Jésus Christ par des tribus de pasteurs, n’a pu retenir ses ancestrales statuettes de terre cuite. Commencées en 1974 grâce à la découverte de Susan et Rod Macintosh, deux anthropologues américains de l’université Rice au Texas, les fouilles officielles de “Djenné l’ancienne” ont permis de ressusciter vingt trois ans d’histoire malienne.
Des statuettes vendues à plus de 100 millions CFA
Mais cette découverte extraordinaire a suscité d’autres appétits. Très prisées sur le marché international de l’art, les premières statuettes sortent illégalement du pays pour atteindre des prix considérables. Un rapport de l’OIPC-Interpol (Organisation internationale de police criminelle) de 1993 précise qu’une statuette achetée 5 000 dollars à Mopti (environ 3 millions de francs CFA) peut être facilement revendue entre 150 000 et 200 000 dollars en Europe (entre 100 et 140 millions de francs CFA).
L’une des plus importantes collections mondiaes de terres cuites africaines, la collection du comte de Grunne, se trouve dans les caves du musée parisien Dapper, après avoir fait fi de toutes les lois interdisant un tel trafic.
La découverte de ces statuettes représente le véritable point de départ du pillage archéologique. Et, c’est à partir des années 70 que ce phénomène a pris une ampleur considérable.
Aujourd’hui, devant la rareté de tels trésors, les “fouilles” et le “marché » se sont réorientés et ont pris une importance inquiétante.
En effet, certaines populations rurales sont « embauchées » par des trafiquants qui les payent 1 000 Fcfa par jour pour fouiller tout ce qui ressemble à une butte ou un tumulus.
Les objets rituels (masques, statuettes, fétiches, lances…) des sociétés traditionnelles font également l’objet de pillage.
Ainsi, en 1991, la lance sacrée du village de Niénou servant aux cérémonies de la société secrète du Komo avait disparu. Quelques années plus tard, une trentaine d’objets provenant de la falaise de Bandiangara ont été saisis à Mopti : le “propriétaire”, un Européen professeur d’archéologie ancienne, déclarait les avoir reçus en don…
Par ailleurs dans un rapport du Musée national, d’autres ‘exemples permettent de se faire une idée de l’importance de ce phénomène.
“En 1989, 1e Toguéré de Kanoy Boro, près de Djenné, est éventré par une tranchée de 30 mètres de long sur 6 mètres de large et d’une profondeur de 80 centimètres ; la surface pillée était de l’ordre de 600 mètres carrés….
En 1990, le Toguéré Hamma Djam, près de Sofara, est totalement défiguré… Toujours en 1990, le site de Natamatao, près du village de Thial dans le cercle de Tenenkou, a été littéralement pillé: des dizaines de puits très rapprochés, profonds de 2, voire 4 mètres ont transformé le site en une véritable carrière…
Le site de Gao Sané donne l’image d’un gigantesque gruyère…
Ces faits ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.
Les services du patrimoine culturel ne peuvent souvent constater que des sites entiers ont été métamorphosés en d’étranges taupinières : ils ont été grattés, fouillés, minés, sapés, ne formant plus que des champs de puits de sonde, voire de galeries.
Les objets disparus ne sont que rarement retrouvés. Et, lorsqu’ils le sont, ils coutent si cher prix que le musée national ne peut les « racheter”.
Les responsabilités sont multiples.
En bas de l’échelle, on trouve des pilleurs agissant individuellement ou organisés en réseaux. Puis viennent les “antiquaires” installés dans les villes importantes (Bamako, Mopti…). Ils sont en relation avec les hommes de terrain et vendent des quantités impressionnantes de pièces secondaires (non originales) mais peuvent vendre également des pièces anciennes à des collectionneurs occidentaux fortunés.
Du côté de la loi, les textes sont pourtant formels. La loi n° 85-40 AN-RM du 26 Juillet 1985 relative à la protection et à la promotion du patrimoine culturel national précise que « l’exportation de tout bien classé est interdite » (article 24), que « les fouilles et prospections archéologiques sont soumises à l’autorisation de l’autorité compétente » (article 33) et que « la commercialisation et l’exportation des biens non classés sont soumises à l’autorisation de l’autorité compétente » (article 35).
Quant à la loi n° 86-61 AN-RM du 26 Juillet 1986, elle définit la profession de négociant en biens culturels. Mais le Mali fait plus d’un million de kilomètres carrés et ses frontières sont communes avec sept pays…
La lutte contre le pillage passe par un travail de sensibilisation national et international.
Les générations d’aujourd’hui et de demain doivent savoir retenir leur passé et sauver leur mémoire. La mémoire doit pouvoir se regarder et se contempler. Un peuple ne peut vendre son âme. Ni la laisser voler par des gens sans scrupule qui se fourvoient dans la basse matérialité et dans l’unique et vil appât du gain. Il existe des choses trop importantes pour être « vendues » comme de simples objets. Ce sont les fragments de l’histoire et de l’identité d’une Nation.
Malick Camara