La jeune artiste peintre Habibatou Yaye Kéïta est l’une des étoiles montantes des arts plastiques au Mali. Sa particularité réside dans son engagement pour la préservation d’un pan important de la culture africaine et malienne : les tresses traditionnelles.
Rien qu’enveloppé dans un brouillard épais, le soleil dans sa course matinale vers le zénith projette quelques rayons timides sur la terrasse du restaurant Djoliba, à la plage bercée par la douceur du fleuve Niger. Parmi les artistes à interviewer ce matin-là dans le cadre d’une formation en journalisme culturel organisée par le Projet Donko Ni Maaya, une jeune dame attire les regards à travers sa coiffure et sa tenue traditionnelles. Il s’agit d’Habibatou Yaye Keita, artiste plasticienne et membre du collectif Sanou’Arts.
Devant la caméra, la jeune artiste semble timide, peu bavarde. Son air serein empreint d’un calme naïf fait sans doute sa force car dernière cette apparence se cache une artiste talentueuse, idéaliste et engagée non seulement pour la préservation des traditions africaines, mais aussi contre les violences faites aux femmes. Sa thématique de prédilection : les tresses.
Les tresses constituent un pan important de la culture africaine et malienne : “Les tresses ne sont pas seulement une référence à l’Afrique, mais aussi un signe d’une contemporanéité du continent”, nous glisse l’artiste. Si Habibatou vient de décrocher sa licence en arts plastiques au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédias Balla Fasséké de Bamako (CAMM-BFK), elle n’est pas méconnue du landernau artistique malien. La démarche artistique de la jeune dame l’a vite révélée, dès sa toute première exposition collective en 2018 à l’Institut Français dans le cadre du Festival africain des images virtuelles (Faiva) alors qu’elle était encore étudiante en 1ère année au CAMM.
Le choix des arts pour la jeune dame est loin d’être fortuit. En effet, d’un père décorateur de maisons, Habibatou hérite de l’art. Mais “je dirais que l’art est inné chez moi parce que depuis l’enfance j’aimais dessiner et sans effort j’impressionnais mon entourage”, se remémore-telle. Elle ajoute : “Déjà à l’école fondamentale, je faisais les croquis des professeurs au tableau pour les autres élèves”.
Cependant, la jeune dame n’envisageait pas faire carrière dans les arts, mais plutôt en médecine car “je ne savais qu’on pouvait faire carrière dans le dessin”, dit-elle d’un air étonné. C’est ainsi qu’après son Diplôme d’études fondamentales (DEF), Yaye s’est intéressée à la science. N’eut été l’apport de son père, elle allait passer à côté de sa plus grande passion professionnelle : “Il m’a convaincue du contraire en m’encourageant à passer le concours du Conservatoire des arts en 2017 “, précise-t-elle.
Comme toute jeune femme qui décide de faire carrière dans les arts, Habibatou n’échappera pas à la règle inventée par notre société. Règle selon laquelle la jeune fille n’est pas faite pour les métiers des arts ou encore l’art est un signe de dépravation pour la jeune fille. “J’ai eu des difficultés sur le plan social et familial. Si mon père est le seul à comprendre ce choix, les autres membres de la famille n’étaient de cet avis”, rappelle la jeune artiste qui, pour éviter le regard de la société, décide de peindre la nuit. Mais, renchérit-elle : “Vu que je sors la nuit pour aller travailler à l’atelier, beaucoup pensent que je trouve juste un prétexte pour sortir la nuit”. Elle ajoute : “Ces préjugés ne m’empêchent pas d’avancer. Au contraire, je travaille dur pour leur démontrer le contraire”.
Cela marche plutôt bien car à jeune artiste connait un début de carrière prometteur sur le plan national. Rien qu’en 2020, Habibatou a participé a plus de 5 expositions, notamment au restaurant Bla-bla, à Taxi Bamako et à Siif’art.
La peinture acrylique, la laine et la colle, voilà les matières qui entrent dans le travail de la jeune artiste dont les œuvres sont essentiellement inspirées des tresses traditionnelles. Ses tresses renvoient sans ambiguïté à l’Afrique. Une manière de nous rappeler que le continent est le berceau de l’humanité. Sur ses toiles mi-figuratives, Keita montre que la coiffure nous donne une identité. Elle raconte une histoire. “Les tresses parce que je suis coiffeuse. Et quand j’ai commencé à peindre, je me suis dit pourquoi ne pas choir les tresses comme médium. Cela a été facile pour moi et aujourd’hui les gens apprécient cette thématique qu’ils jugent originale”, nous explique la jeune artiste qui a été également influencée par la jeune actrice et artiste ivoirienne Laetitia Ky. Cette dernière réalise des sculptures à partir de ses tresses. Aussi Habibatou se bat, à travers son art, contre les violences faites aux femmes.
Aujourd’hui, l’artiste assume son choix à voix haute et conseille à ses jeunes sœurs de ne jamais se détourner de leur passion à cause du regard de la société car, selon elle : “L’art n’a pas de genre. Qu’on soit homme ou femme, on peut réussir dans les arts”.
Youssouf KONE