Je cris et cris de plus en plus fort, mais ma voix ne porte pas plus loin que le son des haut-parleurs accrochés à mon minaret !
Des signes j’en fais et même des grands gestes à ma communauté, mon quartier, ma ville, au pays et au monde. Malheureusement mes gestes et signes sont demeurés invisibles et insignifiants parfois aux fidèles qui utilisent régulièrement mes locaux, à mes visiteurs et aux usagers des différentes rues qui m’entourent.
Enfin patiemment et sûrement j’attends, année après année, l’oubli et le manque d’intérêt de mes contemporains et de mes compatriotes avoir raison de mon existence si fragile et si éphémère.
Des larmes chaudes et ensanglantées noient déjà mes yeux et obscurcissent ma vue, qui voie venir à grand pas ce jour ou du présent je passerais au passé. Sur une épitaphe on lira “Ici était un bien national, un témoignage certains du savoir-faire de nos ancêtres”.
Hélas ! Avec mon déclin, je dégagerai de ma masse de terre l’horizon de ma cité pour laisser place aux multiples étages en béton et agglomérés de ciment, une valeur sûre pour une bonne partie de mes contemporains d’aujourd’hui.
Chef d’œuvre Architectural ; Hier ; Je l’étais, ce chef d’œuvre d’architecture de terre au cœur des terres aménagées de l’Office du Niger, une terre de rencontre et de brassage des Peuples de Cultures et de Savoir-faire varié et multiples. J’ai émerveillé par un heureux hasard des hommes de Culture sillonnant et admirant le savoir-faire des peuples réunis par l’Office du Niger, le rêve de l’ingénieur en hydraulique Emile Belime ?
Cette découverte ma couronnée du Prix Aga-Khan d’Architecture de terre en 1983. Avec ce trophée, j’ai rayonné à travers le monde et ai fait la fierté de mon Peuple, ma Patrie, ma Nation et mon Pays le Mali. Aujourd’hui, je suis orphelin de : mon Bâtisseur le M’barey Lassina Minta, natif de Djoboro, Djeneké et fils de Mbarey Djeneké, Wottoro Lassina ce bienfaiteur qui a soutenu ma construction, l’iman Boubacar Touré cet homme de Dieu qui a bénit mes travaux, d’El hadj Modibo Diop enseignant de son Etat, membre du comité de gestion témoin et rapporteur de plusieurs faits me concernant, plusieurs fidèles anonymes qui ont adorés dans mon sein le Dieu Eternel et Miséricordieux, visiteurs ou de simples passants émerveillés par ma silhouette.
Je suis aujourd’hui l’ombre de moi-même, un vestige presque de ce chef d’œuvre d’antan. Il y a 23 ans, soit en 2001, je fus reconnu d’intérêt historique et en conséquence ai été jugé digne de figurer sur la liste d’inventaire du patrimoine national. Sept années après mon inscription sur la liste d’inventaire, soit en 2008, j’ai été élevé par décret n°08-670/P-RM du 30 octobre au rang de patrimoine national.
En 2021 mon fidèle gardien, qui veillait sur ma santé structurelle et prenait le temps prévenir et réparer mes dégradations, le M’barey Adama Minta fils de Lassana Minta mon bâtisseur a été rappelé par l’Eternel le Créateur suprême, le Dieu Eternel et Miséricordieux.
En 2022 tout près, mon minaret occidental qui faisait ma spécificité à travers le delta, le Mali et le monde s’est effondré sans faire de victimes et de bruits. Cet effondrement par la suite emporta une bonne partie de mon bâtiment annexe ouest réservé à la prière des femmes
Enfin les pluies diluviennes de cette saison 2024 m’ont laissée avec des traces de diverses gravités sur toutes mes faces.
Fidèle croyant de à travers le monde, Protecteur de patrimoine à travers l’humanité ! La nuit succède au jour et le jour succède à la nuit. Le soleil se lève, brille et laisse le règne à la nuit ténébreuse. Témoins muet mais sensible, à l’image d’un grand fromager touffu, Jours après jours, mois après mois, année après années et jusqu’à mes derniers souffles, je veux être au service et à la disposition des fidèles croyants pour leurs permettre d’accomplir dans les meilleurs conditions les cinq prières obligatoires.
Ombre de moi-même, cabosser, dénaturer et fragiliser pour combien de temps serai-je encore à mesure d’assurer cette noble mission ?
Sébastien Diallo
(architecte)