Naré Famagan Magassa est un jeune artiste peintre malien qui fait des exploits dans son métier. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous explique son art ainsi que les difficultés que le secteur traverse. Il fait également mention de ses projets.
Le Pays : comment se porte l’art en cette période de pandémie ?
Naré Famakan : de mal en pis et ce n’est pas un euphémisme. Le covid-19 ne fait qu’accentuer une situation déjà pas très bonne en Europe notamment en France. Toutes les expositions sont ajournées, reportées voire annulées. Il pèse de grandes incertitudes sur de grandes foires telles que AKAA ou ici en Afrique la biennale de Dakar. On dit même qu’un tiers des galeries françaises ne se relèveraient pas de cette crise. Pour les artistes africains qui dépendent pour beaucoup du marché international, le manque à gagner est important. Cette situation devrait obliger tous les professionnels de l’art à revoir leur stratégie. Les artistes ont également leur mot à dire sur un système qui ne repose que sur la valeur argent.
Dans une interview précédente, accordée à un média de la place, vous disiez que « l’art est une vocation et un art de vivre ». Expliquez-nous ce que vous vouliez dire.
L’art est un métier et non un loisir, mais c’est également une vocation née d’une passion. On ne peint pas comme on fabrique des voitures ou comme on assure des gens derrière un bureau. Il y a au départ une pensée, une réflexion sur ce que je sais ou ne sais pas faire, sur la dimension au sens artistique du terme du message que je veux transmettre au public. L’artiste doit donc être en capacité de susciter des émotions, des questionnements. S’il n’y a pas de passion, il n’y a pas de vocation. L’artiste est également un observateur, un témoin de son temps, quelqu’un qui est capable de prendre suffisamment de recul pour analyser la société, l’actualité avant de se la réapproprier et la restituer sur un tableau ou dans une sculpture. Même le photographe fait œuvre d’art, car il doit capter le moment décisif, l’acte immédiat pour en extraire la force de son témoignage. Oui c’est également un art de vivre, car notre positionnement fait de nous des « privilégiés » non pas sur le plan matériel ou financier, car de nombreux artistes vivent dans la misère, mais parce que nous jouissons d’une certaine liberté pour dire des choses que d’autres ne peuvent pas exprimer.
Votre première série, c’est les Korédougas. Pourquoi ce nom ?
Les Korédougas sont des personnes bel et bien réelles. Elles constituent une société secrète dont l’objectif est de créer du bien vivre ensemble, de régler des conflits entre citoyens, apaiser les esprits. Ce sont des sages vénérés et intouchables qu’on ne trouve qu’au Mali. Ils ont une autre particularité, celle d’accomplir des rites au cours de longues fêtes où la danse atteint une certaine folie. Pour cela ils ont des accoutrements extravagants superposant tissus, plumes, objets divers, bijoux, lunettes… Dans cette première série de tableaux, j’ai voulu leur rendre un hommage appuyé tout en leur donnant une visibilité au Mali et à l’extérieur du pays.
À travers l’art, vous voulez relier le passé, le présent et le futur. Comment pensez-vous réussir cette tâche ?
Oui, car on ne construit pas le futur en faisant table rase du passé. Un pays qui renierait son histoire, ses traditions commettrait une faute irréparable. Il est donc important que nous artistes soyons des passeurs du temps avec nos propres sensibilités, nos médiums respectifs, notre regard, notre part de vérité comme de subjectivité. L’Afrique est un continent d’avenir et les artistes de ma génération comme nos Maîtres et ainés doivent également être des acteurs de cette transition, montrer la voie. Hier je peignais des Korédougas pour dire « attention ils appartiennent à notre patrimoine, à notre culture et nous devons les protéger au même titre que toutes les minorités ».
Aujourd’hui je suis sur un autre projet plus iconoclaste que je porte avec une certaine délectation. Je m’amuse tout en pointant du doigt les turpitudes de notre société. Mais ces travers existaient également hier. Cela s’appelle « SOIFS ». Mais ces soifs désaltèrent davantage l’esprit que le corps. Et cet aller-retour permanent entre passé, présent et futur, je le pratique également dans le cadre d’un projet très original « OPHELIA AFRIKA ».
J’ai eu la chance d’avoir été sélectionné pour donner ma propre vision du personnage féminin mythique du « HAMLET » de Shakespeare. Nous sommes 8 artistes africains à participer à ce projet qui sera exposé en France avant de tourner en Afrique. Entre le XVIe siècle et 2020, entre l’Angleterre et l’Afrique il n’y a qu’un pas !
D’où vient votre inspiration lors de la conception de vos œuvres ?
Cela dépend des circonstances, du moment, de l’humeur, de l’actualité. Cela peut naître dans la rue, au cours d’une conversation, d’un rêve ou même d’un cauchemar, d’un mot, d’une rencontre, d’une expérience.
Pour « SOIFS », le projet est mené en binôme. Je travaille directement avec mon agent Floréal Duran, car il comporte une partie littéraire. Chacune de mes œuvres donnera lieu à un texte qu’il écrira. Il dit que je l’inspire beaucoup et j’en suis moi-même étonné. Il s’agit d’une belle collaboration. J’incite les artistes à s’ouvrir au monde, aux autres, ils en retireront des expériences positives. Même si la peinture est un exercice solitaire, elle se nourrit de tout ce qui nous entoure, des gens comme des événements. Mon agent me laisse une grande liberté, mais il sait également être présent quand il le faut. C’est important pour un artiste de se sentir accompagné, soutenu.
En tant qu’artiste-peintre, dites-nous la place qu’occupe l’art au Mali ? Les artistes sont-ils considérés par l’État ? Quelles sont les difficultés que vous traversez ?
Le Mali a toujours été un pays d’art, un pays qui a donné naissance à de grands créateurs. Pour ne parler que de l’art contemporain, des artistes comme Abdoulaye Konaté, Cheick Diallo ou le regretté Malik Sidibé ont ouvert la voie à d’autres créateurs et on ne peut que s’en féliciter. Amadou Sanogo, Ibrahim Ballo, King Massassy et bien d’autres ont suivi.
À travers les ateliers et collectifs, il y a une dynamique qu’il faut conforter. Mais la crise est là qui touche plus durement certains artistes que d’autres. Les plus jeunes, les moins connus qui débutent ont du mal à émerger faute de galeries et surtout de collectionneurs dans le pays d’où cette quasi-obligation de s’exporter pour survivre.
Nous manquons de musées dédiés à l’art contemporain, d’acheteurs publics. L’État devrait assumer un rôle de facilitateur, proposer des mesures fiscales pour les acquéreurs, favoriser la création d’espaces culturels. Cela passe au préalable par une éducation artistique dès le plus jeune âge. Mais nous aussi artistes devons être force de proposition. Il faudrait que l’État organise des états généraux de la culture ou crée une instance de dialogue pour que l’art soit mis au cœur de la société.
Qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui, selon vous, pour valoriser l’activité des artistes maliens ?
J’appartiens à un collectif, SANOU’ART, mais je voudrais attirer l’attention sur la situation souvent délicate de tous les ateliers qui vivent uniquement par la bonne volonté de leurs membres qui cotisent pour payer les loyers et autres charges. Malheureusement tous les artistes ne vivent pas de leur art et souvent cela repose sur les moins démunis. Si le principe de solidarité fonctionne, il a vite atteint ses limites.
Il serait judicieux que le ministère de la Culture se penche rapidement sur cette question, car il dépend de l’avenir de ces structures de plus en plus fragilisées surtout en période de crise pandémique. De même qu’il y a des rencontres de la photographie ou Ségou Art qui sont des manifestations de haut niveau, il faudrait une biennale qui place Bamako comme une capitale de l’art. Il ne s’agit pas de concurrencer Dakar ou de le copier, mais l’idée est à creuser. Et puis il y a un sujet épineux, la difficulté pour les artistes d’obtenir des visas pour la France ou ailleurs. Si les œuvres voyagent, il serait aussi judicieux que les artistes qui les ont créées puissent présenter leur travail et aller à la rencontre de leur public. C’est donc aux États de mener des négociations dans ce sens.
Dans la situation que traverse le monde, que peut être la contribution des artistes ?
Comme je le disais tout à l’heure, nous sommes des témoins, des passeurs et des porte-voix. Il n’y a pas que les chanteurs qui sont capables de dire des choses. Nous aussi artistes plasticiens, photographes prenons part à ce décryptage des informations. Si le monde va mal, nous devons en parler et expliquer pourquoi, avec tout le recul nécessaire. Si le monde produit de bonnes choses, il faut également les mettre en avant. Cela nous rend davantage crédibles.
Bien sûr, il faut faire la distinction entre la part de subjectivité que nous portons tous en nous et le bien-fondé du discours que portent nos œuvres. Les images, les peintures contiennent également des mots qui parfois en disent plus que les grands discours. Et puis nous artistes africains avons beaucoup à dire sur notre propre continent, sur sa transition économique, sociétale, écologique, culturelle. Nous devons être porteurs de ces mutations et montrer que nous sommes ouverts d’esprit et de cœur.
Il est temps que nous retrouvions cette liberté de parole, de pensée. L’art africain doit s’affranchir de la vision néocoloniale que certains galeristes perpétuent en spéculant sur notre travail. Nous ne sommes pas que des produits, mais des êtres humains.
Quel sera votre dernier mot ?
Nobody is perfect in an imperfect world! (Personne n’est parfait dans un monde imparfait !)
Réalisée par Fousseni Togola