L’immigration clandestine, les colporteurs, la joie de vivre sont entre autres des thématiques abordées dans les œuvres du jeune artiste malien Mohamed Dembélé. Un artiste conceptuel, qui dans un style réaliste adossé au figuratif fait véhiculer des messages ayant trait à l’actualité de la société malienne et africaine.
L’art contemporain notamment les arts plastiques connaissent un essor remarquable au Mali ces dernières années grâce à l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes. Cet engouement autour de cette catégorie d’art s’explique en partie par l’ouverture du Conservatoire des Arts et Métiers multimédia Balla Fasséké de Bamako en 2004 qui vient insuffler un nouveau dynamisme au domaine des arts au Mali à travers la formation et la révélation de nombreux talents.
Parmi les artistes qui incarnent cette nouvelle génération figure le jeune Mohamed Dembélé, une des figures montantes des arts plastiques au Mali. Avec déjà une vingtaine d’expositions nationales et internationales à son actif, Mohamed Dembélé se positionne aujourd’hui comme l’un des talents les plus prometteurs du microcosme artistique au Mali. L’artiste au talent intrinsèque s’exprime sur des thématiques sociales et d’actualité soutenues par une démarche réaliste adossée au figuratif.
Membre du collectif de jeunes artistes plasticiens maliens, Tim’ARTS, Mohamed Dembélé est un jeune artiste peintre au talent inné qui a reçu l’art en héritage : “je crois que le dessin est un don que j’ai hérité de mon père qui était un excellent dessinateur. Mais face au refus de son père, feu mon grand-père, à embrasser une carrière artistique, il a dû laisser tomber”, nous explique Mohamed qui commence à dessiner depuis l’école primaire alors qu’il ignore encore que ce qu’il fait s’appelle l’art : “En classe de 6e, je faisais des dessins pour des camarades de classe contre quelques pièces d’argent. Je faisais des portraits des amis et des proches du quartier et décorais des maisons. Des structures aussi demandaient mes services”, se remémore l’artiste qui, fan du dessin animé à la télé, pouvait, à l’en croire, reproduire sur papier tous les personnages du célèbre film Dragon Ball Z.
Accepter le destin
Pourtant encouragé par ses amis et proches y compris ses parents à s’inscrire à l’Institut national des arts de Bamako (INA) après son Diplôme d’études fondamentales (DEF), le jeune Mohamed pour qui ce métier était “trop facile pour être une vocation de carrière”, décide de suivre les traces de ses ainés en choisissant le lycée car se voyait pratiquer un métier ordinaire comme un banquier ou un avocat, en costume, cloitré dans les bureaux.
Cependant, sa passion pour cet art ne s’estompe pas. Il continuait ses dessins au lycée où il avait toujours la meilleure note à ses dires. Après son baccalauréat en 2009, Mohamed s’inscrit à la Faculté des Sciences économiques et de gestion de Bamako (Fseg). “En plus du dessin, j’aimais les matières scientifiques et je voulais faire une carrière en économie. Je considérais l’art comme un exutoire, mais pas un métier à vocation professionnelle”, ajoute-il. Comme on le dit souvent, on a beau chasser le destin, il revient toujours au galop. On est obligé souvent bon gré mal gré de l’accepter et de s’y adapter. Ainsi, après deux ans passés à la Fseg, Mohamed se décide enfin à rejoindre le Conservatoire des Arts et Métiers Multimédias en 2012 où il ressort avec un Master en arts plastiques couronné d’une Mention bien. Son thème de mémoire de fin d’étude portera sur “La génération chauve-souris”. Une thématique qu’il continue toujours d’expérimenter dans ses créations. Avec déjà une vingtaine expositions à son actif sur le plan national et international, le talent du jeune artiste n’est plus à démontrer dans le monde des arts plastiques au Mali. Ses œuvres ont été exposées dans presque tous les espaces d’exposition au Mali comme Ségou’Art, le Musée du district de Bamako, la Galerie Medina, Tim’Arts, Bla-bla de Bamako, Siff’Arts, la Galerie Tyfana, entre autres. Il participe aussi au Festival africain d’images virtuelles artistiques itinérant (Faiva) et à la 11e édition de la photographie. Momo comme on le surnomme a également a participé au 31e salon des artistes pour liberté à Angers (France) en 2016.
Aussi, l’artiste n’est pas étranger non plus au monde de la caricature au Mali. Pour preuve, il est lauréat du 1e prix du concours de la 3e édition du Festival international de la caricature et de la Bande dessinée de Bamako (Fescab tenue en 2020 dans la capitale malienne). Auparavant, en 2018, il remportait le 2e prix dudit festival. Cependant, l’artiste affirme n’avoir pas de vocation réelle dans la caricature, même s’il reconnait que “si on me demande mes compétences en caricature pourquoi ne pas accepter. Mais la priorité est donnée à la peinture”, précise-t-il.
“Le colporteur”
Peinture acrylique, colle blanche, tissus usés et pinceaux sont, entre autres, les matières qui rentrent en jeu dans le travail de l’artiste : “Je taille mes propres pinceaux afin d’obtenir la forme adéquate pour le contrôle de mes traits”. Sa technique qui aboutit à cette multitude de traits “vibrants” aux couleurs variées est un travail de génie, qui demande de la précision et de patience. Mais le résultat est captivant et agréable à observer. Des toiles figuratives plongées dans les méandres du quotidien de la société malienne et africaine.
Les œuvres de Mohamed sont fascinantes. Leur richesse colorée capte l’intention du visiteur et le transporte dans un univers qui lui est accessible sans grands efforts. Le violet, le rouge, le jaune, le vert et le bleue sont parmi les couleurs utilisées sur les toiles de l’artiste. Toutefois, le bleue est sa couleur vedette : “Le bleu symbolise la fraicheur et la pureté. Il inspire le calme intérieur, favorise l’imagination et le rêve. C’est aussi l’allégorie de la paix”, explique-il.
Dans sa démarche artistique assez atypique et post-impressionniste, l’artiste aborde des thématiques aussi réalistes que d’actualité. Ce qui fait de lui un artiste conceptuel. Yala-yala (les marchands ambulants) est l’un de ses thèmes phares du moment. Les pratiquants de ce métier de colporteur qui arpentent les rues de le capitale malienne sont confrontés à plusieurs difficultés, notamment les injures, le vol à mains armées et la circulation dangereuse. Un métier qu’ils pratiquent au risque de leur vie : “Les personnes qui pratiquent ce métier sont courageuses. Ils sont hommes et femmes qui font chaque jour des kilomètres. Tout cet effort est fait pour gagner leur vie ou subvenir aux besoins de leur famille. Par ce thème je veux attirer l’attention des populations sur ses marchands afin qu’on les traite avec humanisme car ce sont nos frères et nos amis”, interpelle-t-il.
Certaines réalités moins reluisantes de la société malienne sont également évoquées dans les œuvres de Mohamed comme le Grin, un groupe informel de jeunes qu’on voit fréquemment assis autour du thé dans les rues de Bamako. Cette thématique fait partie de sa célèbre série intitulée “Génération chauve-souris” dans laquelle l’artiste dénonce la métamorphose de la jeune génération malienne qui échoue souvent à la frontière des valeurs sociétales de leur communauté et la culture moderne dite occidentale. “Si vous prenez la morphologie de la chauve-souris, elle n’est ni oiseau ni fauve. Elle est au milieu. Elle ne fait pas de vol direct. En observant notre génération, on pense à la chauve-souris. Et contrairement à la chauve-souris, beaucoup de jeunes échouent sur le chemin car ne sachant pas où aller.”
De nos jours, l’immigration clandestine est un thème sensible dans les pays africains et à travers le monde. Elle n’échappe pas aux œuvres de Mohamed. L’artiste intègre cette thématique d’actualité dans sa démarche pour sensibiliser sur les conséquences du phénomène tout en invitant les jeunes africains à rester dans leur pays où ils peuvent construire la vie dont ils rêvent au-delà de la méditerranée qui n’est réalité qu’une utopie.
Mohamed Dembélé ne cesse de confirmer son talent dans le monde artistique au fil des années au Mali et à l’international, comme en témoigne sa récente participation au 10e salon international d’arts plastiques Arbustes tenue du 26 septembre au 4 octobre dernier à Mantes-la-Jolie près de Paris (France).
Youssouf KONE