Ma conscience de militante est née avant l’indépendance de notre pays. Elle date de la période coloniale.
« Un jour de 1958, le Général De Gaulle a effectué une visite au Soudan Français, notre pays. Nous étions sortis pour l’accueillir. En lieu et place de la Marseillaise qu’il fallait entonner, nous avons, avec d’autres camarades du lycée, dont le regretté Ibrahim Ly, crié : « A bas De Gaulle, à bas la France, Indépendance ! » Bien évidemment, nous avons été punis et privés de sortie, avec même des répercussions sur nos repas. Ces sanctions n’ont fait que galvaniser nos cœurs. Nous ne supportons plus les injustices liées à cette période de domination coloniale. Nous allons, par exemple, passer le bac sans connaître l’histoire du Soudan qui, semblait-il, n’était pas digne d’être enseignée.
Nous avons quand même eu la chance que le doyen Abderahmane Baba Touré soit un de nos professeurs au lycée. Il a été déterminant dans notre initiation à la vie militante. A ses élèves, il a appris beaucoup de choses. C’est ainsi que, malgré les interdictions de l’administration coloniale, nous nous sommes retrouvés à militer à ses côtés, au sein du Parti africain de l’indépendance (PAI).
Après le bac, je suis allée à Dakar où j’ai retrouvé d’autres membres du PAI.
A l’université, j’ai donc milité dans des structures du parti. Puis, il y a eu la Fédération du Mali et De Gaulle est encore venu pour imposer aux colonies d’entrer dans sa grande communauté française. Avec d’autres camarades, nous avons même réussi à l’époque à pénétrer dans le palais du gouverneur de l’AOF, où se trouvaient, entre autres, Modibo Keïta, Senghor, Mamadou Dia et Tidiani Faganda Traoré. Nous les avons implorés de ne pas accepter cette communauté.
Ensuite, il y a eu la Fédération et la trahison de Senghor. La Fédération, une fois démantelée, avec des membres du PAI, dont toujours Ly Ibrahim, nous sommes allés accueillir Modibo Keïta et sa délégation à la gare de Kayes. On scandait : « Vive Modibo, à bas la France, Indépendance ! » Tout le monde était ébahi, mais les gens ont repris les slogans avec nous. Nous avons accompagné ainsi Modibo Keïta jusqu’au fronton de la gare, où il a pu faire son discours, qui a passionné les Kayésiens.
Quelques années plus tard, munie de mes diplômes, je me suis retrouvée Professeur à l’ENSup, aux côtés d’Abderhmane Baba Touré, Directeur. Cela nous a permis de continuer à sensibiliser les étudiants, à les mobiliser pour notre émancipation. A l’époque, hormis quelques rares Africains, la plupart des professeurs étaient européens.
La lutte des femmes pour la liberté et l’émancipation du pays est antérieure à 1991. Dans la bataille de la décolonisation, les femmes ont été à l’avant-garde, travaillant à la base pour mobiliser les populations derrière les leaders politiques soudanais.
En 1991, cet engagement a pris une tournure plus tragique. Car, sorties pour s’interposer entre l’armée et les enfants, elles ont été les premières victimes des tirs et des grenades.
A la chute de Moussa Traoré, je me suis fortement engagée aux côtés de l’ADEMA, qui, d’association, est devenue parti, pour défendre les idéaux qui allaient le conduire au pouvoir. Avec Alpha Oumar Konaré, le candidat de l’ADEMA, on a préparé la campagne électorale, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, partout où il y avait des Maliens.
A l’issue de sa cérémonie d’investiture, le nouveau président a demandé à mon mari de me laisser venir l’aider en prenant le poste de Directeur de cabinet.
J’ai alors quitté le Ghana, où mon mari était fonctionnaire des Nations-Unies, pour venir travailler aux côtés d’Alpha, auquel je suis en outre liée par des liens de parenté : la maman d’Alpha étant une cousine de ma mère, toutes deux issues de la famille royale des Diallo de Médine. Nos pères aussi étaient très proches. C’est ainsi que je me suis mise au service du Mali démocratique».
Source : Mars des femmes 1991
Chronique d’une révolution malienne, Cauris livre