Dans le cadre de la promotion de la lecture comme facteur de développement au Mali, nous avons jugé utile de nous intéresser à un ouvrage intitulé : « L’Urne et le Glaive ».
Ce livre de 418 pages, publié aux Editions Jamana, est écrit par Amadou Aliou N’Diaye, ancien Président de la Cour Suprême du Mali. C’est un véritable réquisitoire pour la démocratie et les droits de l’homme. L’auteur, en juriste chevronné, n’a pas hésité à tremper la plume dans la plaie afin qu’elle soit pansée au grand bénéfice de nous tous. Dans ses réflexions très approfondies, Amadou Aliou N’Diaye décortique avec minutie les concepts sociopolitiques et judiciaires du Mali de 1960 à la troisième République. En ouvrant ce livre, dès les premières pages, trois choses nous frappent l’esprit. Primo, l’auteur s’incline pieusement à la mémoire de son père ; secundo, il rend hommage à feu François Mitterrand, l’homme de la Baule et de la démocratisation ; tertio, il ouvre le débat par cette citation : « La transparence dans la gestion des affaires de la Nation est la clef de voûte de tout développement économique lorsqu’elle est réduite à un état de pur slogan ou de verbalisme creux ; dans ce cas, la démocratie s’en va à l’eau emportant avec elle l’espérance d’un éventuel Etat de Droit. Faisons en sorte qu’au Mali, la transparence soit une réalité toujours vivante et quotidienne ! ». C’est ainsi qu’en avant-propos du livre, à la page 9, l’auteur invite les citoyens maliens et surtout ceux qui détiennent une parcelle du pouvoir de l’Etat à bien méditer cette réflexion, extrait sur la vie de Machiavel, en espérant qu’ils pourront en relever le défi. Il cite : « Aristote m’a enseigné que l’essentiel de la sagesse est de se tenir dans un juste milieu. – Seriez-vous sans ambition ? – Loin de là, Monseigneur, sourit Machiavel. Mon ambition est de servir mon Etat de mon mieux. – C’est précisément ce qu’on ne vous permettra jamais de faire. Vous savez mieux que quiconque que dans une République, le talent est suspect. Un homme peut accéder aux plus hautes fonctions si sa médiocrité ne menace aucun de ses collègues. C’est pourquoi une démocratie est gouvernée non pas par les hommes les plus compétents, mais par ceux dont l’insignifiance rassure les autres. – Savez-vous ce qui ronge le cœur d’une démocratie ? Il regarde son interlocuteur comme s’il s’attendait une réponse, mais Machiavel se tut. – La jalousie et la peur. Les hommes mesquins qui sont en place se jalousent les uns les autres et plutôt que de voir l’un d’eux gagner en considération, ils l’empêchent de prendre telle mesure dont dépendent, peut-être, la sécurité et la prospérité de l’Etat ; et ils ne sont jamais tranquilles parce qu’ils savent que ceux qui les entourent ne reculeront devant aucun mensonge, aucune fourberie pour les supplanter ».
En guise d’introduction, à la page 11, l’auteur écrit que trois décennies environ après l’accession de l’Etat du Mali à la souveraineté internationale, qu’il convient de jeter un regard rétrospectif sur le chemin parcouru, de circonscrire tous les problèmes sociopolitiques et judiciaires ayant jonché ce parcours, d’y réfléchir, de les analyser, d’en dégager les causes intrinsèques et extrinsèques afin de mieux percevoir les solutions qui devront dans l’avenir, retenir l’attention de ceux qui auront pour charge de conduire la République vers son destin. De cette analyse, sa conviction l’autorise à affirmer que les causes de l’ensemble des problèmes sociopolitiques et judiciaires, puisent leurs sources profondes tant dans « l’écart considérable, pour ne pas dire le gouffre, qui sépare les textes de la pratique constitutionnelle et politique », que dans le régime du Comité Militaire de Libération Nationale (CMLN) qui a lourdement failli à la mission dévolue à l’Armée Malienne. Pour lui, l’Etat est un édifice ayant pour fondement la justice ; celle-ci est une notion essentielle à défaut de laquelle aucune entité ne saurait être viable. C’est pourquoi, l’auteur consacre la première partie de l’ouvrage à l’étude critique du système sociopolitique et judiciaire au Mali de 1960 à 1986. Définissant la notion de justice qui est des plus usitées, Amadou Aliou N’Diaye qit qu’il est très courant d’entendre les expressions suivantes : « Justice a été rendue », « C’est injuste », « Il n y a pas de justice dans ce pays », « La justice est bafouée », « L’Etat est injuste »… Peu importe, pour le praticien, il est loisible de la circonscrire en définissant la justice comme étant un concept qui exprime un ordre préétabli, public, social ou économique qui sous-tend les rapports tant des hommes que des collectivités entre eux. La justice se traduit donc par cette harmonie qui doit conditionner toute vie normale en société et assurer l’équilibre des valeurs. Et à la page 18, il est écrit ceci : « La viabilité de tout Etat, républicain de surcroît, dépend du respect profond que les tenants du pouvoir en particulier auront de l’ordre préétabli ; il s’agit du respect scrupuleux des textes constitutionnels et législatifs qui en sont les fondements. La moindre violation de ces structures de base sera une ouverture suffisante aux désordres et à la gabegie qui sont des concepts corollaires de décadence… ». Toujours au niveau de cette première partie, l’auteur nous brosse la Première République (1960 – 1968), à travers la Constitution de 1960, les entorses à la Constitution (l’émergence d’un parti unique de fait), la justice, une dépendance de l’exécutif, la dictature de l’US RDA, la prééminence du parti sur le Gouvernement ainsi que sur le Parlement, les grandes décisions de l’US RDA, les phénomènes de « l’africanisation » des cadres, l’option pour une orientation socialiste marxisante, les problèmes monétaires, la rébellion du Nord, l’échec de la « Partitocratie » de fait. En outre, l’auteur décortique le régime du Comité Militaire de libération Nationale (CMLN 19 novembre 1968 – 30 juin 1979) à partir de la page 49. Il parle du devoir d’intervention militaire et les limites de cette intervention. Au niveau de la page 58, l’accent est mis sur la dictature militaire. La page 77 commence par la Constitution du 2 juin 1974, fondement de la deuxième République. Il est écrit ceci : « La deuxième République a officiellement succédé au régime d’exception du CMLN le 30 juin 1979, jour où son Président fut élu ». A ce niveau, l’auteur nous parle de l’Union Démocratique du Peuple Malien (UDPM) et ses tares. Aussi, un fait marquant se produit à la page 93 par l’éveil de la conscience politique à partir de 1986. Quant au contexte judiciaire, il est écrit à la page 97 de la nécessité de promouvoir l’autorité judiciaire, la Cour Suprême à l’avant-garde jusqu’à la page 107.
La deuxième partie de l’ouvrage nous parle de l’évolution du système sociopolitique et judiciaire au Mali de 1986 à la troisième République. Selon l’auteur, la Cour Suprême, dans son rôle d’Institution d’avant-garde, a beaucoup contribué à l’enracinement de l’Etat de droit au Mali. A la page 111, il est écrit ceci : « La recommandation faite en 1986 par le conseil National au Secrétaire Général du parti (UDPM), l’invitant à faire assurer le fonctionnement efficace de la cour Suprême dans l’exercice de sa mission de contrôle permanent des actes de Gouvernement et les efforts déployés dans ce sens par le Président du Gouvernement furent des catalyseurs qui permirent à la Haute Juridiction de sortir de l’état de léthargie dans lequel elle avait été plongée depuis plus de deux décennies ». L’auteur parle aussi du serment de la Cour Suprême, le principe des rentrées judicaires, la problématique de l’Etat de droit au Mali, du rôle de la Cour Suprême dans un Etat de droit. A la page 149, on peut noter quelques Arrêts querellés de la Cour Suprême à savoir l’affaire Issa N’Diaye (Arrêt N° 57) du 14 novembre 1989, l’affaire Modibo Diarra et Youssouf Ganaba (Arrêt N° 56) du 8 novembre 1990, l’affaire Mme Diakité Manassa Dagnioko (Arrêt N°41) du 4 octobre 1990.
La page 177 commence par la Cour Suprême face à la circulaire N° 0001/UDPM du 15 janvier 1991 relative à la préparation du congrès des 28, 29, 30 et 31 mars. A ce niveau, l’auteur parle du nœud gordien et la mission du nouveau ministre de la justice. A partir de la page 183, l’auteur brosse le procès de la cour Suprême et la chute de la deuxième République. Et la page 197 nous parle de la transition qui aboutit à la troisième république. A ce niveau, l’auteur passe en revue tout ce qui s’est passé en amont jusqu’à l’avènement de la démocratie. Et il conclu en disant ceci : « Enfin, une démocratie multipartiste intégrale, des partis d’opposition dynamiques, conscients et responsables, une presse libre, la séparation totale des pouvoirs, une magistrature économiquement et moralement indépendante, le tout sous le couvert d’une armée républicaine forte sur les plans moral et matériel, voilà ce que le peuple malien au lendemain de la révolution attend de la troisième République.
A noter que Amadou Aliou N’Diaye est né en 1934 à Bamako. Titulaire d’un Doctorat d’Etat privé à Lille (France), il a successivement servi au Mali à partir de 1962 comme Chef du contrôle économique (Affaires Economiques), Substitut du Procureur de la République, juge au siège, juge d’instruction, Conseiller à la Cour Suprême.
Directeur de cabinet au Ministère de la justice de 1977 à 1983, puis Président de la Cour d’Appel de Bamako ; il fut Président de la Cour Suprême de 1985 à 1991. En 1978, le Mali présenta sa candidature au poste de juge à la Cour Internationale de Justice de la Haye. Parallèlement à ces fonctions, Amadou Aliou N’Diaye enseigne à l’Ecole Nationale d’Administration du Mali en qualité de professeur de Droit, de l’année scolaire 1966-1967 à ce jour. Actuellement, Amadou Aliou N’Diaye consacre la majeure partie de son temps de retraite aux activités champêtres et à l’écriture.
Mamadou Macalou
A lire le commentaire, le livre semble livrer beaucoup d’informations sur l’histoire de notre cher Mali au plan politico-juridique. Les arrêts querellés cités constituent une nouveauté par rapport aux démarches habituellement préconisées par les auteurs de ce genre d’ouvrage.
Le livre est-il disponible au Mali ? A quel niveau ?
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