Le film historique est conçu pour toucher un large public afin de lui faire vivre la période significative de l’histoire du Royaume bambara de Ségou qui a dominé une grande partie de l’actuel Mali du milieu du 17e au 19e siècles. C’était une société où se mêlaient conquêtes et luttes de pouvoir mais aussi code de l’honneur et savoir-vivre des Bamanans. Le réalisateur de cette belle œuvre est Boubacar Sidibé. “Les Rois de Ségou” a été vu par plus de 250 millions de foyers francophones et anglophones à travers le monde.
Le réalisateur malien Boubacar Sidibé nous fait revivre une page d’histoire qui fait la fierté du Mali à travers la série “Les Rois de Ségou”. En plus des archives, le cinéaste a consulté des historiens et des traditionnistes pour pouvoir écrire son scénario sur une société où se mêlent conquêtes et luttes de pouvoir mais aussi code de l’honneur et savoir-vivre des Bamanans.
“J’ai voulu écrire ce film en incarnant ces rois à travers les contes. J’ai voulu valoriser notre culture à travers le style vestimentaire qui était chez nous avant l’arrivée les colons. J’ai retracé l’histoire depuis le début du Royaume de Ségou jusqu’à la gloire de certains rois. On a fait ressortir certains éléments qui ont permis de rehausser l’éclat du Mali à travers sa culture”, explique le réalisateur.
La série “Les Rois de Ségou” est une œuvre de fiction de 41 épisodes de 26 mn. On peut situer le premier épisode de la série vers 1715. Le Royaume est à l’état d’embryon, instable, en proie à d’incessantes querelles entre chefs de village. La population, cible des brigands et autres marchands d’esclaves, est défendue vaille que vaille par les chasseurs-soldats. Le film commence quand les notables décident d’unir leurs forces en se désignant un chef, en l’occurrence Mamary Coulibaly, un chasseur aguerri qui a prêté allégeance à leur “Ton” (association des hommes d’une même classe d’âge), et surnommé Biton.
Selon Boubacar Sidibé, le succès de cette série réside dans le fait que notre histoire était toujours racontée par la tradition orale d’où le rôle essentiel du griot royal démontré dans ce film. “Le «djéli» n’a rien de quelqu’un qui fait les louanges du roi, mais il apparait plutôt comme le conseiller le plus influent sans qui le roi ne saurait gouverner. Le rôle des féticheurs et des marabouts est aussi magnifié, notamment leurs prédictions répétées concernant le jeune N’Golo Diarra qui, de l’avis de tous, est un futur roi. La période indiquée dans la série est de 105 ans. Il s’agit de la fondation du Royaume de Ségou avec Biton Mamary Coulibaly en passant par les règnes de N’Golo Diarra, Dah Diarra et Monzon Diarra”, poursuit le réalisateur.
La saga est interprétée par des comédiens maliens qui sont au total 250 en plus des figurants. “En réalisant ce film, il fallait que je m’informe davantage sur l’histoire de ces rois. Je suis parti à Ségou pour des recherches et j’ai trouvé une quinzaine de cassettes de Daye Baba Diallo qui parlait de l’histoire de Ségou, les rois qui se sont succédé et j’ai écouté toutes ces cassettes. C’était la même chose avec les contes de Djéli Baba Sissoko. J’ai aussi lu tous les trois tonnes de l’Epopée Bambara de Ségou et le livre de Maryse Condé sur Ségou. Je me rendais tous les jours chez le DER d’histoire-géo de la Faculté pendant une semaine qui me racontait l’histoire de Ségou aussi. Il y a Dr. Fanta Mady Simaga, ancien maire de Ségou qui m’a aidé en plus de Salia Sanogo, un historien de l’Ensemble instrumental et Bakoroba Diabaté. Après avoir écouté toutes ces personnes, je me suis rendu à Ségou chez le chef du village de Sékoro par rapport à l’accoutrement et il m’a fait savoir que les gens ne s’habillaient pas tellement en ce moment. Je lui ai dit que je veux parler du Mali, valoriser les tenues traditionnelles de Ségou en particulier et du Mali en général à travers ce film. C’est ainsi que j’ai été chez Kandioura Coulibaly, un styliste malien qui amène ses créations en exposition en Europe. Il m’a aidé afin de vendre la culture malienne avec des costumes et des parures”, déclare le réalisateur.
Le Royaume bambara de Ségou, une histoire qui montre à l’autre qui nous sommes, ce qui nous valorise et valorise nos us et coutumes. C’est pourquoi le réalisateur a décidé de faire la série en français. “Ce choix a permis à plus de 250 millions de foyers de voir notre histoire sur la chaîne de télévision francophone TV5 Monde. La chaîne Canal France International a offert la série à 86 télévisions partenaires. Grâce à l’OIF qui a aidé un distributeur français afin qu’une production française puisse être vue sur des télévisions anglophones. La télévision Mnet a diffusé la série avec sous-titre en anglais et elle a été vue par plusieurs pays anglophones. En résumé, la série a été vue dans beaucoup de pays à travers le monde pour la valorisation de nos us et coutumes… En un mot pour le rayonnement du Mali à travers sa culture. Je crois que la plupart des Maliens connaissent l’histoire de Ségou et si je l’avais fait en bambara, le film allait se limiter aux quelque 30 millions de personnes qui comprennent bambara au Mali, en Côte d’Ivoire et au Burkina”, dit-il.
Une telle œuvre ne peut être réalisée sans un travail collégial qui va avec des difficultés, mais à en croire le réalisateur, les Maliens aiment l’art et sont prêts à se sacrifier pour lui. “Quand je fais un film avec mes moyens, je sais ce que ça va donner. Par contre, si je n’avais pas fait comme ça non plus, ce film n’allait pas voir le jour, donc j’ai avalé beaucoup d’amertumes pour que ce film puisse sortir. Je remercie sincèrement les techniciens et les comédiens qui ont accepté de jouer avec les moyens du bord”, assure M. Sidibé.
Aux dires du réalisateur, un historien l’a interpellé pour dire que le film lui a permis de savoir que Dah et Monzon sont deux personnalités différentes, sinon il pensait que c’était une seule personnalité qui s’appelle Damonzon, mais grâce au film il sait maintenant que ce sont deux personnalités qui ont tous deux régné.
La série a été tournée dans la forêt classée de Tienfala, à 15 km de Bamako, puis à 200 km à l’est, en bordure du fleuve Niger, dans le village de N’Gama, près de Ségou.
Des témoignages
Magma Gabriel Konaté, comédien interprétant le rôle de Roi N’Golo : «Pourquoi moi-même j’ai aimé ce film “Les Rois de Ségou” ? Parce que le réalisateur a voulu faire ressortir le fondement de notre culture pour le montrer au monde entier. C’est ce qui nous différencie des Occidentaux. Eux ils valorisent leur passé, leur histoire. Ils en font des films pour nous faire visualiser et si on leur demande, ils pensent qu’on n’avait rien de potable chez nous. La personne qui a eu cette belle initiative de retracer la vie de certains rois qui ont marqué les gens pendant leurs règnes est à remercier. Quand on prend l’histoire de certains tels que Soundjata, Babemba, Koumi Djossé, etc., les royaumes étaient bien fondés, il y avait de l’éducation au vrai sens du terme. Les Occidentaux nous enviaient en ces moments parce qu’on vivait en harmonie sans discorde. Il y avait la paix et la cohésion dans les contrées».
Kari Bogoba Coulibaly, artiste/comédien interprétant le rôle de griot de Biton : «Un cinéaste c’est quelqu’un qui retrace l’histoire de la société à travers son passé, son présent et son futur. Le réalisateur Boubacar Sidibé ne parle que du Mali dans ses films en enseignant la citoyenneté et le patriotisme. Il a beaucoup de choses à faire encore parce qu’à longueur de journée nous ne voyons que les feuilletons d’autrui. Le Mali était connu à travers son histoire, mais ce film “Les Rois de Ségou” a permis de le faire connaitre davantage. Notre cinéma ne peut pas aller au-devant de la scène si nos autorités en charge de la culture ne le soutiennent pas financièrement».
Kardjigué Laïca Traoré : «C’est à travers les artistes que le Mali est connu, sinon depuis notre indépendance il y a nos ambassadeurs à travers le monde, mais ceux-ci ne sont en contact qu’avec leurs homologues diplomates. Les artistes musiciens valorisent notre culture par les chants et danses et les cinéastes le font à travers leurs films».
Yiriyé Sabo, ingénieur de son : «On a rencontré des difficultés avec “Les Rois de Ségou” parce qu’en ce moment il n’y avait pas de moteurs (voiture, moulin, moto, etc.). On a beaucoup dérangé les habitants du village dans lequel on tournait parce qu’on leur demandait à chaque fois d’éteindre les moulins. On arrêtait les usagers des véhicules et des motos ou on arrêtait le tournage pour qu’il n’y ait pas ces bruits dans les sons. En plus de cela, nous les ingénieurs de sons, nous rencontrons des difficultés avec les néophytes, sinon les professionnels connaissent les difficultés du tournage. Il arrive des fois que les acteurs pensent que le son est bon, mais ce n’est pas le cas à notre niveau et on les fait reprendre. L’objectif c’est d’avoir un bon résultat».
Moussa Tounkara, artiste musicien : «Le ministère de la Culture doit aider Boubacar Sidibé et ses collaborateurs afin que notre cinéma puisse aller de l’avant tout en sauvegardant nos us et coutumes. Nous aimons ce cinéma plus que les feuilletons dans lesquels les gens s’embrassent et font l’amour sans gêne. On a même honte de regarder la télé avec nos enfants à cause de cela. Dans “Les rois de Ségou”, c’est notre passé que nous voyons, l’éducation, les chevaux de guerre, nos combattants, notre culture, la paix et la cohésion sociale. Je demande aux plus hautes autorités, aux opérateurs économiques, s’ils ne veulent pas que nos us et coutumes se dégradent davantage, de soutenir la cinématographie pour assurer l’éducation de nos enfants. Il faut qu’ils financent le cinéma malien, sinon on a constaté que les gens préfèrent mettre leur argent dans les feuilletons qui n’ont rien à voir avec notre identité culturelle. C’est pourquoi nos enfants (filles) portent les culottes et pantalons aujourd’hui. Si on ne soutient pas notre cinéma, il est dans le trou, c’est-à-dire en voie de disparition».
Propos recueillis par Marie Dembélé
Encadré : Un réalisateur prolixe
Après “Les Rois de Ségou”, Boubacar Sidibé a écrit et réalisé plusieurs séries comme “Bougouba Sigui”, “Yèrèdon Bougou”, “Du Galop de l’étalon aux pas de caméléon”, Hayatou Islay (première série islamique du Mali), “La langue et les dents”, etc.
Les cinéastes et les comédiens jouent un rôle important dans l’éveil des consciences, le sens de la responsabilité, du changement de comportement et d’attitude pour une société responsable, le civisme et la citoyenneté.