Le livre et l’éducation

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Invention et outil incomparables du savoir humain, le livre a toujours joué et continue de jouer dans l’éducation un rôle primordial et qui s’harmonise avec l’usage des moyens audio-visuel. Il restera certainement l’un des supports indispensables de l’acquisition, de la transmission et de la conservation des connaissances. Pour le maître comme l’élève, il est l’instrument le plus usuel de l’éducation sous sa forme scolaire et extra-scolaire. Il constitue dans la société moderne un secteur important de dépenses des gouvernements et des individus.

 

Pr. Bakari Kamian
Pr. Bakari Kamian

L’importance du livre dans l’éducation

Selon les pays et surtout dans les pays développés, les livres éducatifs, ceux destinés en premier lieu aux maîtres et aux élèves de l’enseignement, quels que soient le type et le degré de cet enseignement, représentent 21 à 27% des titres de publications mondiales.

En 1969, pour 18. 239 000 enseignants dont 10 769 000 pour l’enseignement du premier degré, 5 813 000 pour l’enseignement du second degré et 1 657 000 pour celui du 3ème degré, le monde comptait 459 599 000 élèves dont 230 832 000 dans l’enseignement du premier degré, 105 651 000 au second degré et 23 115 000 au 3ème degré. Enseignants et élèves constituaient, avec un effectif total de 477 838 000 personnes, 13,45% de la population  de la terre. Si l’on ajoute à ces chiffres tous ceux qui, parents, chercheurs, éditeurs, imprimeurs, libraires, spécialistes de l’illustration, etc… participent plus ou moins directement à l’effort éducatif ou à la préparation du matériel pédagogique à travers le monde, on mesure davantage la place que le livre occupe dans l’éducation contemporaine. Mais pourquoi une telle importance ? Parce que, comme la souligné dans son message pour l’Année Internationale du Livre 1972, le Directeur Général  de l’UNESCO, M. René Maheu, « Instrument de communication le plus sûr, le plus maniable qui ait jamais été inventé, le livre est le premier qui ait permis à la pensée de l’homme de vaincre le temps, l’oubli et l’espace.

Le rôle du livre dans l’éducation

 Le livre  est d’abord un moyen d’accès à l’information et empêche le retour dans l’analphabétisme des personnes qui ont passé par l’école. En tant que moyen de communication et d’information, le livre peut contribuer à susciter un élan pédagogique assez puissant pour rompre avec les méthodes traditionnelles périmées.

 

Auxiliaire de l’éducation, il aide à susciter de nouvelles attitudes pratiques nécessaires pour résoudre les problèmes de l’information, de la formation  et enrichit les thèmes de réflexion. Pour l’élève, les livres sont autant de portes qui ouvrent sur un monde nouveau d’idées et de connaissances. Grâce à eux, les élèves ont la possibilité non seulement d’accumuler des connaissances, mais de les appliquer et de confirmer les points de vue. Plus tard, ils commenceront à porter un jugement sur les idées et sur les informations.

De nos jours, la démocratisation de l’enseignement, l’accélération des connaissances et la dépréciation rapide qui en résulte, le progrès et la vulgarisation des sciences et de la technologie éducative, la diffusion des moyens d’information de masse (presse, radio, télévision etc. cinéma) ont bouleversé l’art d’enseigner, enlevé au maître le monopole du savoir qu’il a longtemps détenu, battu en brèche le dogmatisme qui survit encore dans certaines écoles pédagogiques, fait de l’élève non plus le sujet passif qui devait tout attendre de son maître, mais un partenaire actif dont la participation est de plus en plus sollicitée dans des domaines jusqu’ici réservés aux enseignants. A l’entrée de l’école ou des centres d’alphabétisation, l’élève et l’adulte analphabète ont un univers de référence plus étendu qu’autrefois.

Discipliner et orienter les connaissances

 L’une des tâches principales des enseignants est de discipliner et d’orienter les connaissances de leur auditoire, d’inculquer des notions pour apprendre aux élèves comment apprendre afin qu’ils soient aptes à saisir les changements et à s’adapter au monde de demain.

Les manuels conçus selon des programmes qui ont pour objectifs de former le producteur économique et l’être social que la génération actuelle s’efforce de façonner à sa propre image en faisant une projection dans l’avenir, et les livres pour la jeunesse (albums documentaires, ouvrages de vulgarisation scientifique et littéraire et romans) qui diffusent les connaissances les plus variées et souvent les plus difficiles en multipliant les images de qualité favorisant la compréhension du texte, constituent au stade initial de l’apprentissage des outils irremplaçables. L’approbation des manuels et livres de jeunes à la sensibilité et à la compréhension de l’enfant est une question délicate, mais d’importance capitale dans sa réalisation aussi bien matérielle qu’esthétique et intellectuelle. Car, selon un mot d’Anatole France, « les connaissances que l’on enfonce de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent. Pour digérer le savoir, il faut l’avoir avalé avec appétit ». L’élève doit savoir lire, c’est-à-dire, apprendre à profiter au maximum des textes qui ne sont pas seulement littéraires, mais encore historiques, géographiques, scientifiques et aussi politiques, économiques et sociaux.

Les ouvrages de la bibliothèque scolaire sont nécessaires pour consolider les acquisitions des programmes scolaires et élargir le champ des connaissances de l’enfant.

   Un investissement peu rentable

    Dans un système d’éducation, notamment dans les systèmes africains et des autres pays en voie de développement, l’absence de bibliothèque scolaire et le mauvais choix de manuels sont en partie responsables des taux de déperdition des effectifs et des faibles rendements de l’éducation.

 

Au niveau de l’enseignement primaire, si l’on prend comme critère l’aptitude à la lecture fonctionnelle, les taux d’an alphabétisation n’ont plus la même signification que si l’on considère comme alphabète tout individu ayant fréquenté l’école quel que soit le niveau atteint. Par ailleurs, si l’on considère l’éducation comme un investissement, il faut alors en calculer le rendement dans le secteur primaire, d’après le nombre d’élèves qui seront capables, au sortir de l’école, d’utiliser leur aptitude à lire. Or si l’on tient compte de tous ceux qui retombent dans l’analphabétisme, faute de la pratique de la lecture, l’éducation primaire devient sans aucun doute un investissement fort peu rentable, un problème qui concerne son élément les éducateurs, mais aussi engage la responsabilité des économistes, des sociologues et des planificateurs de l’éducation chargés de pouvoir aux besoins de plus de 330 millions d’élèves qu’il faut équiper et de 11 millions d’enseignants qu’il faut rétribuer et équiper dans les diverses parties du monde.

Au niveau de l’enseignement du second degré, l’expérience et le savoir acquis par l’élève le rendent plus apte à puiser des livres les notions nécessaires à sa formation, à condition qu’il soit assisté par le maître.

Mais on constate que les élèves entrant à l’université n’ont pas l’habitude de consulter les sources de documentation. «  Leur instruction a été surtout orale ; ils n’ont lu que des ouvrages inscrits au programme et sont incapables de se servir de catalogues et d’ouvrages de référence ; le mode qui s’ouvre à eux est celui fort peu limité du manuel scolaire. Ils auront besoin d’être considérablement aidés avant de pouvoir, une fois adultes, tirer pleinement partie des services offerts par les bibliothèques »

Etre à l’écoute du monde

  La démocratisa de l’enseignement et l’explosion démographique de la seconde moitié du XXème siècle ont entraîné le recrutement d’effectifs importants dans les écoles secondaires, des investissements de sommes considérables dans la construction des bâtiments et dans le recrutement des enseignants. Si bien que les possibilités d’équiper les écoles créées en bibliothèques et en manuels adaptés s’amenuisent dans nombre de pays en voie de développement.

 

Dans les pays où il n’existe pas d’enseignement supérieur, rares sont les possibilités pour les jeunes de développer leur intelligence par suite d’un manque de bibliothèque fonctionnelle où ils pourraient compléter les informations. Mais, comme le dit O. Vera , ces moyens de grande information ne réussiront jamais à « former des esprits créateurs, pénétrés du sens de la fraternité humaine, conscients des responsabilités qu’ils ont envers eux-mêmes, envers leur famille et la société, capables d’être à l’écoute du monde naturel et social qui est le leur, de s’y comporter avec générosité, avec raison, avec sagesse ; jamais ils ne réussiront à former des hommes capables d’apprécier les grandes valeurs culturelles, à jouir des trésor de toutes sortes que prodigue la culture et les enrichir ».

 

Risquant moins que les élèves de l’enseignement primaire de retomber dans l’analphabétisme, les élèves du second degré marqueront le pas si les bibliothèques ou l’éducation post-scolaire ne les aident pas à progresser.

 

Rapidité des transformations

 Au niveau de l’enseignement supérieur, l’étudiant jouit d’une plus grande

Autonomie d’apprentissage que dans les enseignements du 1er et du second degré. Le message transmis par le professeur ne peut plus, à lui seul, embrasser dans le détail et épuiser tout le contenu des programmes. Aussi, les ouvrages de référence et les manuels  apportent-ils à l’étudiant le complément indispensable au cours dispensé et restent des auxiliaires précieux pour les travaux de recherches. Les recherches pédagogiques, scientifiques et techniques auraient à coup sûr des résultats très différents de ceux que l’on connaît s’il n’y avait pas à la disposition des savants et chercheurs de tous ordres, cette mémoire universelle que constituent les livres et qui retrace le long cheminement de la pensée et des efforts de l’homme à travers les âges, renferme la gamme infinie des travaux effectués, les résultats obtenus, la leçon à tirer des échecs et des expériences qui n’ont pas abouti, et évite en retour le gaspillage de temps et de ressources intellectuelles et matérielles.

 

En ce qui concerne l’enseignement professionnel et technique et des écoles normales, la nécessité de dispenser dans les pays en voie de développement d’une main-d’œuvre spécialisée et productive et de combler les lacunes de l’éducation, exigent le développement de bibliothèques appropriées. La rapidité des transformations sociales, économiques et technologiques impliquent de plus en plus que les travailleurs sachent se documenter et assimiler constamment les connaissances et les idées nouvelles de leur spécialité. De même pour les futurs maîtres, apprendre à connaître l’usage des bibliothèques et des livres ainsi que leur rôle dans l’éducation pour éviter que les bibliothèques scolaires ne soient mal utilisées et inadéquates, se familiariser avec la littérature pour enfants, constituent un des fondements de la formation professionnelle des enseignants. Car, si l’on considère que l’enseignement est une profession comme les autres, avec ses instruments et ses techniques, il importe que les maîtres soient pourvus de ces instruments et initiés à leur emploi.

Quant aux personnels de l’enseignement technique et professionnel, c’est à travers les publications professionnelles et les sources de documentation mise à leur disposition qu’ils trouvent les informations nouvelles pour s’adapter  et progresser.

 

Dans le domaine de l’éducation de base et de l’alphabétisation, le livre consolide les notions acquises par les leçons des instructeurs et par les auxiliaires pédagogiques audio-visuels de type moderne. Dans l’alphabétisation fonctionnelle, l’acquisition de l’écriture et de la formation professionnelle ne sont plus des activités menées parallèlement, mais des actions intégrées, adaptées à la diversité des objectifs immédiats et des situations particulières. Le profil que les individus sont susceptibles de tirer des textes de lecture complémentaire a une influence capitale sur le succès et l’échec des campagnes d’alphabétisation et d’éducation de base et peut contribuer à l’élévation de la production et du niveau de vie. L’usage des langues nationales accroit encore l’impact des opérations d’alphabétisation fonctionnelle. Les nouveaux analphabètes recherchent des ouvrages susceptibles d’applications pratiques, car c’est la perspective d’améliorer leur situation sociale et économique qui les incite à lire et à écrire.

 

Au stade de l’éducation permanente, les bibliothèques jouent un rôle non négligeable dans l’animation culturelle. Dans les pays en voie de développement, nombreux sont les adultes et adolescents qui ne peuvent accéder à l’école ou à l’université et suivent un enseignement à temps partiel ou par correspondance. Pour ces catégories d’élève et d’étudiants libres, la bibliothèque publique est souvent la seule source de lecture, une source de lecture malheureusement peu répandue en Afrique où sévit la faim de livres plus que partout.

 

La situation du livre éducatif en Afrique

 

En 1968, avec ses 345 000 000 d’habitants (9,71% de la population mondiale), 34 421 000 élèves sur un total mondial de 459 599 000 (7,4%), 973 000 enseignants sur 18 239 000 en exercice dans le monde (5,3%), l’Afrique entière n’avait produit que 8 000 titres sur une production mondiale estimée à 487 000 titres (8 000 sur 496 000 en 1969), soit 1,6%. Le nombre de titres produits par militaire d’habitants s’élevait à une moyenne de 140 pour l’ensemble des continents, 24 pour l’Afrique (23 en 1969), 51 pour l’Asie, 72 pour l’Amérique du Sud, 216 pour l’Océanie, 227 pour l’Amérique du Nord, 319 pour l’URSS et 475 (près de 20 fois la moyenne africaine) pour l’Europe. Si l’on ne considère que les 35 Etats indépendants au Sud du Sahara (y compris Madagascar et l’Ile Maurice, non compris l’Afrique du Sud et les territoires coloniaux), la moyenne s’abaisse encore au-dessous de 24 h.

Dakar, 1973

BAKARI KAMIAN

AGREGE DE L’UNIVERSITE

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