Jeudi dernier, la Maison de l’Afrique de Paris organisait le Forum sur les Musiques africaines. Sergio Coronado, député de la 2ème circonscription, a ouvert les portes d’une des élégantes salles de l’Assemblée nationale française à des musiciens, producteurs, distributeurs, diffuseurs, journalistes, responsables de festival, et à une centaine de personnes, toutes sensibles aux interrogations que ces professionnels se posent aujourd’hui.
Langues, cultures, traditions, instruments, rythmes, l’Afrique en est riche, et demeure la source de bien des musiques. Dès les années 50, en Occident, les musiques africaines connurent un immense succès, des festivals, intégralement consacrés aux musiciens du continent, furent organisés. Mais, aujourd’hui, les musiciens africains rencontrent les plus grandes difficultés à vivre de leur talent. Au Mali, l’état d’urgence interdit les rassemblements depuis des mois, et les artistes y sont touchés de plein fouet, tout comme ceux des autres pays où la guerre anéantit les vies.
Après avoir bravé la désapprobation de leurs parents qui n’admettaient pas qu’on puisse vouloir faire de la musique un métier, ils entendent souvent, comme nous l’a rappelé une jeune artiste gabonaise, que, musicien, ce n’est pas un travail ! Les musiciens africains, présents à ce forum, ont expliqué que leur métier n’est pas reconnu sur le continent car il n’y a quasiment pas d’écoles pour se former à la composition, l’arrangement, la production, la distribution ou la promotion artistique, donc il n’y pas de diplômes. Les plus tenaces produisent leurs CDs eux-mêmes, mais, comme il n’y a pas de circuits de distribution en Afrique, leur talent reste sur place, le plus souvent dans les maquis, parfois dans des instituts étrangers, puisqu’il n’y a pratiquement pas de salles pour les accueillir. Les chanteurs les plus connus, accompagnés de leurs musiciens, emplissent les stades, et ce sont eux que l’Occident connaît.
Les musiciens africains invités par les rares festivals encore organisés en France rencontrent, malgré l’appui des organisateurs, d’immenses difficultés pour obtenir leurs visas, car d’autres, avant eux, en ont profité pour ne pas rentrer au pays ensuite. Si on le leur accorde, ils sont très surpris d’être soumis au code du travail local, comme tout un chacun travaillant en France, et de ne toucher, par rapport à leur cachet «brut», qu’une somme «nette» bien moindre, puisqu’ils sont obligés, alors qu’ils ne sont sur place que pour quelques jours, de cotiser aux différentes caisses d’allocation et de congés spectacles, dont ils ne bénéficieront pas. C’est la règle
De nombreux musiciens africains se sentent si découragés, si déçus, qu’ils tentent le voyage vers l’Occident, et s’y installent, rêvant d’y connaître le succès de leurs grands frères au cours des décennies précédentes. Ils découvrent vite que la vie y est dure pour les musiciens venus du continent, car l’âge d’or des musiques africaines est révolu, et le showbiz leur préfère les stars. Ils se sentent même marginalisés en France, puisqu’ils ne sont diffusés qu’à une heure tardive par les chaînes généralistes, et même «ghettoïsés», lorsqu’ils ne sont invités que par France Ô, chaîne TV créée en 1998, pour «offrir aux Français de l’Outremer vivant en métropole, une fenêtre sur leurs régions», dont la ligne éditoriale a évolué «pour faire partager les valeurs de tolérance et d’ouverture, s’affirmant comme l’antenne de la mixité et des valeurs universelles».
L’arrivée de l’internet, sur le continent comme ailleurs, a donné de l’espoir aux jeunes, très à l’aise avec les nouvelles technologies. Ray Leman, musicien congolais, et doyen des musiciens présents à ce forum, les encourage vivement à apprendre à écrire, à composer, à arranger, pour pouvoir porter le flambeau de leurs ancêtres, sans céder aux paillettes de la mondialisation anesthésiante, qui provoque une mutation sociologique, même dans le domaine artistique. Ils ne doivent pas oublier que leur créativité musicale ne peut s’asseoir que sur leur propre héritage culturel, trésor de leur communauté. C’est ce que défend aussi, Désiré Sankara, artiste musicien burkinabé, qui s’inspire des rythmes de son terroir, en les modernisant, et qui chante dans sa langue d’origine, seule capable d’exprimer ses sentiments. Se produire en Occident n’est pas facile car les organisateurs ont parfois des réactions étonnantes. Lors d’une interview, nous a-t-il expliqué, on lui a reproché de ne pas écrire ses chansons en français, ce qui, bien sûr, est un rejet des caractéristiques culturelles d’origine.
La musique est au cœur de la culture africaine. La préservation et l’archivage des musiques anciennes sont de la plus grande urgence. Les plus vieux s’éteignent et on constate une uniformisation de la musique. Au Congo, par exemple, malgré les 250 ethnies, on n’entend plus qu’une seule musique, au clavier, la plupart du temps. Malgré les efforts fournis par nombre de musiciens et d’associations, aucune mesure n’est prise, à l’échelle du continent, pour sauver l’héritage musical local.
À l’issue de ce Forum des musiques africaines, quatre propositions principales ont été faites
– Les ministres de la Culture africains devraient être choisis parmi les artistes, comme au Sénégal et au Cap Vert. Cela donnerait un autre sens au développement de l’Afrique, qui doit passer par la reconnaissance des cultures musicales locales, comme partie du patrimoine immatériel de l’humanité, et, c’est au génie africain de trouver ses propres solutions.
– Les musiciens les plus anciens et les plus connus pourraient faire la tournée des gouvernements africains pour leur expliquer qu’il est urgent de préserver la tradition orale, et que cela ne peut se faire que si l’on retrouve les plus vieux, qu’on les enregistre et qu’on les filme, afin de numériser leur mémoire pour les nouvelles générations. Il ne faudra pas céder à la tentation d’accepter les propositions d’organisations internationales d’entreprendre ce travail de mémoire, car l’expérience a prouvé que ces contrats sont souvent monnayés, et que l’Afrique n’en profite pas.
– Les ministères de la Culture et de l’éducation africains devraient œuvrer ensemble pour que les enfants suivent un enseignement musical théorique et pratique obligatoire, dès le plus jeune âge et, ce, pendant toute leur scolarité, afin que leur formation soit assurée, et que ceux qui souhaitent en faire leur métier soient considérés au même titre que ceux qui optent pour une autre voie.
– La Maison de l’Afrique de Paris s’est proposé comme lieu de rencontre pour les musiciens qui le souhaitent, et comme soutien à tout désir de création de sites informatiques qui permettraient de faciliter les liens entre les artistes, les créateurs, les promoteurs et les distributeurs de musiques africaines, en France et sur le continent, afin de redonner un avenir à cet art.
Ray Leman, largement approuvé par l’ensemble des participants, a conclu le forum en soulignant que c’était la première fois qu’il voyait une rencontre où on avait entendu et écouté les musiciens africains parler de leur métier, de leurs soucis, et de leur avenir. Il a salué, au nom de tous, les propositions concrètes qui avaient été faites pour sauver la culture musicale africaine dans le seul souci de l’Afrique.
Françoise WASSERVOGEL