La tour de Lassa: Héritage dilapidé, avenir dans l’impasse

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A nos pieds, Bamako se réveille dans une brume matinale qui couvre aussi l’avenir d’un pays plongé dans l’impasse dans laquelle il se cherche depuis janvier 2012 sans véritablement voir le bout du tunnel.

Nous ne pouvons alors nous empêcher de penser aux pères de l’indépendance de ce pays vaste, mais enclavé géographiquement et psychologiquement. A regarder de près, les vraies années d’espoirs pour ce pays ont sans doute été les huit années de présidence de Modibo Kéita. Ce grand visionnaire qui aurait eu cent ans ce 4 juin 2015 (né le 4 juin 1915 à Bamako) s’il n’avait pas été assassiné le 16 mai 1977 (à 61 ans) par la junte qui l’a renversé le 19 novembre 1968. De tristes dates dans l’histoire du Mali.

Triste est aussi cet anniversaire que nous célébrons alors que, «curieuse ironie de l’histoire», disent des confrères (J.a), notre patrie tente péniblement de sortir de l’impasse dans lequel il est plongé depuis janvier 2012 par une crise nutritionnelle et sécuritaire.

Mais, cela n’enlève rien au symbolisme de l’événement, à la valeur de Modibo Kéita qui n’est nullement responsable du gaspillage que nous avons fait de son héritage.

Indéniablement, le premier président de la République du Mali a été un leader panafricain qui a marqué l’histoire de son pays et du continent. Si on regarde aujourd’hui les grands ensembles qui se forment (G8, G5, Union européenne…), on voit que Modibo, Kwame Nkrumah, Sékou Touré… étaient très à l’avance sur leur époque.

Et à ce titre, ils étaient une sérieuse menace pour le néocolonialisme qui s’est substitué au colonialisme, notamment dans les ex-colonies françaises. Au Mali et au Ghana, ils ont été vite éliminés et remplacés par des épouvantails afin de sauvegarder les intérêts des puissances occidentales.

«Il y avait des rencontres périodiques entre les trois hommes, Modibo  Kéita, Sékou Touré et  Kwame Nkrumah. Le Président Modibo Kéita était vu comme un leader de la résistance et c’est ainsi que j’ai connu l’histoire du Mali, de votre pays», a témoigné Robert Mugabe, président du Zimbabwe et de l’Union africaine, lors de la cérémonie de signature de l’Accord de paix et de réconciliation nationale au Mali, le 15 mai 2015.

Grâce à leur clairvoyance, l’Union africaine a pris racine dans l’union Ghana-Guinée-Mali. «Ces trois pays ont ouvert la voie et permis que les deux autres groupes dits de Casablanca et de Monrovia de se réunir pour mettre en place l’Oua», a témoigné le président Mugabe dans son discours désormais historique de Bamako.

«Comment le Mali peut-il arriver à ce niveau-là, à ce point-là ? Un pays magnifique, merveilleux», s’interrogent Robert Mugabe ainsi que tous ceux qui connaissent l’histoire de notre pays ! C’est comme Jeune Afrique qui s’interrogeait sur son site : Que reste de Modibo Kéita cent ans après sa naissance ?

Cette question, à l’allure de provocation, n’est pas pour autant déniée de pertinence. Nous sommes réellement tombés plus bas que terre pour paraphraser Hamidou Konaté de l’Adema décrivant la situation de son parti lors d’une conférence-débats. Il ne reste de Modibo Kéita que l’orgueil et la fierté que les Maliens, toutes générations confondues, tirent de son combat, de son patriotisme et de son panafricanisme.

La rupture fatale du coup d’Etat du 19 novembre 1968

Mis au banc de la coopération française pour avoir tenu tête à Charles de Gaule, comme Sékou Touré en Guinée, Modibo Kéita a été non seulement l’un des grands artisans de la création de l’Organisation de l’Unité africaine (Oua), mais avait aussi réussi à mettre le Mali sur les rails de l’émancipation du joug impérialiste avec une politique économique basée sur l’accroissement de nos productions et leur transformation sur place par des industries locales.

Le coup d’Etat du 19 novembre 1968 a sans doute marqué le début de ce que beaucoup d’observateurs qualifient de «destruction des valeurs» au Mali.

Et progressivement, le complexe et le mimétisme, la gabegie et la corruption, l’impunité et la médiocratie ont rongé tout ce que Modibo Kéita avait posé comme jalon de la souveraineté nationale,

Toujours à la croisée des chemins depuis le coup d’Etat du 19 novembre 1968, la démocratie n’a visiblement pas réussi à exorciser les démons qui entravent notre souveraineté. Elle n’a jamais comblé les attentes, surtout en termes de victoire contre les maux (corruption, délinquance financière et foncière, gabegie, népotisme…) qui contraignent notre pays à dépendre de l’extérieur.

La situation actuelle et le mental actuellement prédominant chez la majorité d’entre-nous n’incitent guerre à l’optimisme. Comment nourrir l’espoir de lendemains meilleurs quand nos leaders politiques n’inspirent plus confiance ?

Il est en effet évident que les Maliens commencent à comprendre qu’ils ne pensent qu’à eux-mêmes, à leurs clans. «Ils sont tous les mêmes car ils forment un réseau de systèmes de vases communicants. Madame sort, Monsieur entre, le cousin remplace le neveu, le tonton reste, mais l’ami du fils sort» !

C’est ainsi que se décrit la politique malienne ces dernières décennies avec la valse des gouvernements aussi décevants les uns que les autres.

«Le problème, c’est que je n’ai confiance en aucun leader politique actuel ! Aucun d’eux n’est au-dessus des soupçons», entend-t-on fréquemment dans les débats !

La société servile, pardon la société civile n’est qu’une farce ! C’est une autre manière de manger sa part du gâteau de ceux pour qui les chapelles politiques offrent peut d’opportunité.

La presse, le supposé 4e pouvoir de la démocratie, n’est pas moins corrompue que les autres piliers, que les autres institutions démocratiques. D’ailleurs, les organisations de presse dans notre pays sont devenues des Gie (Groupement d’Intérêt économique) qui ne disent pas leur nom.

La bataille de chiffonniers pour les diriger prouve qu’elles sont devenues la courte échelle pour enrichir leurs dirigeants au lieu d’améliorer la pratique du journalisme ou les conditions de vie et de travail des journalistes. Si nous sommes devenus des «minables» pour les autres aujourd’hui, c’est de leur faute.

Supposée être l’avenir du pays ou le fer de lance du développement, la jeunesse est alcoolisée et opportuniste. Il y a longtemps qu’elle s’est égarée sous les jupes des vieilles riches et dans les bouteilles d’alcool. Pour les jeunes de nos jours, tous les moyens sont bons pour occuper des postes juteux et pour s’enrichir sauf travailler.

N’est pas boulanger de sa vie qui le veut ! Qui fera alors le Mali de demain ? «Préparons nos enfants, éduquons-les à la maison», conseille un confrère. C’est oublier qu’on n’éduque plus ni à la maison ni à l’école.

Les maris ne sont jamais à la maison, les Mamans passent tout leur temps chez les marabouts et autres féticheurs pour des postes ou pour neutraliser des rivales ou maîtriser leurs époux ! C’est la télévision, les réseaux sociaux, la rue et les jeux vidéo qui éduquent nos enfants à la place du foyer et de l’école.

C’est dire que nous avons dévié de la voie tracée par Modibo Kéita depuis belle lurette. Elle est pourtant celle du salut pour cette nation ! Il est temps de renouer avec ces valeurs sociales, morales et républicaines qui avaient fait du Mali une nation crainte et respectée pendant les huit premières années de notre souveraineté nationale !

Moussa Bolly

 

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