La littérature malienne : Yambo Ouologuem : L’écrivain entre l'Histoire et le Temps

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La découverte de la littérature malienne contemporaine commence réellement par la saisie  du roman de Yambo  "  LE DEVOIR DE VIOLENCE ". Essentiellement intellectuelle, l’œuvre est un module du roman historique au niveau le plus élevé dans la description des tendances qui mettent en valeur les lois générales de la grande œuvre épique humaine, qu’elle soit noire, blanche, rouge ou jaune. " Pour Yambo ,  mieux que la révolution, la révolte constitue un devoir qui mène à la prise de conscience comme moyen de parvenir à un changement de société ", selon l’analyse de Denise Kacou Koné.  

De l’ombre vers la lumière

De 1921, date de la parution aux éditions Albin Michel de " Batouala mourant " de René Maran (Prix Goncourt) à 2010, soit pendant 89 ans, la  littérature africaine a cheminé pour atteindre sa vitesse de croisière. La cerise sur le gâteau sera  avec l’attribution du Prix Nobel à deux de ses représentants, le nigérian Wole Soyinka et la Sud Africaine Nadine Godimer. D’autres prix sont à mentionner, le prix Renaudot au malien Yambo Ouologuem, à la camerounaise Calixthe Beyala, aux guinéens Amadou Kourouma et Tierno Monemenbo,des prix RFI, ACCT,  ACP ,UNESCO, des prix de Fondations et des prix nationaux,  magnifiant l’effort de nombreux écrivains, poètes , dramaturges, nouvellistes, essayistes etc. 

Cette littérature s’est d’abord polarisée particulièrement sur la gestion du pouvoir avec la dénonciation du fait colonial. Mais c’est avec Yambo que des plumes trempées dans du vitriol, prendront en charge les dérives politiques africaines restées des sujets tabous : le pilotage à vue, les coups de force, les assassinats, les emprisonnements,  les règlements de comptes, les démocraties monarchisées et militarisées provoquant des pertes énormes en vies humaines, la famine, l’exode des bras valides, l’exil des cerveaux etc. Dans la première décennie des indépendances  africaines, de tels phénomènes ont poussé  Yambo à décrire la nature invariable de l’homme à travers la violence et l’intolérance dans l’homme biologique à la conquête du pouvoir.

   Des œuvres d’autres auteurs dans tous les genres s’engouffreront dans la brèche dégagée par l’enfant de Bandiagara. "En attendant le vote des bêtes sauvages " de  Amadou Kourouma "Le camp tend la sébile" de Koulsy Lamko qui dénoncent la déchéance morale, la tragédie de l’Afrique déshumanisée. "  La vie  et demie" de Sony Labou Tansi. "  Le temps de Tamango " de Boubacar Boris Diop, auteur de récits accablants sur le Rwanda etc…

Echos médiatiques sur le roman de Yambo

  A propos de la rigueur de Yambo dans l’acte d’écrire, la revue " West Africa " publiait le 14  décembre 1968 : "  Ouologuem est un phénomène qui nécessite très peu de sommeil : trois heures par nuit. Et quand l’inspiration le prend, il est capable de rester assis devant sa machine 24 heures sur 24, créant furieusement jusqu’au-delà de toutes normes ".

    Le prix Renaudot obtenu par le romancier malien provoquera pourtant  des foudres  sur sa personne tout comme des voix s’élèveront pour lui adressée des louanges.

– "Le Devoir de violence", un des romans francophones les plus impressionnants qui ait été écrit par un africain ces dernières années, témoigne A. Nordmann Seiller (Littérature néo-africaine Paris PUF 1976 p.80).

 –  Il est un  signe manifeste de l’émancipation progressive du roman francophone d’Afrique affirme (.Lanotte  Un Renaudot Africain. Le devoir de violence en culture et développement).

   -Un livre qui vous prend aux tripes, où les mots ne sont pas seulement des signes alignés, ils vivent, ils brillent et saignent. C. Peyre. (Un nouveau Spartacus in Jeune Afrique  du 6 octobre 1968).

 – Yambo Ouologem  est un grand intellectuel noir. A. Bossuet (Le Monde)

 – Un grand roman africain, M.Gailley " Le Monde "

   D’autres critiques sont amères à propos du roman de Yambo

Le désaveu de Senghor déclenche la guerre littéraire contre " Le devoir de violence "

  – Je ne nie pas son très grand talent, mais  il n y a pas que le talent, il n’y a pas que le génie littéraire , il y a aussi une attitude morale, en face de la vie, en face des grands problèmes.  Je pense que c’est affligeant. Je ne veux pas employer un mot sévère, quand on voit des nègres puisqu’il  faut les appeler par leur nom, qui ont un  succès littéraire et qui disent aux blancs ce qui est agréable aux blancs, et qui n’osent pas affirmer leur foi dans leur ethnie, dans leurs idées. On ne peut pas faire une œuvre positive quand on nie tous ses ancêtres. (Léopold Sédar Senghor dans Congo-Afrique n°33 de mars 1969.

   La colère de Senghor se comprend du fait que Yambo, dans son œuvre a balayé d’un geste unique et brutal le monde mythique né des idées de la Négritude.

 Pour Yambo  qui réfute la pensée unique, il faut refuser l’enfermement dans toute théorie littéraire désireuse d’exprimer  l’identité de  toute  une race, il faut s’assumer au nom de tout l’homme en dehors de toute considération mythique. Pour lui,  l’Afrique, comme les autres parties  du monde n’a pas échappé à l’œil du sphinx  fixé  sur nos consciences. Nos empires ont été toujours  le théâtre d’immenses cruautés et  d’atrocités . Son roman  traite de ces phénomènes  dans  l’empire de Nakem Zinko du 13e au 20e siècle, du moyen âge à la conquête de l’autonomie en passant par la période des islamisations, de la traite négrière, de l’esclavage et du colonialisme.

   Dominée d’abord par les notables africains, puis par les rois africains islamisés, enfin par ces derniers allies aux colonialistes blancs, l’Afrique de Yambo est appelée avec ironie du désespoir-la négraille-toujours condamnée à subir les vexations les plus infâmes dans un univers fait de violence. Pour lui, on ne peut être fièr de l’Afrique qu’en fixant la réalité en face au lieu de pratiquer  la politique de l’autruche..

Lilyan Kesteloot apprécie

Pour Lilyan Kesteloot , l’une des  grandes spécialistes de la littérature africaine "Le Devoir de violence" est un roman a clef où sont exposées des démêlées des maîtres et des populations autochtones de la région natale de l’écrivain.

La cabale médiatique

 internationale

 Yambo sera accusé d’emprunts à de grands auteurs du patrimoine français : Hugo, Flaubert, Maupassant et de contemporains tels que Graham Greene ou André Schwartz Bart, etc.… Alors une cabale médiatique s’organise  contre sa personne et tente de  ruiner sa célébrité.  L’éditeur, au lieu de défendre l’auteur, retire le roman des librairies. Les bibliothèques universitaires suivent son exemple en enlevant l’ouvrage de leurs rayons. Mais aucune critique n’avancera concrètement un argument littéraire valable qui résiste réellement aux lois complexes du collage littéraire ou du pastiche. Moins encore le plagiat. Et des intellectuels africains se tairont pour la grande majorité sans raison propre et dans la plus grande indifférence .Et cela depuis 1969.  Timidement certains professeurs prennent leur  courage  à deux mains et enseignent  l’œuvre dans les programmes scolaires et universitaires.

   La tentative de diminuer l’homme n’a pas résisté au temps. Le chef-d’œuvre a survécu. . . Le Devoir de violence est réédité par le Serpent à plumes en 2003 et c’est la nouvelle génération des critiques africains qui saisit enfin ses différents niveaux de lecture.

Le décodage du roman par la critique contemporaine

 Pour Sawanou Diabla " la grande innovation n’est pas seulement d’ordre thématique. Comme dans chaque œuvre d’art digne de ce nom, au renversement thématique correspond un renversement d’ordre formel. Ainsi OuologuemYambo, très loin  d’adhérer au réalisme plat, classique, référentiel,  envahit sans vergogne le champ des techniques des plus sensibles et ironiques de l’écriture occidentale, mettant la main sur ses œuvres d’écrivains importants et les convoquant à la construction de son roman, franchissant les barrières entre les littératures.  Une œuvre d’art est universelle ou n’est point. Ouologuem le sait parfaitement dans son refus de la négrité. (Nouvelles écritures africaines. L’Harmattan 1986)

   Denise Kacou Koné écrit : " pour Yambo, il s’agit de reformuler la philosophie de base des sociétés traditionnelles africaines en ne la reniant aucunement mais en considérant également les aspects négatifs de ces sociétés. " Le Devoir de violence   est essentiellement intellectuel et c’est en ce sens qu’il nous parait important d’établir un parallèle entre la démarche de l’écrivain malien et celle de Soyinka. Les écrivains africains qu’ils soient francophones ou anglophones participent d’une même réalité.( Denise Kacou Koné. Shakespeare et Soyinka , le théâtre du monde. Ed ; NEA, 1989.

-Accusé de plagiat, Le devoir de violence de Yambo Ouologuem reparait après  trente ans interdiction. Flamboyant, il renverse  les  clichés liés  à l’Afrique précoloniale. Affirme Christophe Kantcheff  dans " Politis " P 9 2003.

   A voir les dérives qui naissent de nos jours dans différents pays africains, liées à la conjoncture internationale, on se rend compte que Yambo a tiré la sonnette d’alarme en signal précoce.

  Yambo et le cinquantenaire

 En cette année du cinquantenaire du Mali, un hommage doit être rendu à Yambo, premier  prix Renaudot du Continent africain, à l’intellectuel malien de haut vol. Cet honneur, il le mérite   pour nous avoir très tôt mis en garde contre nous-mêmes contre notre mauvaise conscience. Tout comme Aimé Césaire, dans la Tragédie du Roi Christophe, à l’adresse des jeunes nations africaines. Parce que Yambo a été le novateur du réalisme critique dans la fiction romanesque africaine après les indépendances et aussi le repère des littératures jeunes d’aujourd’hui, des littératures vivantes, de littératures politiques caractéristiques qui sont autant de qualité pour le présent et autant de garantie pour l’avenir. Surtout, parce qu’il demeure, incontestablement un grand témoin de l’Histoire et du Temps. Cette action est à entreprendre dans le seul intérêt de la jeunesse africaine qui a le droit de s’approprier notre bilan pour pouvoir se situer et rendre compte un jour à son tour aux générations du centenaire de notre pays.

                                                 Fin

Pr. Gaoussou DIAWARA

 

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