Nous avons toujours eu les hommes pour penser les meilleures idées ou prendre les meilleures initiatives qui soient. Avec la pratique ou par simple jalousie, le Mali laisse tomber dans les oubliettes certaines initiatives, fussent-elles bonnes et adéquates, pour la seule raison qu’elles viennent de gens qui ne sont plus en place. La Biennale Artistique et Culturelle du Mali a vu le jour sous un régime socialiste, juste après les indépendances sous le nom de Semaine de la Jeunesse. Une façon pour le pouvoir de fouetter la fibre patriotique du Malien et de prôner un mieux vivre ensemble. Revisitons les créations de l’époque.
C’est sous le régime de l’Union Démocratique du Peuple Malien(UDPM), que nous avons par la suite combattu et évincé parce qu’il était autocratique et dictatorial, que la Biennale a connu ses heures de gloire, jonglant même entre activité artistique et sportive. Elle est devenue presque internationale. Certains dirigeants des pays voisins se sont “abonnés” à notre fête, d’autres s’en sont inspirés. La participation à la Biennale était une obligation pour les artistes retenus. Un grand honneur et un immense plaisir pour bon nombre de jeunes, sous la conduite de l’Union Nationale des Jeunes du Mali (UNJM). Le grand rassemblement de la jeunesse nationale s’est tenu, d’une façon ou d’une autre, jusqu’à l’apparition de nos frères égarés, puis bandits armés en 1990. Le pays entrait dans une situation d’instabilité. La suite, on la connaît. Quand après les élections, un des “nôtres” a été porté au pouvoir sous les couleurs d’un autre parti dit socialiste, qui se réclamait du régime initiateur de la Biennale, pour nous, tout allait repartir sur des bases encore plus saines. Combien d’hommes ont cité le discours mémorable de ce Ministre de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture, devant le Secrétaire Général du Parti unique et le monde à l’ouverture de la Biennale 78 ? C’est ce Ministre qui a fait entrer le kotèba dans les salles de spectacles en envoyant les comédiens du Groupe Dramatique National en voyage d’études à Massantola, Markala voir cette forme de théâtre traditionnel et l’adapter à nos salles. Difficile à croire, mais c’est ce même Ministre, avec oméga en plus cette fois, qui a pris en otage la culture et la jeunesse maliennes. Il n’a rien fait pour qu’elles s’expriment et s’épanouissent. Bien au contraire, avec cet homme de la culture, les Ivoiriens et autres sont venus diriger la manifestation d’ouverture de la CAN 2002. Ils étaient obligés de sous-traiter avec des Maliens qui, pour la plupart, ont refusé. Cet “intellectuel” a pris un décret mettant à la disposition de la presse et de la création 200 Millions. La presse et l’information ont toujours eu leur argent. Par contre les artistes et créateurs n’ont jamais pu mettre la main sur ce qui avait été “mis à leur disposition”. Certains disent que les 200 Millions des artistes étaient ajoutés à la cagnotte du Ministère de la Culture bis qui se trouvait à Koulouba et organisait Tabalé. L’homme de la culture n’a jamais voulu de la Biennale et des artistes. Qui mieux que lui connaît leur force de dénonciation et par-là, de destruction pour un régime? “C’est un couteau à double tranchant” dit du théâtre le doyen Aguibou DEMBELE. C’est sûrement la raison pour laquelle l’ex-bon Ministre de la Culture, en prenant du grade, ne s’est jamais donné le temps ni les moyens d’organiser la Biennale. Quand il a nommé son ami feu Pascal Baba COULOUBALI, paix à son âme, comme Ministre de la Culture, une réflexion a été organisée autour de la Biennale. En 2001 donc, un an avant la fin du dernier mandat présidentiel d’alors, Pascal organisait contre vents et marées la Semaine Nationale des Arts et de la Culture. Le Grand Chef se serait fâché et aurait demandé à un Conseiller:”(Ne Ko, nin b’a sèbè la?)”Dis-moi, le Monsieur est-il sérieux ?
En tous cas, le Grand Chef n’est jamais venu, le Chef non plus et le gouvernement a naturellement boycotté la manifestation. Le jour de l’ouverture de la SNAC, un avion emportait la délégation présidentielle pour une visite officielle aux Amériques alors que ses prédécesseurs se faisaient un honneur à être présents tout le long de l’événement. “On n’est jamais mieux trahi que par les siens” dit-on. En 2002, quand Monsieur a passé le témoin à son frère et ami en béret rouge qui, il faut le dire c’est normal, parlait le français sans respect des règles, nous étions résignés. Contre toute attente, le militaire a organisé quatre fois la grande messe, le grand rassemblement de la jeunesse et des artistes. On a même mis en place une Permanence de la Biennale, rénové des salles de spectacles. La taille des délégations est limitée à 90 personnes (artistes et encadrement compris). Avec Sudu Baba que certains qualifiaient d’inculte, la Biennale a vécu : les disciplines sont primées et on tente de vendre les produits de la Biennale ou de les exploiter entre deux éditions. L’événement est sponsorisé et les artistes ont droit au matelas avec moustiquaire, à la bonne bouffe. Un pécule de 25 000 f CFA est versé par participant. Ce militaire reformé, Grand cousin, a fait mieux que l’homme de culture et de la culture, mais disons qu’il pouvait mieux faire.
Après deux ans de pouvoir, le Prince du Manden, qui a été le Premier Ministre et sauveur du régime de l’instituteur, n’a pas encore tenu de Biennale. Par ces temps, est-ce que le Mandenka va vouloir faire comme son ex-Grand Chef qui ne semble plus être son frère et ami ? Les temps sont troubles et les urgences sont nombreuses, mais en ces périodes d’Accord pour la paix et la réconciliation, nous avons plus que jamais besoin de la Biennale Artistique et Culturelle, d’échanges, de vivre ensemble, de cohabitation et même de promiscuité. Si la Biennale n’existait pas, il aurait fallu l’inventer maintenant pour gérer cette période. Point n’est besoin de réinventer la roue. Puisque les pères de l’indépendance ont eu la lumineuse idée de l’inventer, pour les besoins du temps, il faut en user sans retenue. La Biennale doit être relancée, c’est un impératif de la revitaliser en y apportant des innovations attractives. Il est urgent de la tenir maintenant. Au moment où les Biennales se suivaient régulièrement, les jeunes des régions différentes étaient impatients de se retrouver dans la même ville. Des artistes comme Ben HAIDARA de Kayes, feu Cheikna Sidi Mohamane de Tombouctou, J P Tita de Kidal, Papa Sidi de Gao…n’appartenaient à aucune région et se sentaient aussi bien à l’aise dans la délégation de Sikasso que celle de Ségou ou Mopti. Ils étaient seulement des artistes, des Maliens. Ils peuvent retrouver un frère dans presque toutes les villes du Mali. Ben m’a dit un jour :” NDogo, il n’y a pas de ville au Mali où je sois obligé d’aller à l’hôtel. Et si je le faisais, des gens me feraient des histoires s’ils me rencontrent en ville”. Au moment où des Maliens sont en train de tirer sur d’autres Maliens, rien que pour faire mal à l’Etat, il faut créer ou renforcer cette fraternité, car on ne tire pas sur un frère et on ne tire pas sur le frère d’un frère. L’intégration ne se décide pas dans un bureau climatisé ni par les politiciens. Qui peut mieux parler d’intégration que les jeunes et les artistes ? Laissez-les vivre ensemble deux semaines, les barrières se dissoudront dans le rythme et s’envoleront avec le son.
La dernière édition de la Biennale date de décembre 2010 à Sikasso. Il y a peu de chance que les régions reviennent avec un grand nombre de ceux qui y ont participé. Les jeunes doivent se trouver et se retrouver encore et encore pour que les liens de fraternité se multiplient et se fortifient. “Quand vous avez vécu certaines situations ensemble, traversé des épreuves, il y a des liens qui se créent et plus forts que le lien de sang”. À la place de l’actuel Président, place que je ne convoite pas quand même, je ferais de la Biennale une priorité gouvernementale. Elle concerne aujourd’hui trois départements ministériels : Ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme, Ministère de l’Emploi, de la Formation Professionnelle, de la Jeunesse et de la Construction Citoyenne et Ministère de la Réconciliation Nationale.
Propositions: Les trois Ministères doivent mutualiser les efforts humains et financiers, faire un dossier en sollicitant l’appui financier de la MINUSMA et de l’Union Européenne en insistant sur les aspects réconciliation et paix de l’activité. La mise en œuvre sera confiée au Ministère de la Culture qui dispose du personnel qualifié. Pour que l’événement ne soit pas un flop, il faut rigoureusement limiter la taille des délégations. Au lieu de 90 que certaines délégations dépassaient, sans conséquence vis-à-vis des organisateurs, on ferait des délégations de 60 personnes (artistes et encadrement compris). Il ne sert à rien de mobiliser quelqu’un pendant deux mois ou plus alors qu’il ne participe qu’au Chœur et ou figure à l’Ensemble Instrumental. Cet élément n’a rien d’un artiste et on peut allègrement s’en passer. Il faut des gens engagés, multidisciplinaires et perfectibles artistiquement. Encore faudrait-il qu’ils aient quelque chose à démontrer et à donner sur ce plan. La Biennale doit donner des artistes, à tous les coups. Après chaque édition, on doit s’attendre à des révélations, en voix, danse ou instruments. Une délégation de soixante personnes est plus facile à entretenir, à transporter. Au lieu de 25 000, on donnerait 100 000 FCFA par participant. La masse à partager serait de 54 Millions entre les participants. Pour certains Maliens, ce n’est rien, mais c’est beaucoup d’argent pour un jeune talentueux de Dioïla qui aurait manqué de participer aux travaux champêtres à cause de la Biennale. Avec cet argent, il peut acheter plus d’une tonne de maïs ou de mil en période de récolte. Quelqu’un qui apporte une telle contribution dans la famille, on ne peut le marginaliser ou le traiter de fainéant, comme c’est très souvent le cas lorsqu’il s’agit d’un artiste. Le regard de la famille va changer sur l’artiste. Une des plaies des éditions précédentes a été la non exploitation judicieuse des produits de la Biennale. Une fois la clôture terminée, on se sépare en se disant à la prochaine, avant la prochaine édition, rien n’est fait pour pérenniser les acquis ou les rentabiliser. À la fin de la Biennale, on peut faire une sélection des meilleurs numéros, constituer une troupe de 60 personnes qui va s’appeler la Troupe Nationale de la Biennale. Cette sélection se fera de sorte qu’il y ait un numéro de chaque région, si possible, et des artistes de chaque délégation. La troupe de 60 artistes ainsi constituée fera un temps d’internat pour répéter les numéros sélectionnés. Elle présentera le spectacle dans toutes les capitales régionales et certaines grandes villes susceptibles de faire recette. Chacun des membres de la Troupe Nationale de la Biennale s’imprégnera ainsi des cultures des autres régions présentes. À la fin de la tournée, les membres de la Troupe Nationale auront tissé d’autres liens encore plus forts et constitueront une famille. Tous les spectacles mobiliseront grand public, car les gens viendront pour les meilleurs numéros, une sorte de synthèse de la Biennale, aussi pour voir et apprécier ce que sa région a présenté à la rencontre nationale des jeunes. Ceux qui ont participé à la Biennale feront le déplacement pour voir s’il y a eu des améliorations par rapport à ce qu’ils ont vu. Les artistes sélectionnés participeront ainsi à un autre niveau de formation dans leur domaine avec les échanges pendant ce deuxième rassemblement.
À la fin de la tournée la Troupe Nationale de la Biennale va enregistrer, dans les meilleures conditions possibles, son spectacle en vue d’une production à commercialiser. Lors de la Biennale, trois Prix sont décernés par discipline. Cela est encourageant et le montant des prix sera fonction du budget. Les prix individuels consistent à encourager les meilleurs talents qui se sont distingués. Beaucoup de ces lauréats ont fait carrière plus ou moins réussie. Tout dépend de l’ambition de l’artiste et du milieu dans lequel il s’est installé. Ont fait leurs premières vraies armes aux Semaines et Biennales, des artistes comme Aïra ARBY, Fissa MAIGA, Feue Fantani TOURE, Habib DEMBELE, Michel SANGARE, Samba NIARE, Babani KONE, Harouna BARRY…
En matière d’écriture dramatique, il serait bien de songer à décerner un prix. Les auteurs des pièces de Biennale ne sont ni cités ni reconnus, encore moins distingués. On parle seulement de la pièce de Kayes,…Ne serait-ce pas bien d’ajouter écrite par x ou y. Ce sont des écritures individuelles et ces artistes ont besoin d’être reconnus comme signataires. On ne sait jamais, ceci peut aboutir à une ouverture. Pour évaluation, il ne faut pas tomber dans le petit travers des financiers qui voient tout en monnaie sonnante et trébuchante. En investissant vingt francs, ils s’attendent à récolter au moins vingt-cinq francs. Essayons de mettre en avant l’aspect humain, l’impact : le rapprochement et l’intégration qui se font pendant ces différentes phases ne sont pas négligeables. Chaque rencontre compte dans les rapports humains, et peut revenir bonifiée. Les meilleurs des artistes, qui le désirent, seront engagés dans les formations nationales (Groupe Dramatique, Ballets Maliens, Ensemble Instrumental et Badema National) pour l’exploitation et la pérennisation de notre culture. Ils deviendront des contractuels du Palais de la Culture qui abrite le Théâtre National. La carrière d’artiste n’est pas liée au diplôme. Même sans formation académique, ils deviendront des professionnels, avec une marge de progression sans limite. Une bonne carrière dépend des opportunités que l’artiste a su saisir au vol et des rencontres qu’il a su exploiter. Nous avons les artistes professionnels, les artistes de profession et les artistes de formation. Ceux-ci auront toutes les chances de faire des sorties et de faire des rencontres professionnelles.
La Biennale artistique et culturelle doit être gérée comme une affaire hautement culturelle rentable. Elle est trop sérieuse pour être mise à la disposition des seuls bureaucrates qui, bon an mal an, ont leurs salaires et peut-être per-diem ou frais de mission. Il faut que quelqu’un soit plus engagé et dépende presque de la réussite de l’événement. Pour cela, on peut, ou mettre en place un Bureau Permanent de la Biennale, qui pourra s’adjoindre certains agents de l’Etat ou carrément lancer un appel à proposition pour confier l’activité à un organisme privé qui sera évalué à la fin. Cette deuxième hypothèse doit faire l’objet d’une étude plus approfondie, mais il y va de la réussite et de la valorisation de ce que nous avons en propre. La Biennale peut être et a été imitée mais jamais égalée. Pour mieux servir la passion du service public, il faut arriver à trouver une émission dans le programme de la télévision nationale. Cette émission devra être exclusivement consacrée à la Biennale : les images d’archives, interviews, débats sur la Biennale, perspectives,…La périodicité, l’horaire de diffusion, les modalités d’enregistrement feront l’objet de négociations ou pourparlers avec l’ORTM.
En terminant cette contribution, je prie ardemment pour que Sébéninkoro se démarque totalement de Titibougou, en offrant à la jeunesse malienne cette Biennale dont elle a tant besoin, en faisant mieux que Djikoroni Para, qui a tenu haut le flambeau de la culture, au même niveau que Sebetou. Les Présidents militaires mènent au score, faites nous honneur, Excellence Monsieur Le Président.
Mamadou Sangaré Dioilais administrateur des arts et de la culture
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