La compagnie BlonBa présente Vérité de soldat. Un docu-fiction construit autour de personnages historiques et qui revient sur la dictature de Moussa Traoré. Bouleversant.
« Ce qui porte atteinte à l’Afrique, c’est la peur de la vérité », affirme l’un des personnages de la pièce Vérité de soldat* présentée à Bamako du 7 au 29 janvier. Comment se construire alors si l’on occulte certains épisodes de son histoire? s’interroge Jean-Louis Sagot-Duvauroux, l’auteur de ce docu-fiction théâtral qui revient sur les cinquante dernières années du Mali et évoque sans faux-semblants les années noires du régime militaire de Moussa Traoré (1968-1991). Une pièce bouleversante qui vient clore les célébrations du cinquantenaire de l’indépendance du Mali qui ont ponctué 2010.
Inspirée de Ma vie de soldat (publiée aux éditions La Ruche à livres), récit autobiographique du capitaine Soungalo Samaké (magistralement interprété par Adama Bagayoko), l’un des hommes forts du régime de Moussa Traoré, cette pièce évoque l’amitié fort troublante qui s’est nouée entre ce militaire et l’une de ses victimes, Amadou Traoré (Michel Sangaré). Une histoire vraie. Amadou Traoré a été l’un des opposants que Soungalo Samaké fit torturer et emprisonner pendant dix ans au bagne de Kidal (nord du Mali) et à qui le tortionnaire osa demander de publier son histoire… À travers le parcours hors du commun de ces deux personnages historiques, Vérité de soldat surprend par son audace.
« C’est de l’inavouable qui sort »
« Lors de la répétition générale, le public a été subjugué par le fait que l’on évoque la dictature, les viols, la répression… des choses que les gens taisent habituellement », explique l’auteur, qui partage sa vie entre la France et le Mali depuis une trentaine d’années. « Cette pièce, poursuit-il, c’est de l’inavouable qui sort. » Jean-Louis Sagot-Duvauroux a créé un troisième personnage, fictif celui-là, Catherine (Maïmouna Doumbia). Née du viol collectif des femmes du quartier de Djikoroni par les hommes de Soungalo Samaké, elle incarne une nouvelle génération. Elle souhaite empêcher la publication de Ma vie de soldat. Car cette histoire est une « atteinte à l’honneur des Bamanans ». « Qu’est-ce qui porte atteinte ? lui rétorque l’éditeur, la vérité ou dire la vérité ? »
La mise en scène épurée confère à la pièce toute son intensité dramatique et offre au Mali la catharsis nécessaire à sa construction comme nation, à l’édification d’un nouveau « vivre ensemble ». Sur le plateau, le tortionnaire fait face à ses victimes, Catherine et Amadou. Vérité de soldat, c’est le procès des acteurs de la dictature. Mais un procès qui ne condamne pas. À l’instar de la Commission Vérité et Réconciliation de l’Afrique du Sud postapartheid, il offre la possibilité à la société malienne de panser ses plaies et lui transmet son histoire. « L’immense majorité de la jeunesse malienne est aujourd’hui urbanisée et débranchée de tous les canaux de transmission, précise Jean-Louis Sagot-Duvauroux. C’est pourquoi, avec Alioune Ifra Ndiaye, nous avons fondé la compagnie BlonBa en 1998 pour faire du théâtre qui s’adresse d’abord au public malien. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles cette pièce est jouée en bamanankan, pour qu’elle soit accessible à tous. » Une initiative salutaire.
A DIAKITE