Tu as consacré toute ta vie au cinéma. Tu auras vécu par et pour le cinéma, au point d’y embarquer toute ta famille, tous tes proches et un homme comme moi qui, avant notre fameuse rencontre du 22 février 2020, ne s’était jamais imaginé cinéaste.
Bravo pour ton cinéma tonton : naître pour le cinéma, vivre pour le cinéma et mourir dans le cinéma. Oui, ta vie était intrinsèquement liée au septième art et les événements ayant précédé ton rappel à Dieu le démontrent à bien des égards :
- Tu es revenu de Banjul le lundi 17 février et de l’aéroport, tu t’es rendu directement au Centre national de la cinématographie du Mali pour, d’après toi, nous apporter ta bénédiction avant notre départ pour Ouagadougou. Tu m’as raconté tout l’honneur que tu as reçu en Gambie et souhaité que j’adresse une lettre de remerciement aux organisateurs du festival qui t’avaient invité. Et, comme jamais auparavant, nous avons parlé cinéma. Tu étais si fier de voir notre pays revenir dans la compétition officielle long métrage fiction du Fespaco.
- Le mardi 18 février 2025, tu m’as invité à la maison. Nous avons bavardé, encore cinéma, pendant plus de 3 h d’horloge. Tu m’as parlé du cinéma malien, de ton rêve pour le cinéma africain. Tu m’as parlé de tes déceptions. Tu m’as parlé de tes fiertés. Tu as surtout évoqué quelques projets qui te tenaient encore à cœur : l’édition de tes mémoires, la transformation de ta maison personnelle en musée du cinéma, la finalisation de ta bibliothèque, la réhabilitation des salles de cinéma au Mali et ton projet de film, le dernier que tu comptais faire pour aller conquérir la palme d’or.
- Le mercredi 19 février, tu as tenu une conférence de presse pour parler encore cinéma, de tes récentes distinctions, de tes rêves pour le cinéma malien et surtout du Fespaco. Le Fespaco qui, comme par prédiction, t’avait rendu un vibrant hommage en te confiant la présidence du jury long métrage fiction.
Bravo Boua pour ton cinéma. Le dernier film de ta vie reste certainement le plus emblématique de ton passage sur terre. Partir à l’orée du Fespaco, dans un contexte où tous les projecteurs étaient braqués sur toi, et juste après la tenue d’une conférence de presse sur le cinéma illustre à juste titre la relation particulière qui te liait au cinéma.
Ce 22 février 2025 me rappelle un 22 février 2020. Le premier jour que je t’ai rencontré physiquement. Tu m’avais invité à la maison, après avoir regardé mon premier long-métrage Le Voile secret. Tu m’avais conseillé ce jour de m’investir pleinement dans le cinéma et d’en faire mon activité principale. Je t’avais rétorqué que le cinéma n’était pas ma vocation et que Le Voile secret était un simple coup de tête. Par contre, je t’avais promis de consacrer 25 % de mes activités au cinéma.
Cinq années après cette fameuse rencontre, le cinéma est devenu mon activité principale. En cinq ans, j’ai réalisé plus de dix œuvres, produit plus d’une cinquantaine, remporté plus de 30 distinctions, parcouru le monde entier, monté un écosystème qui profite directement à plus de 30 jeunes cinéastes, fait les plus belles rencontres de ma vie, appris énormément de choses, grandi en tant qu’être humain. Je te dois Tout Boua. Je te dois mes inspirations, ma passion pour le cinéma, la magnifique carrière que je vis actuellement et surtout cet immense privilège de voir trois de mes œuvres sélectionnées dans cette édition du Fespaco.
Tu peux être fier Boua. Fier d’avoir marqué ta vie. Tu peux être fier d’avoir nourri des passions. Ton héritage artistique perdurera à jamais et tes valeurs cinématographiques, celles de la créativité, de l’authenticité, du travail bien fait, de l’engagement et de l’humilité, continueront incontestablement à guider les pas de la nouvelle génération. À travers tes enfants biologiques (Fatou, Soussaba, Baba que je côtoie), tes enfants artistiques (auxquelles je m’identifie) et tous les cinéastes du monde que tu auras inspiré, ton immense héritage artistique sera préservé, transmis et renouvelé.
Nous veillerons à ce que l’humanité retienne, qu’au-delà de l’artiste, Souleymane Cissé était à la fois un humaniste, un fervent défenseur de la justice sociale, un militant engagé pour les droits de l’Homme, un patriote convaincu, un homme modeste, un homme profondément pieux, un martyr emprisonné et persécuté pour ses convictions artistiques et surtout une source d’inspiration intarissable. À travers nos œuvres, nous continuerons à te rendre hommage en faisant ce que tu attendais toujours de la nouvelle génération : faire des films, raconter nos histoires et sortir des sentiers battus… Coûte que coûte, vaille que vaille et advienne que pourra. Dors en paix Boua.