La tenue de la Biennale artistique et culturelle a été empêchée deux fois en quatre mois. Empêchée par la préparation du Sommet Afrique-France. Empêchée, plus exactement remplacée au dernier moment par la Conférence d’entente nationale. Je suis indigné. Qui en veut à la Culture ? Je voudrais faire de ma plainte un chant d’amour pour ne plus savoir que je souffre. Je crois que chaque rivière a sa propre source. Je crois que si la petite souris abandonne le sentier de ses pères, les pointes du chiendent lui crèvent les yeux.
En septembre dernier, lors du lancement officiel de la Biennale, le président de la République du Mali disait que «cet événement est un pas de plus vers la Paix», et pourtant, deux rencontres jugées plus importantes que ce pas vers la Paix ont fait reporter, si ce n’est annuler la Biennale. Tous les politiciens maliens n’ont que le mot Culture à la bouche, et pourtant ils la piétinent. Ils la piétinent, et pourtant, l’avant-projet de loi de révision de notre Constitution, récemment adopté par le Conseil des Ministres, fait référence dans son préambule à la Charte de Kuru Kan Fuga. Les décideurs de notre pays invitent les artistes à se produire à chaque cérémonie de clôture d’événements internationaux pour montrer la grandeur de la Culture du Mali, et pourtant, ils la piétinent dès il s’agit d’Economie ou de Politique. Nos politiciens ne sont-ils pas comme le petit oiseau de la fable de Jean de La Fontaine qui se pare des plumes du paon pour se pavaner ?
Piétiner la Culture, c’est faire injure à toutes les Maliennes et à tous les Maliens qui s’accrochent à elle comme à une bouée de sauvetage depuis que notre pays a basculé dans le chaos. C’est faire injure à ceux qui «grèvent» car ils n’en peuvent plus. C’est ne pas entendre ceux qui critiquent le système qui piétine la Culture comme le reste. Piétiner la Culture, c’est faire injure à nos ancêtres, à nos griots, artistes et artisans disparus qui nous l’ont léguée. Piétiner la Culture, c’est nous faire injure à nous, les acteurs culturels actuels, les artisans, les écrivains et poètes, les dramaturges, les comédiens, les humoristes, les danseurs, les chanteurs, les musiciens, les rappeurs, les créateurs de mode, les peintres, les photographes, et tous les autres.
Piétiner la Culture, c’est faire injure à Tara Boiré, Banzoumana Sissoko, Hamadou Hampâté Bâ, Lamissa Bengali, Youssouf Tata Cissé, Djeli Baba Sissoko, Fanta Damba, Bako Dagnon, Ali Farka, Moriba Koita, Bakary Soumano, Harouna Bari, Seydou Keita, et tous les autres. Qu’ils me pardonnent de là où ils sont de dire leurs noms. Ils sont la Culture. Piétiner la Culture, c’est faire injure à Salif Keita, Cheick Tidiane Seck, Kardjiké Laïco Traoré, Toumani Diabaté, Abdoulaye Konaté, Tata Bambo, Bourama Soumano, Ami Koita, Kandia Kouyaté, Haira Arby, Abdoulaye Diabaté et tous les autres. Qu’ils me pardonnent de citer leurs noms. Ils sont la Culture.
Piétiner la Culture, c’est faire injure à Seydou Badian Traoré dit Kouyaté, Cheick Oumar Sissoko, Souleymane Cissé, Ousmane Sow, Mamou Daffé, Ismaël Maiga, et tous les autres. Qu’ils me pardonnent de citer leurs noms. Ils sont la Culture. Piétiner la Culture, c’est faire injure à tous ceux que nous écoutons dans nos voitures, dans nos salons, à tous ceux que nous regardons dans nos émissions préférées. Piétiner la Culture, c’est nous piétiner toutes et tous, car chez nous, la Culture, c’est quand nos enfants nous respectent, c’est quand nous respectons nos irréprochables papas et mamans. Notre Culture, c’est notre façon de voir et penser la vie, c’est notre façon de nous saluer, de nous raconter l’histoire de nos familles, de nous plaisanter, c’est notre façon de manger, de marcher, de porter le grand boubou.
Notre Culture, c’est la sécurité sociale naturelle qui existe entre nous, c’est l’entraide, c’est la fraternité. Notre Culture, c’est notre humanité. Notre Culture, c’est éduquer nos enfants en leur disant des contes. Notre Culture, c’est chanter, c’est danser, c’est jouer de la kora, du balafon, du ngoni. Qui en veut à la Culture ?
Comme tous les évènements de ce genre, la Biennale n’a fait que renforcer cette culture-là, celle dans laquelle nous sommes nés. Notre Culture est le ciment qui a construit notre société, le ciment qui nous a permis de résister à travers le temps. Notre culture est notre patrimoine. Notre Culture est le garant de notre stabilité sociale. Notre Culture nous permet de tenir debout depuis plus de cinq ans. Piétiner la Culture, c’est sans doute vouloir augmenter le chaos. On ne se rend compte de l’utilité des fesses que lorsque l’on veut s’asseoir. Ce n’est pas parce qu’il est non voyant qu’un aveugle doit refuser de se laver le visage. Je suis indigné, et si je ne le disais pas, ce serait une démission. Qui en veut à la Culture ?
Habib Dembélé, Guimba national
Samedi 25 mars 2017
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Journées Théâtrales Guimba national 2017 (Bamako- du 17 au 23 juillet) : Habib Dembélé appelle les jeunes troupes à s’inscrire aux compétitions
J’incite les jeunes troupes vivant dans toutes les régions du Mali à poser leur candidature. À partir du 3 avril 2017, leurs responsables pourront demander à leur Direction régionale de la culture le règlement des compétitions et le formulaire d’inscription. La 3ème édition des Journées Théâtrales Guimba National (JTGN) est placée sous le signe de la lutte contre l’émigration clandestine. Les jeunes troupes, par leurs textes et leurs talents, devront faire ressortir les causes sociales et économiques profondes qui poussent les Maliens à quitter nos familles et notre pays, dans l’espoir de trouver une vie meilleure dans ce qu’ils croient être l’eldorado occidental.
Les comédiens sauront jouer le désarroi de nos jeunes, la complicité de nos familles qui les encouragent parfois à partir, et la responsabilité involontaire de nos parents de l’extérieur qui ne leur disent pas souvent la vérité sur la difficulté de vivre en Occident. Grâce à leur créativité et leur talent, grâce à des arguments contradictoires solides et originaux, les troupes sauront convaincre nos candidats à l’exil clandestin qu’il existe d’autres choix que de partir risquer leur vie dans le désert et sur la mer. Les troupes sauront leur apporter des solutions concrètes afin qu’ils utilisent l’argent qu’ils tentent de rassembler pour payer des passeurs à se construire un avenir au pays.
Au Mali, notre théâtre a toujours été un des moteurs de la prise de conscience sociale et politique. N’oublions pas que l’art théâtral est l’arme la plus efficace et la plus pacifique pour toucher le cœur et l’esprit des gens. Notre pays se vide de ses forces vives. Nos jeunes sont humiliés, maltraités tout le long de leur exil clandestin, beaucoup sont avalés par la mer. Ils emportent avec eux leur dignité et celle de notre pays.
Le talent de nos jeunes troupes de théâtre contribuera à freiner cette hémorragie. Leur créativité contribuera à ouvrir les yeux des responsables de notre pays. J’encourage donc nos jeunes troupes de théâtre à répondre à cet appel à candidature. Le dossier d’inscription et le règlement des compétitions des JTGN 2017 les attendent aux bureaux des Directions régionales de la culture dès le 3 avril 2017.
Habib DEMBELE, Guimba national