Le Gankhouran, ce masque symbole et courroie de transmission de deux mondes, est en voie de disparition.
La Commune Rurale de Faléa est une très vieille aire culturelle au patrimoine très riche et varié. Fondée il y’a plus de 743 ans, elle est occupée par plusieurs communautés (dialonké, peulh, malinké, diakhanké) qui, après une première courte période de conflits et de rivalités, ont trouvé des modalités appropriées pour construire un « modus vivendi » non seulement pacifique mais également caractérisé par l’interdépendance économique, le brassage social, physique et culturel, la symbiose, la cohésion et la solidarité.
Les populations ont développé une multitude de pratiques et de manifestations culturelles très importantes par leurs qualités esthétiques, leurs fonctions sociales et leurs logiques symboliques. Le masque « Gankhouran » en est, incontestablement, l’élément le plus représentatif.
Le “Gankhouran”(en langue dialonké) ou “Diankhouran” (en langue malinké) est un masque fabriqué et porté avec l’accord des êtres du monde invisible (ancêtres, parents et amis ou alliés défunts, esprits bienveillants de la brousse) pour faire passer leurs messages (recommandations, mise en garde, demandes d’offrandes, etc.), intervenir manifestement dans leur existence matérielle, révéler la vérité et trancher en cas de conflits ou litiges, prédire l’avenir au cours de scènes-spectacles de communion collective. Il est, à la fois, une rupture symbolique avec la communauté (le port d’un costume spécial de tissus constitué des bandes de cotonnade ou de filets teints d’écorce d’arbre ou de terre avec des perles ou des cauris, de feuilles de karité aux deux poignets, à la hanche et aux chevilles signifie le refus des styles vestimentaires créés ou adoptés par la communauté, de son mode vie; c’est un acte de liberté!) et un lien, une passerelle, une courroie de transmission entre les deux mondes du cosmos, de la réalité de l’univers qui est une et indivisible en deux entités séparées.
Le masque « Gankhouran » est également utilisé dans pratiquement toutes les séquences de la vie et de l’activité sociale : production agricole (pour galvaniser l’énergie physique des producteurs), initiations (circoncision et excision), cultes des sociétés secrètes, fêtes, animations sociales, mariages, etc.
Par exemple, la danse du « Gankhouran des jeunes », une des variétés de ce masque est un spectacle offert en cadeau-surprise à un jeune couple marié et en chambre nuptiale par ses amis et camarades de la même classe d’âge (qui ont été initiés en même temps qu’eux lors de la circoncision/excision).
Ce type de masque entre au village le soir (soit entre 17H30 et le crépuscule) et reste jusqu’à ce que la nuit s’impose. Il se produit sur la place publique du village. Il célèbre l’amour et la vie, convoque les mânes des ancêtres, les esprits des parents, amis et alliés défunts, les génies bienveillants de la brousse pour apporter et assurer durablement au couple en noces, santé, longévité, prospérité et une nombreuse progéniture, gage de soutien de vieillesse et de perpétuation des deux lignées ainsi croisées.
Les jeunes filles et les femmes jeunes-adultes se joignent à la réjouissance, forment un cercle autour des danseurs de Gankhouran et de leurs instrumentistes pour les applaudir, les encourager, chanter et danser tour à tour avec eux mais également honorer les masques et leurs porteurs (qui ont, en cette occurrence, un pied dans le monde invisible et communiquent avec lui) par des mouvements d’ensembles séquentiels d’accroupissement et de révérence à leurs passages près d’elles.
Les enfants (fillettes et garçons) y participent également et saisissent l’occasion pour observer, puis apprendre les différents gestes (applaudissement, accroupissement.), surtout à chanter et à danser. Tout autre individu ou groupe d’une autre classe d’âge (adultes, vieux) peut y assister sans toutefois être autorisé à intervenir sur la scène. À tout moment, un notable ou un patriarche, invité ou passant par-là, peut demander un temps mort, féliciter, faire des bénédictions ou offrir un cadeau.
De par ses multiples fonctions (productive, de convivialité, de communication et de solidarité, mais aussi éducative et symbolique), le masque « Gankhouran », est le lien permanent, l’outil qui structure, anime et soude constamment les membres des communautés locales qui l’utilisent. Il est le garant matériel et symbolique le plus répandu, le plus efficace et le plus sûr de l’identité collective et de la cohésion sociale, fondement nécessaire et indispensable du processus du développement.
Le Gankhouran est connu dans tout le Cercle de Kéniéba, dans le Konkodougou, notamment de Kassama en passant par Dombia, les villages de Toumboumba, Goléa, Kobokoto, Guenégoré, Bayé et Gindinssou…
Les Conseil des Sages et les autorités communales de Faléa sont conscients de ces menaces liées à la modernisation qui planent sur les communautés locales et préoccupés par le manque de moyens efficaces pour y faire face. C’est compte tenu de la nécessité de préserver, de valoriser et de revitaliser ce patrimoine culturel local en péril dans le nouveau contexte de bouleversement économique, démographique, qu’ASFA 21 (Action Solidarité en faveur des 21 villages de la Commune de Faléa) se bat depuis plusieurs années pour organiser dans la Commune, voire même dans le Cercle de Kenieba, un festival de danse du masque « Gankhouran ». Si son initiative se concrétise, elle permettra sans doute de capitaliser et de promouvoir d’importants éléments du patrimoine culturel, socle de construction des communautés locales et base indispensable du développement humain durable de la Commune.
ASFA 21 envisage également de sauvegarder les éléments matériels et immatériels du patrimoine local, riche et varié, lesquels sont exposés à un très sérieux risque de disparition progressive notamment la destruction des lieux de culte et de rituels, des espaces et paysages culturels par les travaux d’excavations géantes destinées à extraire les minerais, la dégradations des valeurs culturelles ancestrales, l’acculturation de la nouvelle génération et l’abandon général des références identitaires fondamentales et des pratiques culturelles traditionnelles positives.
Nouhoum Keita
(Correspondance particulière)