Epilogue : Les savants de l’ombre

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La littérature ethnographique de la période coloniale a fait de l’Afrique un continent qui n’a rien investi, qui n’a fait que danser et chanter durant des millénaires et de rendre un culte totalement imbécile aux mânes des ancêtres. Par ce discours apparemment prenant, l’Occident voulait dire que la part prise par les Africains dans les grandes inventions scientifiques et techniques des XVIe et XVIIIe siècles était presque nulle et que sur la longue liste des savants et des inventeurs de ces siècles de progrès, ne figurait aucun Africain. rn

Le même discours visait à légitimer l’entreprise coloniale en faisant des Africains des êtres inférieurs à peine sortis de l’animalité et que l’Occident civilisé et chrétien avait le devoir historique de faire entrer obligatoirement dans l’humanité et dans l’histoire. Par ce choix, les colonialistes ont brutalement interrompu le processus d’évolution de l’Afrique et imposé le leur à des peuples qui avaient déjà leur propre système de pensée, leur façon de comprendre le monde et finalement leur propre rationalisme. Parce que contrairement à ce que prétendaient les Européens, les Africains avaient réussi à élaborer une culture ethnique qui leur permettait de maîtriser la nature même si, il faut le reconnaître, celle-ci était moins avancée que celle des Occidentaux.

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Le nombrilisme européen ne veut pas le reconnaître, mais à bien regarder les choses, on s’aperçoit qu’au moment de la pénétration coloniale, l’Afrique, surtout dans sa partie mandingue, avait fait des progrès notables dans la métallurgie, les arts, la médecine, bref dans la science. La métallurgie est un domaine que les peuples manding ont découvert très tôt. Elle fut d’abord développée dans le Ghana ancien avant de connaître son apogée sous le Sosso et le Mandé.

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Un royaume guerrier, celui de Sosso, s’est élevé sur les progrès accomplis par la métallurgie et a dominé l’Afrique de l’Ouest avant l’avènement de l’Empire Manding. Le territoire supposé être celui de Sosso et qui, selon certaines traditions, correspond à la zone comprise entre Koulikoro et Banamba, est couvert d’anciens hauts fourneaux qui servaient à la fonte du fer par les forgerons. La technique de fonte de fer était parfaitement maîtrisée par ceux-ci et ils en tiraient un fer spécial dit « gwantu-nègè », qui pendant des siècles, servit à nos forgerons à fabriquer des couteaux, des haches, des houes et les autres outils aratoires dont le paysan peut avoir besoin en hivernage.

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A partir de 1591 (désastre de Tondibi), l’invasion de Tombouctou par les Marocains commandés par Pacha Djouder permit aux forgerons du Soudan occidental d’observer de près les fusils européens et de les imiter efficacement alors que jusque-là c’étaient les arcs et les flèches qui étaient utilisés dans les guerres et les combats. Dans les armées, les soldats jouaient des instruments de musique fabriqués par eux-mêmes ou par des artisans professionnels. Ainsi, pour la mobilisation des troupes avant les combats ou pour fêter la victoire sur l’ennemi, les guerriers avaient à leur disposition beaucoup d’instruments de musique en bois, en fer (comme les buru de Ségou) ou en corne, tous de fabrication locale.

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Toute une section de l’armée de Tondion de Ségou était spécialisée dans la musique militaire dont les instruments étaient tirés du cru. La même remarque valait pour le harnachement des chevaux qui était la grande compétence des cordonniers qui étaient actifs dans la plupart des grandes villes.

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Dans le domaine sanitaire et médical, des vieux, devenus des guérisseurs traditionnels, avaient découvert qu’à chaque maladie correspondait une plante qui pouvait la soigner. Dans les villages, les vieilles personnes des deux sexes étaient chargées de rechercher les plantes, les étudier et les appliquer aux maladies. De cette manière, les pathologies étaient empêchées de faire des ravages au sein de la population.

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Dans le delta du Niger, à la même époque et peut-être bien antérieurement, s’est développée une architecture dite de terre que même les Européens ont admirée en arrivant chez nous dans la 2e moitié du XIXe siècle. Les maçons de Djenné et de Tombouctou savaient déjà construire des maisons à étages en banco avec des marges de sécurité aussi grandes que celles d’Europe. Les palais des gouverneurs et des principaux notables de ces cités ainsi que les grandes mosquées étaient en terre et tenaient debout pendant des siècles, ne demandant qu’un petit travail de crépissage de temps à autre. Dans les mêmes régions, la poterie, œuvre des potières professionnelles, était très florissante dès le début de l’empire Songhay.

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Les potières confectionnaient des vases en terre pour la cuisine et des jarres en terre pour servir de canaris d’eau et de gargoulettes. Ces différentes productions étaient destinées à la consommation intérieure et au marché extérieur. Selon des traditions locales de la 5e région, certaines potières étaient si habiles qu’elles arrivaient à façonner des pipes et des louches en terre dont des morceaux sont ramassés aujourd’hui par les archéologues pour analyse et étude.

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Sur un tout autre plan, à l’arrivée des Européens aux XVIIIe et XIXe siècles, l’Afrique mandingue était déjà habillée. Elle l’était d’ailleurs depuis l’empire de Ghana et n’a plus quitté l’habitude de se vêtir. Le tisserand est d’ailleurs une vieille figure bien connue en Afrique de l’Ouest depuis l’Antiquité et il ne faut pas penser que le port des vêtements par les Africains date des contacts avec l’Europe.

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Les historiens et les archéologues ont rapporté que la prospérité des empires du Ghana et du Mali reposait sur leur richesse en or. Dans ces deux formations politiques, très tôt se spécialisèrent des artisans dans le travail de l’or pour en faire des parures et des bijoux, ce que les Occidentaux, à la même époque, ne savaient pas faire, car ne connaissant du métal que sa valeur marchande.

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Toutes ces connaissances étaient tenues secrètes et transmises de père en fils. Elles n’étaient pas diffusées et ne bénéficiaient d’aucune promotion, d’où l’impression de vide décrite, dans le domaine des inventions, par les Européens au début du siècle passé. Mais le discours tendant à rendre nulle la participation de l’Afrique au développement des arts, de la technique et de la science doit être corrigé. Si les Africains n’ont inventé ni la poudre ni le canon comme l’a écrit Aimé Césaire, ils n’ont pas non plus attendu l’arrivée des Européens pour maîtriser la nature à leur manière et avec leurs moyens propres et manger à leur faim, contrairement aux allégations mensongères qui fusent dans beaucoup de leurs salons.

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Facoh Donki Diarra

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26 octobre 2007

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