Entretien avec Moussa John Kalapo, photographe malien : “Je me suis senti comme en prison…”

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Parti en France fin février pour un projet de résidence de création en photographie organisée par la Galerie Negpos en partenariat avec l’Institut Français de Bamako, le photographe malien, Moussa John Kalapo, y a été contraint de rester suite à l’arrivée de la pandémie du coronavirus et l’instauration du confinement en France. Nous avons pu le joindre afin qu’il nous parle de cette aventure et comment il l’a vécue en tant que “artiste visuel”. Dans cet entretien, John nous dévoile également comment il a fait le saut dans le monde de la photographie étant un comptable de formation, ainsi que ses futurs projets.

Aujourd’hui-Mali : La pandémie liée au covid-19, et le confinement qui en découle, vous ont surpris en France, comment vous vivez cet incident et pensez-vous qu’il aura un impact sur votre travail de photographe ?

John Kalapo : Effectivement, avec la pandémie du Covid-19 et le confinement, il y’a eu un impact sur mon travail de création parce que je ne pouvais plus sortir pour travailler. Mais aussi sur mes projets en cours, parce j’avais d’autres résidences et expositions dans plusieurs pays africains qui ont été annulés, suite à cette crise sanitaire. Néanmoins, je suis sur ma création étant confiné en France.

Les mesures prises par les autorités françaises suite au covid-19, notamment vous restez chez vous, vous sortez juste pour faire des courses avec une autorisation et à 1km de chez vous, pas plus. Je me suis senti comme en prison, mon objectif est dehors, je dois aller le chercher et le rencontrer.

Du coup, je ne savais plus quoi faire et c’était devenu compliqué. Moi, je suis libre dans ma tête et je dois m’exprimer sur ce que je vois. Ici, j’ai pris le risque de sortir sans autorisation pour aller photographier ses oubliés du confinement, sans tenir compte de ce qui pourrait m’arriver, soit arrêté ou verbalisé par la police. Je me suis dit je dois le faire et je m’y engage dans cette période de pandémie très compliquée.

Comment est née en vous l’envie d’être artiste photographe ?

L’envie est venue après mes études. Je travaillais pour des associations dans le domaine des Technologies de l’information et de la communication (Tics) et je faisais partie d’un collectif d’artistes vidéastes composé de maliens et français.  J’aimais toujours être derrière la caméra et voir la scène qui se passe devant et véhiculer un message de ce que je voyais. Du coup, je suis allé dans les écoles de formation en photographie pour me former d’avantage, après deux ans d’études en photographie conceptuelle au Centre de formation en photographie de Bamako (Cfp) et ensuite formation en photographie documentaire à l’école Market Photo Workshop (MPW) de Johannesburg.  Le métier de photographe m’a surtout appris une chose : à devenir un entrepreneur et à y prendre goût. Cela n’a pas été facile au début, parce qu’aujourd’hui vivre de la photographie n’est pas évident. Il faut garder le cap quoi qu’il arrive, avancer malgré ses propres peurs. Il faut aimer la liberté de pouvoir composer ses journées. Il faut oser.

J’ai pu constater que vous allez participer à Phot’Aix 20, le festival photographique d’Aix en Provence prévu d’octobre à décembre 2020. Alors dites-nous comment vous abordez ces regards croisés avec des artistes français et qu’allez-vous y présenter ?

Exactement, j’ai été sélectionné pour ce grand festival d’Aix en Provence, un regard croisé de 5 photographes africains et photographes français. Pour le moment, les organisateurs du festival   maintiennent leur programmation et nous y croyons, au moment où tous les grands autres festivals sont soit annulés où avancés à une date ultérieure, à cause de la pandémie du coronavirus.

Et nous exposerons en binôme, c’est-à-dire un Africain et un Français suivant la cohérence de notre démarche artistique.  Moi, je présente une série documentaire qui s’intitule “Empreintes de mes rêves”, vue lors des dernières rencontres photo de Bamako à la villa Soudan.

Pouvez-vous nous parler de cette série “Empreintes de mes rêves” ?  

Dans cette série, j’ai travaillé un contexte selon lequel le lit est la première vision quand un homme entre dans sa chambre, donc l’esthétique de ce lit est très important pour donner l’attirance d’y rester et aussi l’image du propriétaire. Malgré tout, par paresse ou manque de temps, peu de personnes font leur lit le matin avant de sortir. La nuit, nous pouvons revenir chauds, être en sueur et même de toutes les odeurs laissant des traces de notre peau sur les draps, créant un environnement calme ou la fin d’une histoire. L’absence est dans cette scène une présence car les draps contiennent de l’humidité et de la chaleur. Tout cela, sans que nous nous en rendions compte. Mais dans la plupart des cas, le désordre est surtout le reflet de l’âme tourmentée ou désintéressée de celui qui a bien d’autres soucis à l’esprit.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la photographie africaine et malienne, notamment cette jeune génération dont vous faites partie ?

La photographe africaine aujourd’hui bouge beaucoup et nous racontant les histoires de notre continent en mouvement. Avec les Rencontres de Bamako, la pratique photographique sur le continent a permis à la photographie malienne, depuis un temps, de révéler une nouvelle génération d’artistes et nombreux d’entre eux sont aujourd’hui reconnus sur les grandes places du marché de l’art. Cela permet ainsi une reconnaissance de la photographie malienne africaine sur le plan international.

D’après-vous, un photographe porte-t-il un regard différent sur la société et en quoi cette approche se différencie-t-elle de celle du citoyen lambda ?

Un photographe est bien-sûr différent du citoyen lambda, parce que nous exprimons ce que nous sentons au fond de nous, nos émotions, nos joies, nos angoisses, nos peines, nos tristesses et nos colères, à travers ce que nous voyons et vivons dans la société, à travers nos créations artistiques. Voilà ce que nous différencie du citoyen lambda qui se contente d’observer ou de subir sans pouvoir s’exprimer comme les photographes peuvent le faire.

Avez-vous des projets précis ou des thématiques sur lesquelles vous souhaiteriez travailler ?

Des projets, j’en ai et pas mal de thématiques en cours de création qui touchent la société dans laquelle nous vivons. Vous les aurez au moment opportun.

                                                         Propos recueillis par Youssouf KONE 

 

 

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