Au Mali, le métier d’artiste plasticien prend de plus en plus d’ampleur surtout depuis l’avènement des écoles d’art comme le Conservatoire Balla Fasséké Kouyaté, l’Institut national des Arts… Malgré tout cet engouement autour de la discipline, nombreux sont ceux qui peinent à joindre les deux bouts.
Apparu au XXe siècle, le terme plasticien est lié à la pratique des arts plastiques ; il englobe tous les artistes (photographe, peintre, sculpteur, dessinateur…).
Un plasticien est un artiste ou créateur ayant pour média d’expression artistique des techniques ou des supports matériels variés, dits “plastiques”.
Depuis des siècles, cet art est pratiqué par des milliers de personnes à travers le monde. Au Mali, il y a eu des talents, des passionnés dans toutes les disciplines de ce métier d’art mais les difficiles conditions n’ont pas favorisé l’ascension de plus d’un.
D’ailleurs de nombreuses études ont prouvé que la grande majorité des artistes plasticiens diplômés des écoles d’art ne parviennent pas à vivre de leur art et sont contraints de renoncer ou simplement le concilier avec un autre métier pour assurer leur subsistance. Pourtant cela reste une réalité au Mali au constat général. Mais les tendances changent. Qu’en est-il réellement ?
Pour Mamou Daffé, acteur culturel et initiateur de Ségou’Art Festival sur le Niger, “au Mali, il y a des artistes plasticiens qui vivent de leur art, même s’ils ne sont pas nombreux. Le Mali connait de grands noms de l’art contemporain qui comptent parmi les plus grands sur le continent africain et dans le monde. Il y a donc des artistes qui arrivent à vendre sur le marché international et de plus en plus sur un marché local qui est en train de se créer progressivement. Ces artistes plasticiens, qui vivent de leur art, inspirent et orientent les plus jeunes”.
Cependant, de façon générale c’est difficile pour les artistes au Mali de vivre de leur art, en raison de l’étroitesse du marché, la mauvaise qualité de la finition des œuvres, la faiblesse de professionnalisation des artistes afin que ceux-ci puissent mieux appréhender les exigences du marché de l’art et qu’ils puissent être plus compétitifs, précisera-t-il.
C’est pour prendre à bras le corps la résolution de telles difficultés que la nouvelle génération d’artistes plasticiens à tendance à se regrouper dans des espaces d’art : Atelier Badialan I, Tim’Art, Aw-Ko’Art, Sanou Art…
Pour Souleymane Ouologuem, artiste peintre, “aujourd’hui quelques artistes plasticiens vivent de leur art même si le taux de pourcentage est très petit. Le problème est très simple à comprendre au Mali et c’est pour des raisons suivantes : le fait qu’il n’y a pas un vrai marché pour les arts plastiques, la majorité de la population n’est pas aussi cultivée et les gens ne sont pas prêts à mettre de l’argent dans les œuvres d’art. Et aussi, faute de moyens financiers, le gouvernement malien ne joue pas son rôle avec les 1 % du budget pour la décoration de tous les bâtiments de l’Etat…”
Selon Hama Goro, directeur du Centre Soleil d’Afrique, “c’est très compliqué pour les artistes de vivre de leur art au Mali. Surtout avec les différentes crises sécuritaires et sanitaires que le pays vit depuis quelques années. Il y a moins d’activités culturelles, de touristes. De ce fait, il y a très peu d’artistes qui vivent essentiellement de leur art. Je ne peux pas dire qu’il n’y en a pas, mais ils ne sont pas nombreux. La plupart des artistes mènent d’autres activités à côté de leur art. Surtout qu’avant la crise il y avait quelques activités qui favorisaient la vente d’œuvre et pas mal d’artistes se débrouillent”.
“De mon côté, j’ai essayé de motiver quelques amis, parents, et d’autres à acheter mes œuvres. Aussi à l’étranger où il y a un peu de marché. J’ai accordé l’achat par tranche par des personnes qui ont la difficulté de payer la totalité d’un seul coût“, confiera Souleymane Ouologuem, artiste plasticien.
De son côté, le directeur du Centre Soleil d’Afrique ajoutera qu’il n’y a pas un grand marché pour les arts visuels et donc pas beaucoup d’opportunités. “Aujourd’hui on compte quelques collectionneurs maliens qui paient les œuvres et par année combien d’œuvres pouvons-nous vendre pour en survivre”, s’est-il exclamé.
ECOULEMENT DES ŒUVRES
Le grand défi
“En tant qu’acteurs culturels, nous créons les conditions favorables pour l’émergence des jeunes talents et favorisons la mise en place de plateformes ou espaces de promotion et de visibilité pour ceux-ci. A Ségou, nous avons commencé depuis plus de 10 ans avec le Programme Kôrè-Qualité, qui est un programme d’incubateur et de développement de compétences des artistes et des acteurs culturels du Mali et d’ailleurs”, indique Mamou Daffé, acteur culturel.
A travers ce programme, l’équipe de Mamou Daffé a renforcé les capacités et facilité l’accès au marché de plusieurs artistes plasticiens, qui font incontestablement partie des meilleurs artistes en ce moment au Mali.
“Depuis 2016, nous avons initié la plateforme du Salon d’art contemporain du Mali, Ségou’Art qui consiste à réunir les galeristes, les collectionneurs et amateurs d’art, les critiques d’art autour des œuvres des jeunes talents émergents du Mali et d’ailleurs en vue de les faire connaitre, de promouvoir leurs œuvres, mais aussi de créer les conditions optimales de leur émergence”.
Le programme a initié la Foire locale de l’art contemporain (Flac), un embryon de marché local de l’art contemporain pour mettre en lumière la création des artistes les plus motivés en offrant l’opportunité de rencontrer les collectionneurs, amateurs d’art et les galeristes, afin que les artistes puissent vendre leurs œuvres et vivre de leur art sur le plan local. “Cette foire est encore à l’état embryonnaire, mais le plus important était déjà de commencer… l’espoir est permis“, poursuit Mamou Daffé.
Pour sa part le promoteur de la galerie H-Gallery, Cheick Omar Haïdara souligne les efforts et projets de son espace qui promeut et vend des œuvres d’artistes maliens : H-Gallery organise deux événements grands publics pour élargir le marché local de l’art au Mali : les Khangissa (une fois par mois) et l’art en lumière Une fois par an).
En tant qu’acteur culturel, explique Hama Goro, nous essayons de faire ce que nous pouvons pour favoriser les systèmes de réseautage entre les artistes du Mali et ceux de l’étranger qui aboutissent souvent à des expositions collectives et même des expositions ventes.
“Il y aussi le Festival sur le Niger, qui met en lumière les artistes plasticiens à travers leurs œuvres. Beaucoup arrivent à vendre lors du festival qui constitue un cadre d’ouverture et de réseautage pour ces artistes. Egalement le Réseau Kya qui vient d’ouvrir un fonds d’appui et notamment pour aider les jeunes artistes, d’avoir des moyens de création et de subsistance. Mais vraiment pour être sincère en ces temps de crise on ne peut pas vivre de son art”, ajoute-t-il quelque peu dépité.
“Malgré le narratif qui a précédé la réputation des arts plastiques, les artistes vivent de leur art. Il y’a beaucoup d’artistes qui parviennent à vivre de ce qu’ils font. Etre artiste ne se limite pas à réaliser des œuvres et à les vendre. Il est important de collaborer avec d’autres acteurs, proposer des projets d’impact, être connectés à des mécanismes divers qui font intervenir l’art. Il est aussi important de savoir gérer la rentabilité, gérer l’argent, et prévenir les moments de lenteur dans les activités. Ça fait partie des objectifs de la plateforme Aganci, qui favorise la promotion en ligne et surtout la vente en ligne pour pouvoir toucher un plus large public“, informe Massira Touré, artiste plasticienne et promotrice de la plateforme Aganci.
DRAMANE TOLOBA
L’art dans l’ADN
D’ethnie dogon, d’un père sculpteur, d’une mère pas artiste mais qui semble l’avoir inspiré avec son goût pour le recyclage et son courage à vouloir donner un second souffle de vie aux objets voire même la nourriture, Dramane Toloba est né en 1990 à Bamako. Il a d’abord débuté par le dessin en reproduisant les personnages des dessins animés qu’il regardait à la télévision.
“A la base, c’était juste de l’amusement le dessin car ça nous procurait de la joie de savoir dessiner nos personnages préférés. Je ne me voyais pas embrasser une carrière d’artiste et l’art n’était pas un chemin tout tracé pour moi”, confie l’artiste.
Avec un parcours scolaire normal comme tous ces camarades, Dramane Toloba après le DEF, a été orienté en série sciences au lycée. Après l’obtention du baccalauréat, il s’est inscrit à l’Université des sciences économiques de Bamako où il a eu presqu’une année académique normale jusqu’à ce qu’on leur apprenne à l’approche des examens de fin d’année que l’année sera blanche car il n’y aura pas d’examen. C’est dans cette grande tristesse qu’un ami l’a approché pour lui parler de l’école d’art, qui ne lui a pas fait bonne impression avec tout ce que la société pensait des artistes. Finalement, Toloba a été tenté par curiosité d’aller en savoir plus sur cette école, quelques mois plus tard il a passé le concours et a été déclaré admis.
Ce qui au départ n’était qu’un simple jeu a fini par révéler aux Maliens ce jeune talent au fil des ans. Aujourd’hui, détenteur d’un master du Conservatoire des arts, multimédia Balla Fasséké Kouyaté, il est membre du collectif Tim’Art.
L’artiste s’est lancé depuis quelques temps comme artiste peintre. Installé à Bamako, il travaille généralement sur le format 100×65 cm. Passionné de dessin depuis l’enfance, Dramane Toloba, fait partie de la jeune génération d’artistes touche-à-tout.
Il mêle les techniques, les outils et les supports pour explorer le champ plastique. De plus en plus, Toloba développe une attirance pour la lumière qui, d’ailleurs, est le nom de sa série depuis quelques mois. Il s’adonne à différentes méthodes et approches entre crayons, crayons de couleur, plume, encre acrylique, textile, tissus des récupérations, objets de récupération…
Toloba explore plusieurs disciplines et d’après lui, “notre entourage ou tout de notre environnement nous permet de nous exprimer car c’est de là que vient notre inspiration”. Comme quoi l’artiste plasticien n’a de limite que celle de sa liberté ou la limite de son imagination.
Petit à petit, il a réussi à se créer sa marque et son propre style de travail. L’artiste met ou essaye de mettre en scène des objets reconstitués en leur donnant des formes humaines mélangées avec des objets.
Il s’y prend avec tellement de subtilité que l’on croirait que la lumière peut ou provient de partout et qu’il suffisait juste d’accorder plus d’attention aux choses qui nous entoure.
Même dans le noir, en cherchant on trouvera de la lumière quelque part, l’artiste joue et manie tellement bien les matières qui lui tombent sous la main et ce qui semble merveilleux c’est la façon dont il obtient autant de couleurs sur une même et seule toile.
“J’ai vu assez de noirceurs dans ce monde pour éviter d’en reproduire sur toiles. J’aime les couleurs, mes personnages sont mi-homme, mi autre chose. Ils sont humanoïdes, comme l’humain d’aujourd’hui, humain par forme mais mécanisé par son environnement et ses outils. C’est hallucinant de voir à quel point des traits faits d’un simple crayon ou encore le collage peut donner une orientation, donner sens à quelque chose de banal, avoir une connotation bienveillance à l’endroit de son entourage”.
Toloba s’assigne comme devoir de faire jaillir de la lumière de tout objet même récupéré. De son avis, notre monde est dans une sorte d’obscurantisme mental qui ne dit pas son nom. “Il est donc bien de dessiner un sourire sur les lèvres des passants à travers les œuvres représentant les personnes humaines avec les caractères qui les définissent souvent”.
Dramane Toloba compte au moins une dizaine d’expositions solo et collectives auxquelles il a pris part. D’abord à Taxi Bamako où il a accroché ses œuvres deux fois, ensuite trois fois à la résidence Casa Blanca. Aussi à Tim’Art, à la Galerie Médina, il a également participé à des expositions virtuelles en Equateur.
L’artiste a aussi participé à plusieurs éditions de Ségou’Art, Festival sur le Niger où il vient de gagner un prix de l’exposition In lors de cette 19e édition avec sa série appelée “les lumineuses”. En voulant donner de la lumière, il en a reçu.
MICRO TROTTOIR
Que pensent des Bamakois des artistes plasticiens ?
Youssouf Koné, journaliste de Konex’ion culture : “Ils sont rares les artistes plasticiens qui vivent uniquement de leur art au Mali. D’autant plus que le marché de l’art est assez timide au Mali à cause du manque notoire de galeries qui aident les artistes à vendre leurs œuvres. Les 10 % des artistes (à mon avis) qui peuvent prétendre aujourd’hui vivre de leur art sont ceux qui ont eu la chance d’avoir une ouverture sur le marché international. Il y a certes un bouillonnement dans ce secteur ces dernières années avec la création du Conservatoire des arts, mais le marché de l’art a encore du chemin au Mali”.
Amina Doucouré, économiste : “Pour moi, l’artiste plasticien exerce un métier à plein temps tout comme le médecin, le policier… Il faut juste que nous l’acceptions et encouragions ces gens qui donnent de leurs personnes pour sortir des œuvres que nous utilisons couramment pour rendre nos cadres magnifiques”.
Sinè Dagnon, étudiant : “Personnellement, j’apprécie de loin les plasticiens. Je trouve que c’est bien beau de dessiner, de créer des œuvres en tout genre. Mais, il faut se mettre à l’évidence. Ce métier ou cette pratique ne nourrit pas son homme au Mali. A peine, un plasticien vend deux trois tableaux par an et même là, c’est généralement les plus aisés qui achètent ces œuvres. Le citoyen lambda se soucie plus de ce qu’il va manger demain que de mettre ses ressources dans une toile”.
Mariam Koné, communicante : “J’ai un frère à l’école d’art et honnêtement j’ai tout fait pour l’aider à mieux développer son talent depuis petit. On a des appréhensions erronées des artistes plasticiens chez nous malheureusement. C’est très dommage car il se peut nous gâchions l’avenir de certains enfants banalement. Je trouve cela très injuste de priver des gens de leur passion sous réserve que ce n’est pas valorisant, que c’est sans avenir”.
Dossier réalisé par
Aminata Agaly Yattara
Alassane Cissouma
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