Devoir de conscience (*) de Fousseyni Maïga : Un outil de promotion de l’entreprenariat et un véritable miroir de l’enseignement supérieur malien…

0

Voila un livre qui mérite une place dans les rayons de toutes les librairies et bibliothèques du Mali mais aussi parmi les livres – pourquoi pas ?- des étalages que l’on trouve aujourd’hui à la sortie de toutes les facultés ou presque. Ce livre, n’en déplaise à ceux qui y verront une manifestation égocentrique, est une invitation à la découverte des réalités tristes et ténébreuses qui ont achevé de précipiter le monde de l’enseignement supérieur dans le gouffre. Oui, bien sûr, les lignes de ce livre ont le même effet sur le cœur que le bruit de la cloche qui, lorsque nous étions enfants, annonçait la rentrée des classes et donc nous rappelait à la réalité : les interminables interrogations qui attendent et les coups de fouet qui suivent le plus souvent.

livreLe livre s’ouvre sur une période de la vie où tout enfant qui choisit de devenir quelqu’un se prédestine à une carrière. Dans le présent cas, l’auteur alors enfant, était partagé entre l’envie de devenir avocat et celle d’être journaliste. Escomptant une bourse pour des études de droit ou de journalisme à l’extérieur, après l’obtention du baccalauréat, il s’est retrouvé à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques qui, comme presque toute l’Université de Bamako à l’époque, était caractérisée par le chaos. Qui peut parler de la planète universitaire malienne sans crier, sans céder à la colère ?

2006, année des folies à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, laquelle commençait à être une source d’inquiétude profonde pour l’opinion publique nationale. L’auteur était en première année à l’époque et se souvient de ces : « années académiques (qui) étaient toujours tronquées. La violence, l’injustice et la corruption avaient bouleversé l’ordre normal des choses. Les étudiants ne savaient plus à quel saint se vouer. Entre les enseignants, c’était un bras de fer sans conteste : tous les coups étaient permis. Tous ces facteurs eurent pour conséquences des grèves interminables, l’absentéisme chronique des professeurs, le déclenchement d’une bataille juridique sans précédent pour l’administration et l’arrestation de 4 de nos camarades de l’AEEM dont le secrétaire général… » Et d’ajouter que « Les étudiants, eux-mêmes, n’avaient plus confiance à la Faculté. Le savoir et la connaissance, pour la majeure partie des apprenants, n’avaient plus de sens. L’essentiel était de terminer et de décrocher le diplôme de la maîtrise… Le mérite n’avait plus de sens. Le travail, paradoxalement, n’était plus une garantie pour accéder en classe supérieure. L’argent, le pouvoir, les relations et la beauté étaient devenus des moyens précieux pour la résolution de tous les problèmes. » Terrible, n’est-ce pas ? Eh bien ces réalités sont toujours d’actualité et ont même pris une proportion inquiétante, en ce sens qu’elles se sont étendues à toutes les facultés… !

Si nombre d’étudiants dans nos facultés cherchent à adhérer à l’Association des Elèves et Etudiants du Mali (AEEM) pour entretenir le goût farouche qu’ils ont pour la corruption, la violence… il est heureux que l’auteur ait été accepté dans ce mouvement sans avoir eu à épouser ces phénomènes abjects. Bien sûr, il n’a pas été facile pour lui de se dégager de la réticence. Et quel exploit que celui d’intégrer dès la première année le comité AEEM en qualité de secrétaire administratif. Mais dès le départ, il tente de se dissocier de ses camarades sur le plan moral, comportemental voire intellectuel en prônant l’excellence, le respect du corps enseignant (le respect est un luxe qui manque toujours à l’enseignant au Mali)… pendant que « La  Faculté plongeait de plus en plus dans le chaos. Rares étaient les autorités universitaires qui pouvaient y effectuer le déplacement. Les forces de l’ordre, eu égard à la violence qui prévalait, y avaient élu domicile. L’opinion nationale, dans sa majorité, ne souhaitait que la fermeture de la Faculté. Il suffisait alors de dire que l’on y étudiait pour être fiché comme un ‘’sans avenir’’… »

Le jeune étudiant avait la religion du changement. Dans le comité AEEM, il était « dialoguiste » et s’opposait à la manière de revendiquer par la violence de ses camarades. Dès lors, toutes ses propositions récoltaient une opposition farouche. C’est ainsi que, pour mettre en valeur ses idées, les faire partager, il crée le journal « Le Flambeau » dans « une Faculté qui se résumait à trois mots : corruption, violence et manipulations. »

Le Flambeau, pour combler le vide laissé par l’AEEM ?

Le journal « Le Flambeau » a été créé pour « informer, dénoncer, sensibiliser et critiquer.» A la différence de l’AEEM, le journal lui permettait de revendiquer en usant de « la violence intellectuelle.» « Il fallait améliorer nos conditions de vie et d’études par la force de nos arguments et notre aptitude à proposer des voies et moyens face aux différents problèmes de l’université », c’est là un combat qu’il revenait –et revient toujours—  à l’AEEM de mener mais, grand paradoxe, qui demeure attachée à d’autres considérations farfelues. ‘’Le Flambeau’’, c’est l’anti-AEEM ! L’étudiant étant l’ennemi de l’étudiant, toutes les actions qu’il a eues à poser se sont heurtées au mur de l’inconscience d’une poignée d’étudiants, membres de l’AEEM pour la plupart. Mais, toujours est-il qu’il voulait combler le vide laissé par l’AEEM. Extrait : « Les idées selon lesquelles il ne suffisait que d’avoir de l’argent, un parent dans l’administration ou être belle et disposée à céder aux avances de certains professeurs et étudiants pour aller en classe supérieure…devaient être combattues avec la dernière des rigueurs. Les cours privés et spéciaux qui s’organisent, de manière anarchique, à l’approche des examens de fin d’année, la corruption organisée, la violence sous toutes ses formes, les années académiques tronquées et jamais achevées, les programmes dépassées…les concours taillées sur mesure et les conditions de délivrance des diplômes et autres documents administratifs…Voilà, entre autres, les combats auxquels j’avais décidé de consacrer mon temps et mes ambitions. »

Aussi Fousseyni Maïga(**) relève que la création du journal a valu à lui et à ses camarades des critiques et des insultes venant le plus souvent de journalistes et responsables de presse qui parlaient d’une « dérive de la presse par la distribution anarchique des récépissés », au point que des étudiants ont crée un journal et sont devenus ‘’Directeur de publication’’. Dernièrement, et pour dénoncer cela, lorsque j’ai fait savoir à un confrère, rencontré dans un cybercafé, que je collabore à ce journal, il a répondu sur un ton marqué par la vantardise, que, eux, ils ne considèrent pas ce journal parce qu’il ne traite que des questions scolaires et universitaires. Les yeux obscurcis par la colère, je n’ai pas trouvé la peine de poursuivre la discussion, surtout que le confrère dont il est question est un adepte du « journalisme alimentaire » qui souille l’image de la presse malienne. A travers ce livre, il incite aussi la jeunesse à s’intéresser à l’entreprenariat, seule porte de sortie dans un pays où elle ne fait qu’accumuler des diplômes pour les déposer aux offres d’emploi du chômage. Ce livre, sans conteste, apparait comme un véritable miroir de l’enseignement supérieur malien et un outil incontestable de promotion de l’entreprenariat.

(*) Devoir de conscience : ‘’odyssée d’un jeune étudiant’’, Fousseyni Maiga, Presses Universitaires du Mali.

(**) Il est le Directeur de Publication du journal ‘’Le Flambeau ‘’ et des PUM, chargé de cours de droit privé.

Boubacar SANGARE

Commentaires via Facebook :