Compagnie Blonba Un dynamique «vestibule» de créativité

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Alioune Ifra Ndiaye  et Jean-Louis Sagot-Duvauroux
Alioune Ifra Ndiaye et Jean-Louis Sagot-Duvauroux

BlonBa ! Le grand «vestibule» fête cette année ses 15 ans d’existence.  Aujourd’hui, il est incontestablement au cœur de la créativité culturelle au Mali, voire en Afrique. C’est aussi un tremplin de promotion exceptionnelle pour des comédiens confirmés ou en quête d’affirmation sur la scène. Quinze ans ! C’est l’âge de l’adolescence ! Mais, BlonBa affiche aujourd’hui une maturité exceptionnelle dans le domaine de la créativité, de la promotion… Au point d’être considéré, à juste titre d’ailleurs, comme «un cas unique en Afrique francophone». Son palmarès en est la parfaite illustration.

 

En effet, en 15 années d’existence, BlonBa a produit ou coproduit dix-huit spectacles de théâtre, dont quinze ont connu une diffusion internationale. Et une cinquantaine de comédiennes et de comédiens ou danseurs ont participé à ces créations. C’est dire que l’opportunité leur a été offerte de montrer leur talent, leur art au Mali, en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Dans le lot de ces privilégiés, il y a des vieux de la vieille à l’image des Sotigui Kouyaté, Habib Dembélé, Kary Coulibaly, Maïmouna Hélène Diarra, Hamadoun Kassogué, Michel Sangaré, Fily Traoré… Mais aussi de jeunes loups de la comédie malienne comme Issiaka Bah «Amkoulel», Adama Bakayoko, Alimata Baldé, Georges Bigot, Nouhoun Cissé, Lassine Coulibaly «King Lassy Massassi», Cheick Diallo, Toumansé Coulibaly, Bakary Diarra, Kadiatou Diarra, Oumou Diarra «Dièman», Djénéba Koné, Sidy Soumaoro «Ramsès»…

 

 

L’actif dans les métiers des arts est aussi honorable. Ainsi, une vingtaine de professionnels de la lumière, du son, de la vidéo, ou de l’administration de spectacle ont accompagné le montage et la diffusion d’œuvres qui brillent non seulement par leur qualité, mais aussi et surtout par leur engagement. «Durant la saison 2012-2013, soixante-quatre représentations de quatre créations de BlonBa ont été accueillies par des institutions théâtrales maliennes, françaises et luxembourgeoises. Depuis quinze ans, des dizaines de milliers de personnes ont pu applaudir en direct les artistes du Mali au Mali même et dans le monde», indique le très inspiré Alioune Ifra Ndiaye, l’un des initiateurs du concept BlonBa. Cinq des créations théâtrales de BlonBa ont bénéficié de productions audiovisuelles de qualité. Celles-ci ont donné lieu à des diffusions multiples sur Tv5 et d’autres chaînes francophones et africaines. Au total, ces œuvres auront porté la voix du Mali auprès de millions de spectateurs et téléspectateurs dans le monde. «Ce bilan fait de BlonBa un cas unique dans la vie théâtrale de l’Afrique francophone», reconnaît un critique du pays.

 

 

Sur les «cendres» de Mandéka théâtre

On se rappelle que c’est en 1998 que cette belle aventure avait commencé par la création théâtrale. Cette année-là, une première compagnie du nom de Mandéka théâtre a vu le jour sous la direction d’Alioune Ifra Ndiaye, l’écrivain Jean-Louis Sagot-Duvauroux, les comédiens Habib Dembélé dit «Guimba» et le regretté Sotigui Kouyaté. Et «52», une satire sociale du difficile quotidien des aide-ménagères de nos centres urbains, est le titre du premier spectacle produit par la compagnie. Il s’agit d’un one-man-show (soliloque) signant le grand retour de «Guimba national» (Habib Dembélé) sur la scène bamakoise.

 

 

À la même période, Jean-Louis Sagot-Duvauroux, auteur notamment du scénario de La Genèse (film de Cheick Oumar Sissoko, sélection officielle Cannes 1999 dans : Un certain regard), propose à la compagnie de monter une adaptation de l’Antigone de Sophocle. Une œuvre coécrite avec Habib Dembélé. Coproduite par le centre dramatique national d’Aubervilliers (France), cette mise en scène connaît un vif succès, notamment aux Bouffes du Nord (théâtre parisien de renom), qu’il remplit durant un mois, ainsi que dans les Centres culturels français de Bamako, de Dakar et de Conakry.

 

 

Mais, Habib Dembélé et Sotigui Kouyaté ne souhaitant pas poursuivre l’aventure du Mandéka Théâtre, Alioune Ifra et Jean-Louis créent BlonBa pour prendre le relais de cette expérience réussie. «Le retour de Bougouniéré» sera le coup d’essai de cette nouvelle vitrine de la création artistique au Mali. Ce spectacle redonne vie au personnage de Bougouniéré, incarné par la très talentueuse Diarrah Sanogo (prix de la meilleure comédienne d’Afrique 2009), qui avait connu un immense succès à la fin des années 1980. Ce coup de maître «relance aussi le mouvement de renouveau du Kotèba en l’élargissant à un public international. Les créations théâtrales qui suivent vont bénéficier de la salle bamakoise qu’ouvre la compagnie en 2004», disent les concepteurs. Unique en Afrique de l’Ouest, cette infrastructure ultramoderne permet au public bamakois de voir des spectacles dans des conditions conformes aux standards internationaux.

 

 

La différence par l’engagement et l’originalité

Comme autre originalité, les créations théâtrales de BlonBa utilisent tantôt la langue française, qui leur permet d’être montrées partout dans l’espace francophone ; tantôt la langue bamanan qui élargit le public du théâtre à des couches plus populaires de la société. Et la plupart d’entre elles s’inscrivent dans deux lignées culturelles propres au Mali. Il s’agit du Kotèba, farces satiriques de critique sociale, et le Maana, grande récitation publique des faits importants de l’histoire. Pour les initiateurs de BlonBa, «cet ancrage permet à ces créations d’être vécues par les spectateurs à la fois comme des moments intenses de prise de conscience que des événements festifs».

 

 

Le succès des différentes initiatives fait de cette création une véritable entreprise culturelle «fortement exportatrice». Et, grâce à la qualité de ses créations, la compagnie va régulièrement bénéficier d’apports en coproduction de la part de théâtres amis, notamment en France, en Belgique et au Canada.

 

 

Entreprise culturelle et citoyenne, BlonBa aurait injecté des dizaines de millions de francs Cfa dans l’économie malienne et généré des dizaines d’emplois. Comme on pouvait s’y attendre, la diversité des partenaires a favorisé l’autonomie de la création et sa reproductibilité. «Quand elles arrivent, les subventions viennent dynamiser cette politique de création et de diffusion, mais dans le cas contraire, le travail continue. Toujours, les choix artistiques restent libres», nous explique-t-on. Et, reconnaissent les promoteurs, «la diversité des partenaires a été une des clefs de la régularité et de l’indépendance de la politique de création de BlonBa». Vitrine admirée dans le monde entier, BlonBa s’est pourtant retrouvé dans l’obligation de fermer sa salle à Bamako. Cela, suite à des difficultés nées du coup d’Etat du 22 mars 2012 et de la «cupidité» de la locataire. «La situation de BlonBa reste paradoxale. Avec la fermeture de la salle, il est devenu très compliqué de montrer au Mali même les créations de sa compagnie théâtrale. On y travaille néanmoins. Par contre, les artistes bamakois seront à nouveau très présents en France durant la saison 2013-2014», écrivait récemment Jean-Louis Sagot-Duvauroux à propos de cette situation.

 

Heureusement que dans cette situation, l’implantation française de la compagnie l’a beaucoup aidé à maintenir son activité de création. La priorité est donc aujourd’hui au ré-ancrage de l’action théâtrale de la compagnie au Mali même. Un pari presque gagné, car BlonBa a pu récemment créer, devant trois mille spectateurs du Palais de la Culture, «Tanyinibougou» ! Un spectacle de Kotèba en langue bamanan qui dresse «un portrait au vitriol des dysfonctionnements de l’État et de la société qui sont à la base de la crise malienne de 2012-2013».

 

Et en partenariat avec le comédien et metteur en scène Adama Bakayoko, BlonBa a également été un des principaux acteurs du festival Kotèko (mars-avril 2013) organisé dans la pure tradition des nuits de Kotèba avec cinq villages du Nord de Bamako. Les promoteurs assurent que cette orientation va être poursuivie et approfondie grâce à la constitution à Bamako du «Collectif Kotèso». Un concept qui va réunir de nombreux artistes et structures artistiques de toutes les disciplines du spectacle vivant. Cela permettra de mettre en place un lieu provisoire de spectacle avec une programmation régulière ouverte aux créateurs du Mali.

 

Affichant éloquemment une maturité précoce à 15 ans, on peut dire, sans risque de se tromper, que le meilleur est à venir pour la compagnie BlonBa. Déjà, deux tournées (juin 2014, décembre 2015) sont déjà programmées en France avec de nouvelles créations. Ainsi, «Plus fort que mon père», «L’Homme aux six noms», «Sakakounou» et «Ala tè sunogo» sont les quatre spectacles qui seront proposés au public français durant la saison 2013-2014. Des œuvres engagées qui ne font également aucune place à l’ennui !

Moussa BOLLY

Journaliste/Critique

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