Il est admis de très longue date que les grands artistes, dans leurs œuvres, expriment ce qu’ils vivent dans leur subconscient. Souleymane Cissé, émérite cinéaste connu sur le plan international, par le génie de l’objectif de sa caméra, vient de confirmer cette vérité aussi vieille que le monde.
Meurtri dans son âme par un combat judiciaire par lequel il compte maintenir sa famille dans une concession à usage d’habitation qu’elle occupe depuis 120 ans, l’icône du cinéma malien s’est souvenu d’une de ses réalisations terminées depuis 1999 : «Ngolonina Dankoroba » ou « le devin de Ngolonina». Ce film très profond par les théories philosophiques de celui que le réalisateur a décidé d’appeler «Le devin de Ngolonina» a été présenté à la presse le vendredi 6 mai 2011, au siège de l’UCECAO à Bamako. «J’ai réalisé ce film en 1999. En 2000, il était prêt pour la projection, mais je ne l’ai pas fait parce que la tension sociale et politique de l’époque n’était pas propice à la projection d’un tel film. On pouvait facilement assimiler mon initiative à une incitation à la subversion», a déclaré Souleymane Cissé, quelques minutes avant la projection du film. Malgré l’environnement malsain, la magie de la camera vous envoie des images exceptionnellement belles. Dans un paysage austère, le film commence par une image figée d’un personnage hors du commun. A l’allure d’un fou, ce personnage semble avoir volontairement quitté la société pour se mettre en marge de tout ce qui se passe ici bas. Entouré d’au moins six chapelets, ce personnage qui squatte une petite cabane au bord du fleuve Niger, du côté de Ngolonina, est un philosophe des temps modernes. Altermondialiste avant l’heure, il a une perception exceptionnelle des relations entre les Etats du Nord et ceux du Sud. Dans un discours cousu d’images et de symboles, il critique les injustices que des Maliens font subir à certains de leurs concitoyens à longueur de journée. «Dieu a fait du Mali un grand pays. Mais les autorités, les détenteurs des divers savoirs et les riches opérateurs économiques ne sont pas bons ; c’est pourquoi ce pays et ses habitants souffrent », déclare sans ambages «Le devin de Ngolonina ».
Après la projection de ce film qui invite chaque Malien à réfléchir sur le sens de sa vie dans cette mer d’injustices, Souleymane Cissé dira qu’à l’époque, lorsqu’il était en train de recueillir les propos du «devin de Ngolonina», qu’il ne s’était jamais imaginé qu’il allait lui-même un jour vivre les pires moments de son existence sur terre par le fait de l’injustice. «Sous le régime de Moussa Traoré, j’ai été humilié, arrêté et jeté en prison après la sortie de mon film Den Mousso et aujourd’hui, sous la démocratie, je suis en train de subir la pire des humiliations. Par un jour d’octobre pluvieux, mes grandes sœurs et les autres membres de ma famille ont été injustement expulsés de la concession paternelle qui nous a vus naître et que nous occupons depuis 120 ans à Bozola, au cœur du grand marché de Bamako. Et depuis ce jour, je n’ai plus eu de répit par le fait d’un long feuilleton judiciaire qui a continué pendant longtemps», a-t-il déclaré. Avant de saluer le courage du juge de la Commune II qui a rendu un verdict mémorable dans ce feuilleton judiciaire. Tout comme ce juge, Souleymane Cissé dira que « Le devin de Ngolonina» donne l’espoir au peuple malien pour des lendemains meilleurs.
MTT