Sélectionné au Fespaco 2019, le film Barkomo, des jeunes réalisateurs maliens, Aboubacar Bablé Draba et Boucary Ombotimbé, a obtenu, la même année, la mention spéciale de long métrage du jury au Festival Cinéma brut de Marseille (France). Le film est un voyage riche et coloré au pays dogon du XVIIe siècle dont des pratiques ancestrales restent encore d’actualité dans nos sociétés africaines.
Nombreuses pratiques anciennes, notamment la polygamie, les crimes rituels et les guerres des idéologies religieuses ne semblent pas prendre de rides même au XXIe siècle. Ces pratiques séculaires sont toujours d’actualité dans les sociétés africaines. Le film Barkomo (qui veut dire grotte en français), inspiré des faits historiques du pays dogon du XVIIe siècle, est un voyage riche en traditions anciennes, dans cette région située dans le centre du Mali. Un film qui jette un regard critique sur les pratiques séculaires qui continuent encore dans nos sociétés modernes. L’infertilité, l’amour, la polygamie, la malédiction, la religion ou encore le mariage arrangé sont, entre autres, des thématiques abordées dans l’intrigue du film des deux jeunes réalisateurs maliens, originaires de cette région du pays, qu’ils font découvrir au monde à travers le petit écran. D’une durée de 75 minutes, Barkomo plonge ainsi le spectateur dans les traditions dogon.
Barkomo est l’histoire d’une femme, Yamio. Après dix ans de mariage, elle n’a pu connaître la joie de la maternité. Face au désespoir de son mari qui souhaite avoir un héritier, Yamio lui propose d’épouser une seconde femme qui heureusement sera gratifiée d’un petit garçon. C’est le début du calvaire de Yamio qui sera injuriée, humiliée par sa coépouse et battue par son mari parce qu’elle est infertile et incapable. Désemparée, Yamio décide de se donner la mort en sautant d’une falaise. Mais par un miracle, elle se réveille saine et sauve de sa tentative de suicide. Ne voulant plus retourner chez son mari, Yamio prend le chemin de l’exil. Un voyage qui la conduit à Barkomo, un petit royaume où elle trouve refuge.
“Le bienfait n’est jamais perdu”, dit un adage. Bien que frappé par les affres d’une malédiction, le royaume de Barkomo, accablé par la sécheresse, les maladies, la mort, la pauvreté et surtout la démence, offre son hospitalité à une femme en détresse. Cette femme, selon les prédications du divin, mettra au monde un jeune garçon qui délivrera Barkomo de sa malédiction. Ce fils prodige, Anabalié le Gaucher, voit le jour quelques mois plus tard et Barkomo retrouve sa quiétude. Ce qui a valu au Gaucher et sa mère d’être adulés par les habitants du royaume de la grotte.
Et comme récompense, le roi prend Yamio comme deuxième épouse tandis que son fils, le sauveur, est contraint à l’exil avec son amoureuse, Denné, qui était destinée au prince Amaga. Le thème de l’amour est illustré par ces deux amants qui sont prêts à tout pour vivre leur amour, quitte à abandonner le royaume.
S’accepter dans la différence
A l’origine de la malédiction qui a frappé le royaume de Barkomo, le sacrifice d’un homme. Un cousin du roi qui a été offert au Amma, dieu suprême des croyances dogons parce qu’il était différent : il était musulman et gaucher. “Ce n’était qu’un imbécile qui portait atteinte à nos croyances”, se défendent les auteurs du crime sacrificiel. Les croyances religieuses ne doivent pas être une source de différenciation entre les hommes car avant d’être musulmans, chrétiens ou animistes, nous sommes des êtres humains. Tel est le message du film. Les jeunes réalisateurs mettent l’accent sur la sacralité de la vie humaine, le vivre ensemble et l’acceptation de l’autre dans la différence, ce que le monde d’aujourd’hui, confronté au djihadisme et autres doctrines idéologiques et religieuses, devrait prôner.
Au-delà de la polygamie et des crimes rituels, Barkomo interpelle également sur une réalité qui sévit dans le centre du Mali, notamment dans la région de Mopti. Il s’agit des conflits intercommunautaires qui ont opposé les dogons aux peulhs. Deux communautés qui ont toujours cohabité dans l’harmonie et le respect. En effet, depuis l’éclatement de la crise sociopolitique de 2012 qui a secoué le Mali et l’installation des groupes islamistes dans le nord et centre du pays, les dogons, qui accusent les peulhs de soutenir les groupes radicaux, ont créé des groupes d’autodéfense contre ceux-ci. Ce qui a entraîné des violences entre les deux communautés. Un quiproquo ayant conduit à la mort d’une centaine de personnes dans la région en 2019 suite à des attaques répétitives entre les protagonistes.
Le film Barkomo est une véritable réussite cinématographique qui enseigne au spectateur les valeurs sociétales et culturelles de la société traditionnelle dogon : les conditions et le mode de vie, les costumes et surtout l’histoire des masques dogons qui constituent aujourd’hui une grande part du patrimoine culturel du pays dogon. Le spectateur est saisi par la beauté des falaises. Les deux jeunes réalisateurs utilisent des plans larges et des plans d’ensemble pour mieux les présenter.
Le scénario du film est fluide, très digeste. Ce qui permet au spectateur de comprendre facilement les paroles des personnages grâce à un sous-titrage écrit dans un français accessible. Ce sous-titrage capte l’attention de tout spectateur qui ne comprend pas la langue du film, le dogon.
L’un des mérites de Barkomo est son casting majoritairement local car, faute de financement, les jeunes réalisateurs ont dû se contenter des acteurs recrutés sur place. Près de 90% des acteurs sont des acteurs de circonstance, mais qui ont su apprivoiser leur rôle. Des acteurs qui jouaient pour la première fois dans un film. Ce qui confère d’ailleurs au film une certaine originalité car ces autochtones définissent mieux les personnages dans leur rôle. Le casting témoigne également de l’élan de solidarité et de l’esprit d’entraide qui dominent chez les dogons. A cela s’ajoutent la bonne qualité de l’image du film, le décor et l’originalité des costumes.
Barkomo est une véritable mise en valeur de cette communauté. Une manière pour les réalisateurs de revisiter le pays dogon d’antan et de valoriser sa culture, notamment la falaise de Bandiagara devenu patrimoine mondial de l’Unesco en 2003.
Youssouf KONE
NB : Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle (APIC).