«Ciné-débat» sur «Timbuktu» : la Fondation Konrad Adenauer élargit le débat sur les questions d’actualité

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Le 12 février 2016, le Grand Hôtel de Bamako a accueilli la première séance du «Ciné-Débat». Une initiative de la Fondation Konrad Adenauer. Au menu de la soirée, «Timbuktu», un film dramatique du Mauritanien Abderrahmane Sissako sorti en 2014. La projection a été suivie d’un débat très enrichissant sur l’occupation du nord du Mali par des terroristes déguisés en jihadistes. Susciter le débat en donnant l’opportunité aux citoyens de toutes les couches d’échanger sur les questions d’actualité ! Telle est sans doute l’ambition de la Fondation Konrad Adenauer en initiant son «Ciné-club» au Mali.

La première séance a eu lieu vendredi dernier (12 février 2012). Après l’introduction de notre ami Yacouba Berthé de la Fondation, pour situer la rencontre dans son contexte, le public a suivi pendant près de 1h48 la projection de «Timbuktu» ou «Chagrin des oiseaux» du Mauritanien Abderrahmane Sissako sorti en 2014. Une œuvre qui nous replonge dans la tragédie des dix mois d’occupation du nord du Mali par des extrémistes religieux.

Partagé entre colère et révolte face aux actes et sentences injustes et absurdes des envahisseurs, le public ne peut pas rester non plus insensible à la bravoure d’une population qui résiste avec courage à la féroce répression qui s’abat quotidiennement sur elle. À l’image de Kidane, un éleveur touareg vivant dans le désert du Sahara avec sa femme et sa fille. D’abord épargnée, sa famille va bientôt subir les nouvelles lois islamiques suite à un conflit avec un autre habitant, Amadou le pêcheur. Ce dernier a tué sa vache préférée, «GPS», parce qu’elle a détruit ses filets en voulant boire dans le fleuve. La vie simple et paisible que menait Kidane dans ses pittoresques dunes, tourne rapidement au drame suite à la mort d’Amadou lors de leur altercation. Il doit alors faire face aux nouvelles lois de ces occupants venus d’ailleurs et dont les pratiques n’ont rien à voir avec l’Islam qu’il pratique depuis la nuit des temps. Une tragédie qui touche surtout sa femme Satima, sa fille Toya et de Issan, son petit berger âgé de 12 ans.

À l’image de cette famille, ce sont de nombreuses familles qui ont subi le régime de terreur des supposés jihadistes qui ont pris en otage leur foi dans tout le septentrion malien. Fini, la musique et les rires, les cigarettes et même les parties de football… Interdits pour les populations opprimées, mais pas pour leurs oppresseurs qui peuvent tout se permettre. Y compris entrer dans une mosquée avec des chaussures, fumer, discuter de football, épouser les filles contre leur volonté, rendre visite à des femmes mariées en absence de leur conjoint, et même esquiver des pas de danse contemporaine. Les femmes sont devenues des ombres qui tentent de résister avec dignité. Des tribunaux improvisés rendent chaque jour leurs sentences absurdes et tragiques. Certains habitants ont dû fuir pour se réfugier aux «Sud». D’autres ont trouvé refuge dans les pays voisins. Kidane et les siens avaient préféré la résistance au périlleux chemin de l’exil. Un choix courageux surtout que, que l’on parte ou que l’on reste, on est contraint de vivre avec la même peur, la même angoisse et aussi le même espoir : être vite débarrassé de ces mercenaires engagés sans conviction religieuse pour une cause qui n’en est pas une en réalité ! Ceux qui sont restés, ne cachent pas leur détermination à se battre avec leur force intérieure, leur conviction de faire le «Jihad sur eux-mêmes». En effet, comme le dit un Imam dans le film, «la foi est une question de conviction personnelle, d’engagement individuel». Ainsi, la guerre sainte se fait avec la «tête et non les armes».

Comme envisagé par les organisateurs de ce «Ciné-débat», la projection a donné lieu à des échanges enrichissants sur la vision des uns et des autres sur ce qui est arrivé à notre pays entre janvier 2012 et septembre 2013, et dont nous continuons toujours à souffrir des manifestations résiduelles à travers les attaques contre les hôtels, les Forces armées et de sécurité, les forces de la Minusma… Le Modérateur, Pr. Ibrahima Ndiaye, a eu le mérite d’orienter rapidement les débats sur les actes posés par les occupants (leurs causes, leurs conséquences…) et non sur la critique cinématographique en tant que telle. L’inefficacité de la gouvernance politique a été fustigée par plusieurs intervenants comme la raison essentielle de la décadence qui a conduit la République au bord de l’éclatement exposant la nation au péril de l’extrémisme religieux. «Quand le mur se lézarde, les margouillats y trouvent refuge», dit l’adage.

Ébranlées par la énième rébellion touareg, les forces armées et de sécurité n’ont pas eu la capacité de riposte nécessaire pour faire face à tous les fronts ainsi ouverts. Les réseaux criminels (narcotrafiquants) en ont profité pour livrer leur guerre d’intérêt sous la bannière controversée de l’islam. Si l’invasion terroriste peut se justifier par la volonté de créer un no man’s land pour leurs trafics (drogues et armes), elle se nourrit aussi de la pauvreté ambiante des habitants. Tout comme la rébellion d’ailleurs. Cela se sent dans ce film tourné dans un paysage austère, dans un univers de précarité où les moindres ressources peuvent être sources de conflits tragiques comme celui qui a opposé Kidane (éleveur) à Amadou (pêcheur) pour l’utilisation des eaux du fleuve.

Quelle justice pour les victimes ?

Les conséquences (politiques, sociales, économiques, psychologiques) sont dramatiques. Les femmes et les filles ont été particulièrement visées dans leur honneur et dans leur dignité. Elles ont été abusées, battues, flagellées, lapidées… Celles qui ont survécu et qui sont restées ont été privées de toute leur liberté dans l’indifférence et la résignation à l’image de ces jeunes femmes encagées dans un commissariat de Timbuktu occupée (il faut rappeler que pour des raisons de sécurité, le film a été tourné à Oualata, en Mauritanie). Certaines victimes sont psychologiquement marquées à jamais. La vie d’autres a été brisée par les mariages forcés, les viols… Aujourd’hui, des associations se sont organisées pour les aider à tourner la page et à s’insérer dans la vie socioéconomique, pour défendre leurs droits.

«Avec certaines associations de défense de Droits humains, nous avons porté plainte pour que justice soit au moins rendue aux victimes et si possible qu’elles soient dédommagées. Les plaintes portent au moins sur 120 dossiers», a témoigné Almahady Moustapha Cissé, président du Collectif Cri de Cœur et Secrétaire général de l’Association malienne des critiques (AMACRI). On se rappelle qu’une plainte a été déposée à Bamako le 6 mars 2015 par sept organisations de défense des droits de l’Homme, au nom de 33 victimes, contre 15 auteurs présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Les faits se sont déroulés au cours des 10 mois d’occupation jihadiste au nord du Mali, en 2012. «Le temps est l’ennemi de la justice. Plus la procédure pendra du temps, moins on aura de victimes pour témoigner pour diverses raisons. Certaines ne jugeront plus nécessaire de le faire, d’autres vont partir sous d’autres cieux si elles ont la chance d’être mariées ou remariées. Elles ne voudront donc plus revenir sur ce passé, même si celui-ci continue à les hanter… C’est ce que nous voulons éviter à tout prix», précise M. Cissé.

Malheureusement, la procédure est au bord de l’impasse. «La plainte a été déposée à Bamako. Ce n’est pas évident que toutes les victimes puissent venir témoigner pour diverses raisons, de santé notamment. Sans compter qu’avec le départ du Procureur auprès de la Cour d’Appel de Bamako, cette procédure est devenue comme une patate chaude que les magistrats se renvoient et dont personne ne veut s’occuper. Et entre-temps, certains présumés auteurs ou complices de ces crimes sont en train d’être libérés pour des raisons politiques», s’offusque le président du Collectif Cri de Cœur. «Quel avenir pour ces filles abusées sexuellement et moralement, pour ces jeunes mères et leurs enfants nés à la suite de mariages forcés ou de viols collectifs ?» s’interroge Almahady A. Cissé. Les décideurs nationaux et la communauté internationale sont fortement interpellés par cette situation mise en évidence et remise au cœur de l’actualité par ce «Ciné-débat» de la Fondation Konrad Adenauer. Une belle initiative à saluer et à perpétuer !

Moussa BOLLY

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