Délégué général de la 13e Biennale de la photo au Mali, le designer Cheikh Diallo a acquis avec ses travaux une notoriété internationale. Président de l’Association des designers africains, il ambitionne de « fédérer le savoir-faire des artisans locaux, afin de préserver notre identité culturelle ».
Il est 15 h au Musée national de Bamako. Cheikh Diallo nous reçoit assis au restaurant. En prenant son café, cet homme imposant, à la voix douce, à la barbe soigneusement taillée, détaille les ingrédients de sa « magie ». En effet, il faut être magicien pour ressusciter les matériaux de récupération et réaliser des objets contemporains à la fois esthétiques et fonctionnels : métal, plastique, papier d’emballage, tissu, bois, terre…
L’art de la récupération, nous dit-il, fait passer un message essentiel. « Dans notre société d’hyper consommation, car c’est la démarche d’anti-gaspillage par excellence. Récupérer est un état d’esprit, et c’est rendre hommage au décor et à l’environnement africain, faits de ressources marquées par la pauvreté, mais aussi l’ingéniosité et le savoir-faire des utilisateurs ».
La pratique de la récupération se nourrit aussi du détournement d’objet. Les artisans du sud ont moins de moyens de production à disposition, donc ils partent de ce qui existe et trouvent des solutions pour répondre aux besoins du quotidien. C’est pourquoi au Mali, détourner des objets pour en fabriquer d’autres est monnaie courante. Là aussi c’est un état d’esprit, et une manière simple de produire des articles. « On détourne et ça sert, la fonction prime sur tout. Et l’esthétique vient parce que c’est cohérent », affirme-t-il.
Il s’agit toutefois de créer, donc être capable de curiosité, concevoir des formes à partir de ce que les autres ne perçoivent pas, inventer demain en étant d’aujourd’hui. Le design, avant tout marqué par l’innovation, crée ce qui n’existe pas ou pas encore, avec le souci de rendre service, de produire des objets fonctionnels et décoratifs, adaptés aux besoins usuels, tout en étant écologiquement intelligent et socialement responsable.
S’ancrer dans une culture
La création pourrait se suffire à elle-même, ouverte à toutes les influences. Pour Cheikh Diallo, elle n’a de sens que si elle s’ancre dans une culture : « Quand j’ai créé mon entreprise de design, j’ai eu cette chance de voyager dans le monde et travailler dans beaucoup de pays. Toutefois, j’ai décidé à un moment donné de produire au Mali pour créer du ‘’made in Mali’’. Parce que je travaille avec les artisans locaux, mon combat est de valoriser ces mains d’or et de faire en sorte que le travail de ces artisans soit de haute gamme ». Ses créations reflètent donc une identité forte, liées aux savoir-faire traditionnels de l’artisanat local.
Dès lors celui qui produit lui-même ses pièces, réalisées par des locaux, a eu pour objectif de capitaliser le savoir-faire artisanal malien. Il a commencé par décloisonner les métiers, casser les frontières et créer des objets sur lesquels tout le monde peut intervenir. Cheick Diallo a créé un véritable laboratoire, avec à ses côtés des étudiants venant des écoles d’art. « Notre bataille est de dire ‘’le savoir-faire ne peut pas que passer par le façonnage industriel. Il fallait venir en Afrique, dire que la valeur de la main était également une valeur sûre. Ce savoir-faire, c’est l’ancre d’une culture. Parce que si on abandonne le savoir-faire, c’est une partie de la culture qui disparait. Et si cela disparait, on disparait avec, notre identité culturelle s’effiloche », estime-t-il.
En projet, Cheikh Diallo prévoit de créer une école de formation au design pour l’Afrique de l’ouest, où consommateur, fabricant comme étudiant, pourront collaborer, s’enrichir mutuellement en cherchant des solutions pour la vie quotidienne. Avec toujours l’objectif d’insérer les artisans dans la chaine de production et faire comprendre aux autres que leurs mains ont de la valeur. Et qu’une main peut sauver beaucoup de choses, dont la culture.
Le dernier projet de Cheick Diallo est un bateau, conçu comme une école mobile pour aller former les jeunes un peu partout. Ce sera aussi une scène flottante, pouvant proposer théâtre et danse. Qu’il s’agit de faire descendre le fleuve jusqu’à Gao…
Zeïnabou Fofana