Réalisateur de plusieurs films et séries télévisées, Boubacar Sidibé (ex-agent de l’ORTM à la retraite), a été fait par le président de la République chevalier de l’Ordre national du Mali. Une distinction méritée qui lui a été décernée sur proposition du ministre de la Culture Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo pour ses loyaux services rendus à la nation malienne à travers la conception, la réalisation et la production d’œuvres cinématographiques. Sa médaille lui a été remise par le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, Arouna Modibo Touré.
Boubacar Sidibé est le principal réalisateur des films et séries télévisés diffusés sur l’ORTM. Très modeste, méconnu du grand public, Boubacar Sidibé est l’auteur de plusieurs films et séries connus et bien appréciés par les téléspectateurs et des passionnés du 7e art (cinéma).
Parmi ses films et séries il y a “Pacte social” (1999), “N’Tronkelen” (2000), “Les Aventures de Séko” (2001), “Sanoudiè” (2002), “Fantan ni Mônè” (2003), “Dou la famille” (2004-2006), “Le Fou du village” (2007), “Bajènè” (2008-2009) (écrit par Ousmane Sow) et réalisé par Boubacar Sidibé, “Les Rois de Ségou” (2010-2012), “Dougouba Sigui” (2013), “Yèrèdonbougou” (2014-2016), “Douwanadô sara” ou l’enfant béni (2015), “So ni nonchi” ou du Cheval au caméléon (2017), “Baayatoul islamya” ou les six serments de l’islam (2017), “La langue et les dents” ou vivre ensemble (2018), “Penda contre les gangsters de Bamako” (2018).
Boubacar Sidibé est aussi le concepteur et le réalisateur de dizaines de sketches, spots publicitaires, de sensibilisation et de documentaires. Administrateur des arts et de la culture, Boubacar Sidibé a été cameraman à l’ORTM de 1983 à 1991 avant de devenir réalisateur de films et séries. A travers ses films, l’ancien cadreur de l’ORTM est resté fidèle à des thèmes comme la paupérisation, l’importance du rôle de la femme au sein la société, la polygamie, l’exode rural, les problèmes de soins de santé dans les hôpitaux, la salubrité et l’hygiène. Il fait une peinture réelle de sa société : ses joies et ses peines, mais aussi ses travers, l’école, la politique, les détournements de fonds dans l’administration, le maraboutage, etc.
Pour 2019, il a en projet la réalisation de “Le village des idiots”, une série de 26 épisodes de 26 minutes. C’est en reconnaissance à la réalisation de ces œuvres qui ont rendu service à la nation malienne que Boubacar Sidibé a été décoré chevalier de l’Ordre national du Mali par le président de la République Ibrahim Boubacar Kéita sur proposition du ministre de la Culture, Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo.
“Je remercie la ministre de la Culture de m’avoir décoré”
Approché par nos soins, Boubacar Sidibé a bien apprécié cette distinction. Il nous a confié qu’avoir une décoration 3 ans après sa retraite est pour lui une immense joie et une fierté. Il a remercié le ministre de la Culture, Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo pour avoir pensé à lui pour cette distinction. Mais, il est resté un peu amer par le fait que cette récompense lui soit décernée par le ministère de la Culture et non par son département de tutelle, c’es-à-dire le ministère de l’Economie numérique et de la Communication.
“J’espérais beaucoup sur la décoration au niveau de l’ORTM parce que j’ai fait 33 ans au niveau de l’ORTM. Mais c’est le ministère de la Culture qui, à travers mes œuvres, a reconnu mon mérite en me décorant chevalier de l’Ordre national du Mali. J’aurais voulu que cette distinction me soit décernée par mon département de tutelle. Mais rien n’est perdu. Dieu faisant bien les choses, c’est le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, Arouna Modibo Touré qui m’a remis la médaille au nom du ministre de la Culture. Donc, avec le même œuf, j’ai pu faire de l’omelette et avoir un poussin. Je ne peux que remercier le ministre de la Culture, Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo de m’avoir décoré”, s’est-il justifié.
“Etant à la retraite, je suis plus prolifique”
Comment Boubacar Sidibé gère-t-il sa retraite ? Il a répondu qu’il est un cinéaste, un artiste. Et à son entendement, un artiste ne va jamais à la retraite, un artiste ne meurt jamais. Il a affirmé que même étant à la retraite, il continue d’écrire des scenarii et cherche des financements pour réaliser ses films. “Dieu merci, je suis à la retraite et c’est en ce moment que je suis le plus prolifique. Parce qu’étant à la retraite, je suis arrivé à faire trois séries de qualité internationale en 2018. J’ai fait une série sur les forces de sécurité pour dire que les populations doivent les aider à faire leur travail. Car ces gens ont besoin d’être aidés dans leur mission régalienne parce qu’ils travaillent pour les populations. J’ai pu faire une série sur la retraite. Parce que la précarité de la retraite tue beaucoup de personnes. Pendant que le travailleur est en activité, il doit investir dans l’éducation de ses enfants pour qu’ils le portent à la retraite. J’ai fait un film d’interpellation sur cette précarité de la retraite. Le 3e film que j’ai réalisé porte sur la réconciliation nationale. Ce film est en compétition cette année 2019 au Fespaco. C’est un film d’interpellation sur beaucoup de problèmes actuels du Mali. Si les gens arrivent à le comprendre, cela va résoudre beaucoup de problèmes des Maliens. C’est un film dans lequel j’essaie d’apporter ma contribution, ma pierre à la réconciliation nationale”, nous a-t-il confié.
“Même à la retraite, je ne peux pas voir l’ORTM en détresse et rester les bras croisés”
A la réponse à la question si sa retraite ne laisse pas l’ORTM orpheline, Boubacar Sidibé dira que l’ORTM et le gouvernement ont investi plus de 100 millions de FCFA dans sa formation de réalisateur. A ce titre, dira-t-il, il a la dette morale d’aider l’ORTM même étant à la retraite. “C’est ce que je suis en train de faire. Les responsables m’ont assuré que les portes de l’ORTM restent grandement ouvertes pour moi. Car je suis le fruit de cette maison. Les responsables m’ont dit qu’ils comptent encore sur moi. Je suis la 2e personne à entrer dans la nouvelle télévision parce que je m’occupais du VTR. Je ne peux pas laisser un enfant au monde et l’abandonner. Donc, même étant à la retraite, je ne peux pas voir l’ORTM en détresse et rester les bras croisés. L’ORTM m’a formé et je dois tout faire pour l’aider. C’est l’ORTM et le gouvernement malien qui m’ont donné la technicité pour faire des réalisations.
Et pendant 10 ans, j’ai représenté le Mali au Fespaco au niveau des séries. Cela n’est pas donné à tout le monde. Parmi 1000 films en compétition, le jury choisit 160 films. Et mes films étaient parmi ces 160 films sélectionnés pour les compétitions au Fespaco. Je ne peux que remercier le Bon Dieu, l’ORTM et le gouvernement malien qui m’ont tout donné”, a-t-il réagi.
Boubacar Sidibé avait-il songé la relève ? Il répondra qu’il a commencé à préparer la relève depuis la préparation de la réalisation de la série “Les Rois de Ségou”.
“Sur le projet «Les Rois de Ségou» j’avais dix stagiaires. Et des gens n’étaient pas d’accord avec l’incorporation de ces stagiaires de l’équipe de tournage. Je leur ai fait comprendre que je suis en train de préparer la relève en transmettant nos connaissances à ces jeunes. Et la meilleure façon de transmission des connaissances étaient de les associer à l’équipe de tournage et en les amenant sur le terrain. Et depuis lors, j’amène toujours ces stagiaires avec moi sur le terrain. Même étant à la retraite, j’ai sous la main 5 stagiaires qui sont en train d’apprendre avec moi. Mais le problème des jeunes, c’est qu’ils sont pressés d’avoir de l’argent. Quand tu les amène une fois sur le terrain, la deuxième fois, ils veulent savoir combien tu vas leur donner. Ils ne voient pas l’apprentissage ou la transmission gratuite de la connaissance, ils ne voient que l’argent. Je suis souvent confronté à ce problème. C’est vrai qu’ils sont aussi sous la pression des parents qui pensent qu’ils gagnent dans cet apprentissage. J’essaie de leur faire comprendre d’apprendre d’abord le travail avant de penser à l’argent. Car s’ils courent derrière la connaissance et le travail, l’argent va courir derrière eux. Mais s’ils courent derrière l’argent en laissant la connaissance et le travail, ils n’auront jamais d’argent et l’argent va les fuir. S’ils travaillent dur en acquérant des connaissances, ils auront de l’argent”, a-t-il conseillé aux jeunes qui veulent s’engager dans le métier de réalisateur.
Dans le cadre de l’assurance de la relève, Boubacar Sidibé nous a révélé qu’il a créé un centre à Brico films formation dédié à la formation de jeunes réalisateurs. “Cela fait deux Fespaco de suite où mes élèves sont sélectionnés pour représenter le Mali à l’Ecole africaine de cinéma au niveau du Fespaco. Cette année, j’ai encadré cinq jeunes (3 filles et 2 garçons) qui ont fait cinq films. Mais malheureusement, ces cinq films n’ont pas été retenus parce que la sélection était très rigoureuse. Mais comment faire pour amener les cinq jeunes et les trois comédiens de la série en compétition (2 hommes et une femme) pour aller représenter et défendre la vision du Mali au Fespaco ? J’ai adressé une correspondance au ministre de la Culture et j’espère bien qu’il y aura une réponse positive pour donner de la visibilité à ce qu’on fait”, a-t-il espéré.
“Le grand problème de l’ORTM est le poids de la chose politique”
Parlant des qualités d’un bon réalisateur, Boubacar Sidibé a laissé entendre qu’il remercie beaucoup le Bon Dieu. Car il a pu réunir en lui quatre spécialités. Ce qui, à ses dires, est rare. “J’ai été cameraman à peu près une vingtaine d’années à l’ORTM. Donc, je connais le cadre. Avant l’ouverture de la télévision malienne, j’ai été envoyé en Libye pour apprendre le montage. J’ai été envoyé en France pour apprendre l’écriture des films. Ensuite, j’ai été en Angleterre pour apprendre la réalisation. Donc, en ma seule personne, il y a beaucoup de spécialités. C’est pour cela, écrire, réaliser et monter un film, trois séries de qualité en année, c’est du jamais vu en Afrique”, a-t-il expliqué.
En conseillant aux jeunes réalisateurs qu’il a laissés à l’ORTM, Boubacar Sidibé sait que l’Office a un grand problème. “Le grand problème de l’ORTM est le poids de la chose politique sur lui. Fraîchement revenu de l’Angleterre, quand j’ai commencé à faire les «Aventures de Séko», j’ai essayé d’amener des jeunes avec moi pour les former. Mais, quand nous étions en tournage, le directeur de l’ORTM de l’époque m’a appelé pour me reprocher le fait que j’ai amené les deux jeunes qui étaient des assistants réalisateurs. Il m’a dit que je veux lui créer des problèmes. J’étais obligé de libérer les jeunes qui n’ont plus suivi la formation. J’ai fait toutes les séries des ‘Aventures de Séko’ sans un stagiaire.
Souvent j’encadre des jeunes qui sont, malheureusement, sous la pression de leurs familles pour des problèmes d’argent. Parmi ces jeunes formés par mes soins, beaucoup ont eu des prix internationaux. Il y a une qui travaille présentement à la télévision du Burkina qui a été formée par moi. J’essaye d’aider les jeunes pour qu’ils volent avec leurs propres ailes.
Mais la transmission, c’est un émetteur et un récepteur. J’essaie d’émettre mes connaissances aux jeunes. Mais, il faut que ces jeunes soient présents à mes côtés pour recevoir ces connaissances. Même si j’émets s’il n’y a pas de récepteur, il y aura un problème dans la transmission. Malheureusement, les jeunes ne sont pas patients pour mieux apprendre avec les anciens. Car ils sont pressés de s’enrichir. Ce qui fait qu’ils ne travaillent pas correctement pour donner satisfaction. Parce qu’ils n’ont pas bien appris”, a-t-il regretté.
Il souligne que n’est pas réalisateur qui le veut parce que la réalisation est une passion. “Si quelqu’un veut faire le métier de réalisateur, il faut qu’il ait la passion de le faire. Comme le dit l’adage, qui veut faire du charbon, doit accepter de supporter la fumée”. Son espoir de relève vient du fait qu’il a des enfants qui sont en train de marcher sur ses pas. Parmi ses enfants, deux filles ont déjà remporté respectivement le prix du meilleur documentaire et un grand prix en Côte d’Ivoire. Une travaille aux Etats-Unis. Sa seconde fille a deux fois représenté le Mali en Côte d’Ivoire. Il a aussi deux garçons dont l’un est ingénieur qui travaillent avec lui dans le cinéma et dans la réalisation. Beaucoup d’autres jeunes qu’il considère comme ses enfants sont sur le point d’émerger dans la réalisation.
“Je suis comme un soldat au front. Je me suis battu pour mon pays et je continue de me battre pour mon pays. En tant que réalisateur, j’ai été formé pour monter un rempart contre les mauvaises images qui agressent notre pays…”
Boubacar Sidibé est-il un homme comblé ? Il répondra par l’affirmative. “Je suis un homme comblé. Quand j’entends les gens commenter mes films, cela me donne une grande joie. Comme je ne sors pas dans mes films, les gens ne me connaissent pas. Et quand je les entends commenter mes films comme «Bajènè», «Les Rois de Ségou», «Les Aventures de Séko», cela me donne une grande joie, une grande satisfaction. Pour moi, ces commentaires valent plus que des médailles”, s’est-il réjoui.
Il s’est empressé d’ajouter que la médaille à lui décernée par le ministre de la Culture lui a apporté une immense joie, une fierté. Il a dédié cette médaille à tous ceux qui sont avec lui, à tous ceux qui étaient avec lui, tous ceux qui l’ont accompagné pendant ses années de fonction, Alou Badra Haïdara depuis qu’il était à “L’Indépendant” et beaucoup d’autres journalistes comme toi Doumbia.
“L’attraction de la chose politique est tellement forte que les journalistes ont tendance à couvrir l’actualité politiques. Très peu de journalistes s’intéressent à la chose culturelle. Je suis comme un soldat au front. Je me suis battu pour mon pays et je continue de me battre pour mon pays. Ici au Mali, nous recevons des images d’autres pays qui agressent notre culture, notre manière de faire. En tant que réalisateur, j’ai été formé pour monter un rempart contre les mauvaises images qui agressent notre pays. Et ma formation de réalisateur me permet de puiser dans notre culture avec la vision africaine pour essayer de combattre les mauvaises manières de faire, les mauvaises idées qui ne sont pas les nôtres”, a-t-il soutenu.
Parlant de sa satisfaction matérielle et financière, il a laissé entendre qu’il y a la précarité dans le métier de réalisateur et qu’il ne court pas derrière l’argent. “Comme les autres métiers, les réalisateurs, de par leur inorganisation, sont dans la précarité. Si on m’avait donné l’argent à la place de la médaille, cela allait me faire plaisir. Mais j’ai des satisfactions morales qui ne peuvent pas être achetées. Pour ‘Les Rois de Ségou’, les Ségoviens m’ont chaleureusement félicité et encouragé pour la réalisation du film qui, à leurs dires, a remonté la fierté des Ségoviens. Ce qui m’a donné une grande satisfaction”, a-t-il plaisanté.
Il a tenu à remercier les cinéphiles et leur demander pardon pour les éventuels désagréments dans les films. Par rapport à la réalisation des Rois de Ségou, Boubacar Sidibé a dit qu’il a été interpellé pour la réalisation des films sur le Royaume du Kénédougou, sur Soundiata, l’histoire du Kurukanfuga, le Royaume peul de Macina, le Royaume des Askias, la résistance à la pénétration française au Soudan.
“J’ai fait des embryons de travail sur ces projets. Et c’est normal de réaliser ces projets. Mais, le réalisateur meurt toujours étant enceinte, c’est-à-dire qu’il meurt avec des projets non réalisés. Mais s’il y a une politique, une vision gouvernementale pour regrouper les cinéastes afin de donner au Mali sa gloire à travers les films, nous pourrons le faire. Mais le gouvernement essaie toujours de gérer les urgences. Et les réalisateurs sont traités d’amuseurs. Ce n’est pas de mauvaise fois que le gouvernement le dit, car il est constamment sous pression pour sauver la maison”, a-t-il avoué.
“Nous faisons des films et des séries pour éduquer les populations”
Boubacar Sidibé a-t-il des regrets ? Il a révélé que son plus grand regret vient du fait que jusqu’à présent les réalisateurs maliens n’arrivent pas à s’unir pour pouvoir convaincre les décideurs à leur laisser des idées. Parce que, a-t-il avancé, “quand quelqu’un veut construire un pays et qu’il ne travaille pas sur les ressources humaines, il échouera. Nous ne faisons pas les films pour faire seulement rire ou amuser les gens. Nous faisons des films et des séries pour éduquer les populations. Dans mes films et séries, je fais des musiques pour faire passer des messages de conseil, de sensibilisation, de moralisation”.
Evoquant les difficultés des réalisateurs, Boubacar Sidibé dira que la principale difficulté d’un réalisateur (un faiseur de film) est le financement des films. “En faisant des films, le pays peut régler beaucoup de problèmes. A travers les films, nous faisons des messages de sensibilisation, d’éducation, d’information, de moralisation des populations par rapport à certains comportements, certaines situations. Mais les politiques préfèrent gérer l’urgence. Par exemple, dans les situations des cas des vers de Guinée, si nous demandons 10 millions pour faire des films de messages de sensibilisation, les autorités préfèrent investir ces 10 millions dans le traitement de 100 personnes. Alors qu’en faisant un film avec les 10 millions, on peut informer, sensibiliser plus d’un million de personnes d’éviter de boire l’eau pour ne pas être contaminées et d’attraper la maladie. Malheureusement, les réalisateurs n’arrivent pas à convaincre les décideurs à financer les films pour l’éducation de la population. Il est très difficile d’avoir le financement d’un film. Le gouvernement doit donner les moyens aux réalisateurs pour pouvoir mieux travailler”, a-t-il regretté.
A la retraite, Boubacar Sidibé n’est pas désœuvré. Il est consultant-formateur en audiovisuels pour plusieurs structures.
Siaka Doumbia