Aujourd’hui, grâce aux téléphones, tout le monde prend des photos pour immortaliser les instants avec les amis du «grin» ou avec la famille. Depuis janvier 2012, les photos prises lors des moments graves que le Mali a connus, sont partagées et diffusées sur les réseaux sociaux et dans la presse. Elles sont le lien entre le Mali et le reste du monde.
Mais, la photographie est avant tout une expression artistique. Le photographe, comme un reporter, nous permet de découvrir les instants volés à la vie quotidienne et aux cérémonies, de nous émerveiller des paysages ; de découvrir la mode, et les trésors culturels ou d’immortaliser certains aspects de la vie politique. Pour notre plus grand plaisir, la photographie est un art qui joue avec la couleur (noir et blanc) et entre ombre et lumière.
Lorsque la vie vous entraîne loin de votre terre natale, bien souvent, vous vous découvrez une passion pour la photographie et pour les passeurs d’émotion que sont les photographes. C’est ce qui est arrivé à François Huguier que la vie a mené un jour au Mali. Plus tard, en 1994, à Bamako, elle crée la première «Biennale africaine de la photographie», rencontres annuelles pendant lesquelles, expositions, colloques et projections ont offert un panorama de la création contemporaine en Afrique, où les photographes maliens figurent toujours parmi les plus dynamiques.
Cette année, Françoise Huguier a décidé d’offrir au public parisien la chance de découvrir les photographes maliens et leurs clichés ; ce qu’elle estime être une autre façon de parler du Mali. L’exposition «Bamako Photo In Paris» a trouvé son écrin dans le Pavillon «Carré de Baudouin», impressionnante bâtisse à colonnes du XVIIIème siècle, aujourd’hui propriété de la Mairie de Paris et lieu artistique et culturel géré par la Mairie du 20ème Arrondissement.
Malgré les difficultés financières rencontrées, l’exposition, sous le haut patronage de Mme Valérie Trierwieler, a ouvert ses portes le 4 octobre, en présence de Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée auprès du ministère des Affaires étrangères français et de nombreuses autres personnalités, dont le célèbre cinéaste, Souleymane Cissé.
«Bamako Photo In Paris» est un vibrant hommage au Mali et aux photographes maliens, hommes et femmes de toutes générations. Le public y est déjà venu nombreux. Les Maliens qui vivent dans les foyers voisins, ont été touchés qu’on montre, enfin, leur pays sous un autre jour que celui de la guerre.
La scénographie adoptée dans les vastes salles magnifiquement éclairées, permet à chaque visiteur de profiter de chacun des groupes de clichés d’une extrême qualité technique. Au total, une quinzaine de photographes exposent.
Souleymane Cissé a confié des photos de ses castings. Seydou Keïta, Adama Kouyaté et Malick Sidibé, les anciens, nous font découvrir ce qu’était la photo en studio, où la mère et l’enfant étaient mis en valeur, mais aussi l’effervescence de la jeunesse malienne après les indépendances. Les fiers Peuls de Mory Bamba et ses photos de villageois évoquent le brassage ethnique, la diversité culturelle et la cohésion de la société au Mali. C’est l’Afrique en perpétuel mouvement qui passionne Adama Bamba. Ici, c’est le triangle de remous, sans doute laissé par une embarcation sur le fleuve Niger, qui nous impressionne. La jeune Bintou Camara s’amuse des Chinois qui investissent le continent. Ses clichés interrogent sur leur présence et leurs desseins. Seydou Camara ne savait pas, lorsqu’il a pris ses premières photos des portes et des manuscrits de Tombouctou, que ce patrimoine allait être mis en danger quelque temps plus tard. Elles illustrent l’ouvrage que Jean-Michel Djian y a consacré. Fatoumata Diabaté nous renvoie à l’insouciance et au désir de liberté du bel âge de la jeunesse qui profite de la vie nocturne de Bamako pour s’exprimer. Tout le monde connaît les photos que Sogona Diabaté a faites des candidats à la dernière élection présidentielle. Mais, cette jeune femme aime aussi les chaussures et les photos colorées qu’elle en a faites le prouvent. Dicko Harandane, en résidence d’artiste en Europe dans les années 2000, souligne le décalage culturel qui existe entre une usine désaffectée et un homme africain. Amadou Keïta montre les dégâts de la déforestation et magnifie la grâce de la pirogue sur le Djoliba. Il sait aussi porter un regard rare sur la femme malienne. La série de photos de Mamadou Konaté nous rappelle que l’avenir des générations futures se construit dans l’effort et la patience d’une jeune pousse d’arbre. Emmanuel Bakary Daou insiste sur les valeurs ancestrales des masques, des signes et des symboles, gardiens de la tradition. C’est dans les instants et les objets de la vie quotidienne malienne que nous entraîne Mohamed Camara. Les photographies présentées par l’Association Oscura ont toutes été réalisées par de jeunes Maliens en difficulté, mais leurs «petits riens de la vie quotidienne» soulignent la richesse de leurs imaginaires.
J’ai été conduite dans l’univers «Bamako Paris In Paris», de photo en photo, par Hélène Trézel-Fallard, assistante de Françoise Huguier. Elle m’a expliqué que cette exposition avait été rendue possible grâce à l’énergie de toute l’équipe du «Carré de Baudouin». Cependant, il reste beaucoup de choses à régler, notamment les factures. En effet, certaines déclarations de soutien qui apparaissent sur les affiches n’ont pas été honorées financièrement. C’est en grande partie grâce à la Mairie du 20ème Arrondissement et au Mécénat de «Agnès B», entreprise de vêtements et cosmétiques, mais surtout grâce à Françoise Huguier que ces photographes maliens seront découverts jusqu’au 7 décembre 2013.
Ensuite, il faudra développer la même énergie pour que cette exposition devienne «Bamako Photo In Bamako/Mali». Les promesses d’aide au développement du Mali, faites à Bruxelles en mai, doivent être partiellement consacrées à la culture. Espérons que les décideurs maliens et internationaux sauront que la photographie est un art à part entière et une facette inestimable du patrimoine contemporain. Cette exposition trouvera alors sa place à Bamako et parcourra ensuite le Mali, pour le plus grand plaisir des Maliennes et des Maliens et des touristes enfin revenus.
Françoise WASSERVOGEL