Longtemps méconnu des occidentaux, cet art primitif a franchi les frontières africaines dans les années 1950. Jusqu’à fasciner l’Europe et l’Amérique. Les œuvres présentées au musée du Quai-Branly montrent l’incroyable richesse et la splendeur de ces figures du Mali.
L’art dogon n’a été découvert en France que tardivement (dans les années 1960). Amateurs et collectionneurs s’étaient pourtant déjà entichés des sculptures du Cameroun, du Gabon ou de la Côte d’Ivoire. Les créations plastiques des civilisations du bout du monde avaient déjà enflammé peintres et sculpteurs, tels Vlaminck, Braque, Picasso ou Matisse. Mais les majestueuses figures du Mali restaient encore inconnues, ou presque.
Le phénomène paraît d’autant plus surprenant que les anthropologues français exploraient ce pays, alors parti du Soudan français, depuis le début du XXe siècle. Ils posaient leurs campements à l’est, sur la falaise de Bandiagara, là où les Dogon, fuyant islamisation et esclavagisme, s’étaient réfugiés des siècles plus tôt. De leurs missions d’études, les scientifiques rapportèrent des milliers d’objets, fragments de peintures rupestres et volets de grenier, masques et appui-tête, petites sculptures. Mais pas de statues dignes de ce nom.
“On ne les montrait pas”, explique Hélène Leloup, commissaire de l’exposition actuellement présentée au musée du Quai-Branly. Les étrangers côtoyaient les populations locales, assistaient à certaines cérémonies, et notamment aux spectaculaires danses de masques, comme l’avait fait Marcel Griaule dans les années 1930, au cours de la fameuse mission Dakar-Djibouti. Les sanctuaires, en revanche, leur restaient interdits. Les ethnologues se heurtaient au mutisme des anciens, qui conservaient leurs statues à l’abri des grottes de Bandiagara. Les objets de culte animiste ne pouvaient supporter tous les regards. Pour garder leurs pouvoirs, ces gardiens de bois, protecteurs de la communauté, intercesseurs entre les hommes et les forces supérieures, devaient rester cachés.
L’engouement des Français
La situation s’est inversée à partir des années 1950, à la faveur de la décolonisation, qui accéléra les conversions à l’islam. Les croyances animistes étant en perdition, les chefs de villages ont commencé à céder contre de l’argent les grandes statues, qui ont alors quitté le Mali.
Et c’est ainsi qu’elles sont arrivées sur le marché français, où elles ont rapidement suscité l’engouement. Mais la dogonmania n’est pas restée cantonnée à l’Hexagone. Les beaux objets ont été engloutis dans les collections, tant européennes qu’américaines.
Un demi-siècle plus tard, l’art dogon fascine toujours autant. Ces cavaliers, ces maternités, ces figures aux bras levés vers le ciel continuent de nous toucher. Même si les styles varient, en fonction des villages, au gré des influences, l’art dogon possède la qualité immémoriale des œuvres qui traversent le temps. Nourri de spiritualité, c’est un art qui va à l’essentiel. Austère et beau à couper le souffle.
L’Express