Abubakari II est peu connu et parfois mal connu tant dans son pays d’origine le Mali, dans son continent, l’Afrique que dans le reste du monde. Et pourtant il demeure un pionnier incontournable dans le processus des grandes découvertes, plus de cent cinquante ans avant Christophe Colomb, Magellan ou Vasco de Gama. Sa tentative de traverser l’étendue salée a fait du 15 siècle celui qui remettra en cause toutes les connaissances géographiques antérieures pour déboucher sur la Renaissance et la Reforme en Occident.
Les recherches inachevées qui attendent des compléments de réponses
Au seuil du 3ème millénaire, l’homme, qui a désintégré l’atome, pesé la lumière, et évolué dans l’espace se doit, ou nom de son nom d’homme de reconnaître la contribution de tous les peuples au progrès universel.
Dans le domaine de la science, les pionniers, comme Abubakari II, ont droit à la reconnaissance, quelle que soit l’issue de leurs investigations : héros ou martyrs.
Des preuves se constituent aujourd’hui que Abubakari II, Mansa du Manding est effectivement parti pour une exploration transocéonique, accompagné de milliers de marins à bord de la Flotte Farafina. Les données sur la navigation de l’époque attestent qu’il a emprunté avec des embarcations à voile le corridor Nord. Equatorial des mools mariniers ouest africains balisés par les courants et vents permanents soufflant d’Est en Ouest entre la Sénégambie , le Golfe de Guinée d’une part , le Golfe du Mexique et l’Amérique Centrale d’autres part. Ce corridor parallèle à celui du Bergala est alors la voie obligée de la navigation transatlantique à voile de tout l’hémisphère Nord.
Abubakari II, baptisera Abiabala (nom originel des terres d’outre atlantiques) Brésil en souvenir de son co-pilote et cartographe arabe Ibrahim Ismaël. L’onomastique traduit la contraction des deux vocables. A l’époque, les géographes et les cosmographes arabes sillonnant les mers étaient en contact avec l’Afrique.
Nul ne peut contester qu’au premier millénaire, l’Afrique Noire fut ouverte aux civilisations étrangères dont celles du Moyen Orient et de l’Extrême Orient et qu’elle était poreuse surtout à la civilisation arabe dont la piété guerrière islamique au fort de ses humeurs conquèrantes avait annexé le Maghreb, la Berberie, conquis la Syrie, l’Egypte, la Mésopotamie.Cette foi dite sarrasine qui envahit l’Espagne, fit prendre Jérusalem par Salah El Din et affronta Toulouse défendue par le Comte Dudes pour assiéger ensuite Carcassonne, Nîmes, Lyon avant la trêve de Bourgogne. Trêve rompue par le siège de l’Aquitaine et deux cents ans de troubles de la Provence à l’Atlantique.
A l’établissement des relations diplomatiques par Charlemagne avec Haroun El Rachid des contacts permettront à tout le moyen âge intellectuel de profiter du rayonnement scientifique de Cordoue.
L’Afrique noire accède au patrimoine technique commun qu’elle adapte à ses besoins.Ses ambassadeurs, ouverts à l’écoute, favorisent et fructifient ces télescopages d’idées, ces confrontations d’expériences.
Au 13è siècle déjà la marine marchande moyen orientale mouille sur les côtes mandingues, y vend et achète selon les protocoles d’accords, les traités.A la cour des Rois manding, l’on déguste du vin de France dans du porcelaine chinois .Les chantiers navals du Manding construisent des embarcations sur la base de l’expérience arabe de la navigation et de la cartographie de savants indous. A cette époque la banque des données moyen orientales sur les océans alimente même l’Europe.
Au début du 14è siècle, lorsque Abubakari II monte au pouvoir, il prend conscience de l’enjeu que constituent les routes océanes pour le décloisonnement humain, pour la circularité des concepts. Erudit en arabe, homme d’Etat porté par son ambition personnelle à l’aventure de l’Autre et à la Complémentarité humaine, il investit dans les sciences maritimes et met à profit l’expérience arabe. Libre penseur, il se détourne de la guerre et met les biens de l’Etat au service de la Raison et de la recherche. C’est ainsi qu’il dote son empire d’une flotte célèbre jusqu’au Moyen Orient.
La flotte Abubakarienne, comprenant des milliers d’embarcations est pilotée par des capitaines de toute les contrées africaines maîtrisant des cartes maritimes conçues selon la grille de latitudes et de longitudes établie par des astronomes indous. Si l’on transcende toute considération secondaire, tous les a prioris, pour apprécier l’effort du génie humain, il convient de reconnaître que l’art de la navigation arabe a profité à l’Europe, en retard dans ce domaine. Le fils de Christophe Colomb, lui-même, Ferdinand Colomb témoigne que l’héritage de l’astronome arabe Al Fergani a été décisif dans les succès maritimes de son père.
Concernant la fiabilité de la flotte noire africaine Christophe Colomb lui-même affirme avoir croisé sur les routes de l’Ouest des expéditions commerciales navales partant de la Côte de Guinée. Ce qui prouve qu’il n’avait pas une idée précise des routes de l’Asie.
Reconnaître aujourd’hui ces vérités révélées par l’amiral et son fils revient pour beaucoup à remettre en cause certaines assises de la civilisation de l’Occident. Je parle sous le contrôle des historiens.
Rappelons que c’est seulement en Janvier 1492 que l’Espagne a libéré Grenade de l’occupation arabe après huit siècles de présence islamique sur les terres chrétiennes.
Rappelons que le motus vivendi de l’Occident sur les prestations maritimes abubakariennes a été voulu parce qu’inspirées d’expériences arabes.
Mais rappelons d’abord qu’à ce moment de l’Histoire, l’Occident, sur le plan de la découverte agit au nom de l’expansion et de l’enrichissement à travers la domination sous le couvert de la religion.
Chez Abubakari II, la rationalité l’emporte sur cette rélogiosité pure qu’il a d’ailleurs contestée pour appeler à consommer l’Autre, à le gérer au nom de la dimensionnalité humaine
Aujourd’hui son exploit provoque des controverses est-t-il vraiment parti. S’il est parti, est-il arrivé quelque part ? Dans quel continent ? A-t-il pu communiquer sur son point de chute ? Pourquoi les historiens africains se taisent-ils sur son odyssée ? Son succès possible est mis en doute par d’éminents chercheurs dont Pierre Aleixandre pour qui les vaisseaux manding n’étaient pas fiables pour résister à l’assaut atlantique.
Par contre, d’autres spécialistes de grande navigation soutiennent le débarquement possible sur le nouveau monde de ses embarcations après la traversée océane. Parmi eux, Heyerdahi Thor, dont l’expérience personnelle prouve que des canaux moins importants que ceux du Manding peuvent relier les côtes africaines à l’Amérique.
Le fait même de tenter cette expédition mérite quelle soit retenue dans l’histoire de la navigation mondiale surtout de la part d’un Roi qui avait les moyens de la financer et qui n’était pas ignorant des techniques maritimes. Et surtout pour le fait qu’il l’a tenté au nom d’un idéal qui reste une interpellation .La thèse de Ivan Van Sertima, appuyant celle de Weiner et de Jeffreys demeure ferme : Christophe Colomb n’est pas le premier explorateur à découvrir l’Amérique : des Noirs ont débarqué sur ce continent avant lui. Ce qui explique l’origine négro-américaine de la civilisation olmèque .Tout en reconnaissant le courage du navigateur génois qui a beaucoup contribuer à faire connaitre un nouveau continent à l’Europe, il faut souligner que l’histoire révèle toujours ses secrets avec le temps et qu’elle n’est pas l’apanage d’un siècle, d’une civilisation ou d’un nation.
Rappelons -nous, que Christophe Colomb a débarqué dans les Caraïbes le 9 Septembre 1492 dans l’île Wathing( San Salvador aux Bahamas) le 12 Octobre , à Cuba le 4 Décembre à Saint Domingue, le 6 Décembre. L’Explorateur rend compte dans ses notes de voyage, de données toponymiques, ethnonymiques, d’items, de flore et de langues religieuses qui ont précédé l’espagnolisation de ces contrées et qui y attestent du coup, la présence des ” Afro-negremos “ dont l’héritage constitue aujourd’hui l’une des préoccupations centrales et de la linguistique moderne vivante et des interférences nées des contacts culturels et des langues.
Ainsi, la prise en compte de la transplantation de l’Afrique dans l’Amérique précolombienne recentre l’entreprise lexicale ou phonétique des futurs projets régionaux d’atlas linguistiques de la variation.
Les recherches d’Ortis sur Cuba, de Freyere ou de Bastide, les œuvres de Guillen et d’Isabel Castellanos nous orientent sur l’origine des formulaires précolombiens du Candomblé et d’autres panthéons africains aux pratiques magiques.
La musique du Nahi et du Fandango, le paysage linguistique débordant de termes comme Bêlé, le ngo ka, cogiocca, le bembe, futu, ,bombolo, quarapo, kingombo, igname sont évocateurs de cultures afro noires provenant de multiples zones géographiques du continent africain. Entre autres :
1) le nord-est sub-saharien incluant le Mali, la Sénégambie, la Sierre Leone, le Libéria,
2) depuis le cap de Palmes jusqu’aux rives orientales du delta du Fleuve Niger, comprenant la Côte d’Ivoire, la côte de l’Or, le Togo, le Bénin et le Nigeria méridional.
3) du Calabar au Nord-est du Cameroun
4) Du Congo septentrional à l’Angola
5) de la Côte sud-est du continent africain
Les débats sont ouverts pour infirmer ou affirmer les résultats de ces différents travaux qui traitent de l’Amérique précolombienne marquée par les cultures afro – noires
La découvert de pans de langues, d’éléments linguistiques issus de ces zones dans les milieux occidentaux, dans les rites et cultes amérindiens d’avant Colomb, nous interpelle pour une relecture de l’histoire des Amériques dans leur phase pré ibérique.
Nous pensons qu’ignorer soit consciemment ou inconsciemment ces thèses qui deviennent des hypothèses revient à amputer l’histoire et de l’Afrique et de l’Amérique des moments importants qui pourraient davantage dynamiser entre ces deux continents et l’ensemble des nations la coopération dans divers domaines .. Aujourd’hui, sur la présence afro noire dans les Amériques, des monographies apparaissent encore timides.
Les œuvres de Sertima, de Bertil Malmberg, Manuel Paiva, J.M. Lope Blanche, d’Ortiz ou de Bastide (pour qui des débats plus poussés sur les africanismes dans le phonétisme hispano luso américain) élucideront davantage, au delà des interférences créées par la créolisation, la profondeur réelle des racines africaines qui sourdent et irriguent l’humus amérindien.
LE SYMBOLIQUE ESSENTIELLE DE 2012 EN AFRIQUE
L’année 2012 est une année qui devrait amorcer le regroupement de tous les chercheurs en vue d’apporter des données complémentaires sur l’expédition transocéanique d’Abubakari II.
Si tous les Etats de notre continent s’intéressaient à ce projet en contribuant dans la décade à venir un financement si modeste soit-il, ce serait une façon de réhabiliter la mémoire historique et identitaire de l’Afrique, sans pour autant affecter nos liens de collaboration avec tous ceux qui aujourd’hui sont à nos côtés au chantier de la mondialisation.Car un peuple qui s’ignore ne saura jamais où aller.
RELEVER LE NIVEAU DES DEBATS SUR L’IMPLANTATION AFRICAINE AUX AMERIQUES PRECOLOMBIENNES
Aujourd’hui, l’investigation des antiquités amérindiennes pour atteindre une dimension historique devrait nécessairement prendre en compte l’apport de toutes les cultures précolombiennes.
En effet. Le niveau des débats sur la datation de la présence africaine dans les Amériques précolombiennes serait au degré zéro sinon dérisoire si cette présence reste liée ou concomitante à l’arrivée des premiers esclaves noirs au Vénézuela en 1525, soit 27 ans seulement après que Christophe Colomb eut débarqué sur le nouveau continent
L’archéologie du subconscient amérindien précolombien atteste que le sang noir coule dans l’art des Olmèques et des Mayas sur la côte du Golfe du Mexique, dans les styles de constructions et de temples sur le plateau des Andes en Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie, dans les cultes des ” dankun “ et ” jétu ” lieux sacrificiels d’origine Manding.
Le sang noir draine l’imaginaire inca et marque les forteresses de Sacsochuaman et Machupichu ! Tant de monuments historiques et de statues culturelles qui ont fait la gloire des empires amérindiens précolombiens. Ces gigantesques pyramides de pierre, élevées à les grandeurs des rites anciens qu’entretenaient des prêtres païens et qui enseignaient que la vraie richesse de l’homme était dans sa pauvreté.
Cette pauvreté qui est le signe supérieur des richesses spirituelles était le biotope d’Abubakari II. En tant q’atlante, il était tourné vers les valeurs du passé, refusant le présent au nom de l’Avenir.
Si hier, Abubakari II était un tabou, aujourd’hui il est un objet de l’histoire. Les chercheurs se doivent alors de conjuguer leurs efforts pour l’investir, le situer dans son parcours comme les archéologues reconstituent un objet antique à partir de ses brisures. Ce défi nous devons le relever.
Pr Gaoussou DIAWARA