Entre éclats de rire et prise de conscience des maux qui rongent l’administration, reflet de notre société, ce spectacle de Kotèba chorégraphique de la compagnie BlonBa a tenu la salle en haleine.
«J’ai rarement autant ri de ma vie. J’ai été surtout impressionnée par le caractère hors norme et la pertinence des messages qui ne noient pas dans l’allégresse ou la colère des acteurs. Ce spectacle m’a permis de découvrir un autre pan de la riche culture malienne : le théâtre ! Et je vous assure qu’il est aussi fascinant et attrayant que la musique du pays connue partout dans le monde» ! C’est la confession faite par Catherine, une jeune expatriée française à la sortie du spectacle Ala tè sunogo ou «Dieu ne dort pas». C’était le vendredi 29 mai 2015 à l’Institut français de Bamako (ex Centre culturel français de Bamako).
Mais, au-delà du rire, ce spectacle théâtral et chorégraphique de BlonBa (une mise en scène de Jean-Louis Sagot-Duvauroux et Ndji Traoré) est avant tout un coup de gueule, un coup de pied dans la fourmilière des maux qui hypothèquent le développement du pays en bloquant l’administration et en entravant les initiatives privées.
Comme l’a si pertinemment écrit un confrère Français, c’est «une déclaration de guerre théâtrale à la destruction des valeurs au Mali». Et Ala tè sunogo est une comédie burlesque à visée politique interprétée par des comédiens maliens comme la grande Diarrah Sanogo dite Bougouniéré, sacrée Meilleure comédienne de l’Afrique en 2009.
Cheickna Diarra (Sidi Soumaoro alias Ramsès avec Tata Pound), un opérateur culturel bamakois, tente de faire vivre sa salle de spectacles «Kotèso» malgré les embûches de la corruption, l’égoïsme, de l’hypocrisie, de la jalousie, de la méchanceté… Traitée dans le style burlesque des comédies de Kotèba, cette histoire rapproche le «truculent personnage» de Bougouniéré et Solo (Souleymane Sanogo), un jeune muet qui vit, danse et dort dans la rue.
Goundo (Alimata Baldé), la fille de Bougouniéré, comprend que la danse est le langage du jeune muet pour exprimer son désarroi et la révolte qu’il couve comme un volcan. Elle demande à sa mère de l’héberger. Celle-ci le présente à Cheickna pour qu’il le prenne dans sa troupe…
Mais la danse contemporaine pratiquée par Solo est comme la politique au Mali voire en Afrique : pour mobiliser le public, il faut payer ! Heureusement que le jeune danseur se débrouille bien aussi avec les danses traditionnelles.
Le spectacle lève surtout avec précision une partie du voile sur les raisons de la révoltante fermeture de la salle BlonBa. En effet, Dieu ne dort pas montre la fermeture forcée et honteuse d’une entreprise artistique à Bamako, la corruption, le vol, l’injustice.
Les comédiens y déclarent la guerre à tous les maux qui ont plongé le Mali dans l’impasse dans laquelle elle se cherche depuis janvier 2012 sans véritablement voir le bout du tunnel.
Des tares qui sont devenues «le venin qui paralyse le pays». Un système vicié qui fait que, au Mali, «chaque fonctionnaire est un auto-entrepreneur». La danse (contemporaine, traditionnelle) est omniprésente dans ce spectacle avec l’ambition «d’effacer la laideur du monde».
D’ailleurs, l’un des charmes artistiques de la création (la 15e de la Compagnie BlonBa) est qu’elle tisse une fantastique passerelle entre les ressorts burlesques du kotèba et les arts urbains comme le rap ou la danse contemporaine.
La noblesse de l’amour
«Le croisement entre la danse contemporaine et le kotèba ajoute une pulsation poétique à une histoire par ailleurs très critique sur les dysfonctionnements de la société malienne», souligne Alioune Ifra N’Diaye, responsable de BlonBa.
Cette histoire est aussi traversée par l’amour qui naît entre deux jeunes gens, dont un «enfant des rues» muet, qui ne s’exprime qu’en dansant. En effet, Alimata Baldé et Souleymane Sanogo symbolisent la noblesse de l’amour comme sentiments humains dans ce spectacle bien accueilli par la critique un peu partout.
Une noblesse qui forge des valeurs comme la solidarité, la fraternité… de plus en plus noyées dans l’hypocrisie et l’individualise exacerbé. Sur le plan culturel, c’est une exhortation au refus du repli identitaire auquel on assiste de plus en plus en Afrique et dans le monde.
C’est un spectacle prémonitoire dont la création à Bamako a été interrompue par le coup d’Etat du 22 mars 2012. «C’est une œuvre qui permet de voir le Mali différemment, mais aussi et surtout pour passer un beau moment entre humour et réflexion, entre poésie et franc engagement», souligne un spectateur.
Le spectacle prend fin sur une note d’espoir car, promet Goundo, «ça va bouger» ! Oui, ça va bouger parce que Dieu ne dort pas pour punir ceux qui veulent empêcher à tout prix les autres de s’épanouir et de développer le pays.
Ça va changer parce que la crise que nous traversons à visiblement fait comprendre aux Maliens qu’ils sont les seuls responsables de leur bonheur ou de leur malheur !
C’est le message d’espoir partagé à la fin avec le public au sein duquel les Premiers ministres Modibo Sidibé et Moussa Mara, l’ex-ministre Ibrahima dit Iba N’Diaye… Un message que nul, surtout les jeunes et les leaders politiques, n’a le droit d’ignorer au risque d’être bientôt interpelé par sa conscience et, surtout, par les futures générations !
Moussa Bolly
Le Triomphe au rendez-vous
Quelques semaines avant Bamako, c’est l’Alliance française de Bangui qui a été le théâtre d’une représentation exceptionnelle d’Ala tè sunogo. Une présentation décrite par les témoins comme «un grand moment de joie et de communion dans ce pays martyr».
A la fin du spectacle, comme à Bamako vendredi dernier (29 mai 2015), le public enthousiaste est monté sur scène pour danser avec les comédiens, notamment Ramsès et Solo devenus du coup «les nouvelles stars centrafricaines».
Le spectacle a ensuite été présenté à Kolongo-plage, au bord de l’Oubangui, toujours en Centrafrique.
«Les spectateurs étaient venus pour l’essentiel du quartier populaire qui entoure ce lieu dévasté par la guerre civile et dont Alain (opérateur économique et culturel) veut faire un centre de culture et un restaurant solidaire alimenté par les pêcheurs et les commerçantes des environs», souligne Jean-Louis Sagot-Duvauroux, l’un des metteurs en scène de la création avec Ndji Traoré.
«Et moi, qui viens de rentrer à Paris, j’ai déjà la nostalgie de ce pays où les ravages de la guerre ont mis la nature humaine à nue, mais où les rapports humains sont, peut-être pour cette raison, d’une intensité exceptionnelle», avait-il ajouté sur sa page Facebook.
C’est donc après cette «extraordinaire tournée» en Centrafrique, où le spectacle a été vu par près de 2000 personnes réunies dans des quartiers naguère opposés par la crise, qu’Ala tè sunogo est venu conquérir le public bamakois à l’Institut français.
Il faut dire que le succès rencontré à Bangui et à Bamako ne sont pas des faits isolés. Le triomphe a été au rendez-vous partout où le spectacle a été présenté. On comprend alors que cette création soit bien accueillie par les critiques, notamment ceux de la presse française.
«Voilà qui nous change d’air. Du théâtre populaire. Sans prétention, mais très ambitieux : il veut nous faire rire, y réussit, nous raconter aujourd’hui, et y réussit… », pense Jean-Luc Porquet de Le Canard enchaîné.
«La bouffée d’air théâtrale nous vient du Mali. Il ne faut pas manquer les formidables comédiens de la compagnie BlonBa. Ils savent tout faire, jouer, chanter, danser, nous faire rire et nous toucher», avait commenté Marina Da Silva de L’Humanité au moment des représentations françaises.
Pour Audrey Jean (Théâtres.com), c’est «une satire férocement drôle de la situation politique et culturelle du Mali. BlonBa ose ici un mariage parfaitement réussi avec l’univers de la danse contemporaine pour un résultat dépaysant et bouleversant !».
Mis en scène avec un humour féroce, Ala te sunogo peint brillamment les failles et les atouts de la société malienne en crise. Créée en France, à cause de crise que le pays traverse, l’œuvre fait partie d’une des pièces de théâtre maliennes les plus vues à l’extérieur de nos frontières.
M.B