«Afrotopia» à Bamako: la photographie d’une Afrique «fière d’elle-même»

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Fototala King Massassy, « Anarchie productive » (2017), (Mali). Exposée aux Rencontres de Bamako 2017. Fototala King Massassy

C’est une Biennale africaine de la photographie pas comme les autres qui ouvre ses portes ce samedi 2 décembre au Mali. Les Rencontres de Bamako sont un rendez-vous incontournable, emblématique et légendaire pour les photographes et la photographie sur le continent africain, mais aussi au niveau mondial. Entretien avec la commissaire Marie-Ann Yemsi sur cette onzième édition, intitulée « Afrotopia ».

RFI : Les Rencontres de Bamako s’affichent cette année sous le signe de « Afrotopia ». Pourquoi avez-vous choisi le titre du livre de l’intellectuel sénégalais Felwine Sarre pour cette 11e édition de la Biennale africaine de la photographie ?

Marie-Ann Yemsi Ce livre a été un choc pour moi à sa sortie en 2016. Ce livre m’avait interpellé. C’était un manifeste de cette Afrique qui est fière d’elle-même et qui ne veut plus baisser la tête, qui entreprend un travail de résilience et qui dit : nous avons sur ce continent tous les moyens et outils pour penser l’Afrique de demain et aussi sa place dans le monde. Pour dire que l’Afrique est une ressource pour le monde, contrairement à cette idée fréquente, permanente et usante de cette Afrique qui ne serait que celle du manque, du déficit, des difficultés. C’est une autre Afrique qui arrive, qui est là, inventive, créative et qui pense l’avenir pour être une ressource pour le monde.

Vous étiez aussi la commissaire de la foire Art Paris Art Fair en 2017. Exposer à Paris ou à Bamako, est-ce la même démarche ?

Ce sont des événements très différents. Art Paris est une foire avec une vocation commerciale. Bamako est la biennale historique sur le continent avec celle de Dakar. Mais, au fond, le travail est le même : créer des espaces où l’on peut montrer autrement l’Afrique.

Pour revenir à l’Afrotopia de Felwine Sarre, pour lui, « la modernité africaine est déjà là et pas à inventer ». Dans votre exposition panafricaine – qui est au cœur de votre projet pour les Rencontres de Bamako – pourriez-vous nous donner un ou deux exemples incarnant la modernité africaine dans le domaine de la photographie ?

Je refuse toujours de mettre en avant un artiste plutôt qu’un autre. Ce sont des voix multiples, des positions différentes. Ensemble, elles forment Afrotopia. Ce que je retiens du livre de Felwine Sarre, c’est que l’idée du progrès occidental n’est pas l’idée du progrès sur le continent africain. C’est sur cela que l’Afrique réfléchit beaucoup. Le progrès n’est pas forcément de consommer plus, d’entrer dans un système capitaliste. Il y a d’autres façons d’être, d’établir des relations économiques, politiques, etc. C’est en cela que l’Afrique est source d’idées pour aujourd’hui et demain. Et il y a une œuvre qui me paraît incarner ce projet : une vidéo de l’artiste Neil Beloufa [Franco-Algérien, né en 1985 à Paris], un grand artiste reconnu aujourd’hui dans le monde de l’art. En 2007, lors d’un voyage d’études en tant que jeune étudiant, il a filmé des Maliens, la nuit. C’est une vidéo assez étrange, filmée avec très peu moyen. Il leur demande de dire le futur, mais en parlant au présent. Aujourd’hui, dix ans après, on les regarde, et c‘est étonnant.

Neil Beloufa, « Kempinski », 2007, Vidéo 13’58’’ (France, Algérie). Exposée aux Rencontres de Bamako 2017.© Courtesy of the artist
Neil Beloufa, « Kempinski », 2007, Vidéo 13’58’’ (France, Algérie). Exposée aux Rencontres de Bamako 2017.© Courtesy of the artist

Parmi vos 40 photographes et artistes invités dans l’exposition panafricaine, il y a Sarah Waiswa (Ouganda-Kenya) qui travaille sur la nouvelle identité africaine et Teddy Mazina(Burundi), un photographe engagé sur les droits de l’homme et la liberté de la presse. En quoi incarnent-ils votre projet aux Rencontres de Bamako ?

Afrotopia, ce sont 40 propositions d’artistes et 40 points de vue qui se situent plus dans des narrations métapolitiques. On montre la diversité, parce que le continent africain n’est pas un bloc. Il est fait de 54 pays. Et il ne s’agit pas que de photographies. Aujourd’hui, on parle d’images. Ces artistes travaillent avec l’image sous forme de séries photographiques, d’installations ou de vidéos. On montre à la fois des artistes qui se situent plutôt dans la photographie plasticienne et des photographes de la photographie documentaire. Ce qui m’intéresse est la façon dont ils s’infiltrent entre les eux. Et aussi leur façon de raconter cette Afrique dont ils sont à la fois témoins et – en tant que citoyen – acteurs.

La Biennale a lieu après l’ouverture du plus grand musée d’art contemporain en Afrique. Quelle sera l’influence du Zeitz Mocaa sur la photographie en Afrique ?

Le musée Zeitz Mocaa fait partie du mouvement du monde, à savoir le développement de fondations privées. On le voit dans le monde occidental et on le voit aussi en Afrique. Son ouverture était un signal fort, mais je voulais juste signaler que, au même moment, une autre fondation a ouvert ses portes à Capetown. La A4 Art Foundation est engagée dans un tout autre travail, plus modeste, mais très active au niveau de la population et des populations qui n’ont pas forcément un accès à l’art. Au fond, le musée Zeitz Mocaa est la face visible de l’iceberg de ces profondes mutations sur le continent où l’on voit arriver des fondations privées, des nouvelles galeries, des centres d’art, des foires qui sont acteurs dans cette transformation artistique sur le continent africain.

Le Mali et Bamako restent formellement déconseillés aux touristes et aux voyageurs et les autorités françaises alertent toujours sur un risque élevé d’attentats et d’enlèvements. Dans une telle situation, qui prend le risque d’aller aux Rencontres de Bamako ?

Beaucoup de monde. J’ai vu la liste des personnes qui se sont accréditées, ce sont des personnes du monde entier. Cela me réjouit fortement. Malheureusement, depuis deux ans, nous nous sommes « habitués » à des attaques terroristes soudaines qui arrivent un peu partout dans le monde et pas uniquement au Mali. Moi, je n’en ai aucune crainte, je n’en ai jamais eu. Je me suis sentie parfois plus en sécurité au Mali qu’en France ou ailleurs en Europe. Donc, je peux rassurer absolument tous les professionnels, parce que les mesures de sécurité ont été prises. Puis, il faut se dire une chose : c’est là où les choses sont difficiles que la culture doit être là. Rien ne remplace ces échanges physiques et ces rencontres. Pour nous, cette biennale est un acte de résistance contre tous les fondamentalismes et intégrismes. C’est ici où il faut être là pour utiliser cette arme pacifique qui est la culture.

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