Dans notre livraison d’hier mercredi 5 octobre, nous titrions à la Une : «Mort accidentel ou crime organisé, 6 élèves officiers tués dans des circonstances non éclaircies». Le caractère sibyllin du communiqué diffusé par le ministère de la Défense, plus encore le refus des fonctionnaires de ce département que nous avons contactés de fournir la moindre explication sur la nature et les circonstances du drame ne nous laissaient d’autre choix. Nous étions surtout loin de nous douter qu’il s’agissait de l’exercice dit de «bahutage» dont on assure qu’il est une tradition militaire remontant aux toutes premières années de l’indépendance du Mali. C’est dire que bien des générations de militaires sont passées par là, mais c’est la première fois , nous dit-on, que cinq jeunes gens y perdent la vie. Toujours est-il que notre correspondant à Koulikoro, qui s’était vu fermer les portes de l’EMIA aux premières heures du drame, au motif que «les chefs n’étaient pas disponibles» finira par accéder à la bonne information que nous vous livrons ci-dessous.
En effet, c’est au cours d’un exercice de militaire, le 3 octobre dernier, au village de Tientienbougou, situé environ à cinq kilomètres environ de la ville de Koulikoro, derrière l’IPR de Katibougou, que le drame s’est produit. Un exercice que les militaires appelle communément le ”bahutage”. Selon les témoignages, c’est une tradition qui existe depuis les années 1960 et qui est partie intégrante de la formation militaire de l’EMIA.
Au cours de ce type d’exercice, les élèves officiers de la deuxième année, appelés les cadets, suivent à la lettre les instructions de leurs aînés de la troisième année pendant toute une journée appelée volontiers ”le jour le plus long’‘ à cause de la rigueur des épreuves.
Pendant cette journée, les aînés infligent des exercices physiques d’acier (”manœuvrage” dans le jargon militaire) semblables à des tortures allant quelques fois jusqu’aux châtiments corporels. Une pratique bien connue des simples habitants de la ville de Koulikoro. Les jeunes officiers, qu’ils soient cadets ou aînés, en dehors de l’uniforme et du paquetage sac à dos, ne portent aucune arme sur eux. Ce qui écarte carrément l’hypothèse de règlement de compte entre les deux promotions, comme semblaient le suggérer certains de nos informateurs d’hier.
Des sources militaires révèlent qu’aucun coup de feu n’a été tiré ni entendu et aucune trace de balle n’a été décelée sur les corps de victimes d’après le diagnostic des médecins spécialistes venus de Bamako pour examiner les corps. Rien n’indique encore moins que l’on ait eu affaire à une explosion de grenade. Si règlement de compte il devait y avoir, il ne peut qu’être interpersonnelle. Aucune source officielle ne peut l’attester, selon les informations qui nous ont été confiées.
Selon des sources bien concordantes, ce lundi 3 octobre de triste mémoire, les épreuves ont dépassé le niveau habituel indiqué par les instructions. Les aînés ont poussé trop loin les épreuves jusqu’à épuisement de souffle. Sur place, trois cadets ont rendu l’âme parmi lesquels une Sénégalaise. Transportés pour des soins médicaux, deux autres succomberont à la suite de leur insuffisance physique ou de blessure. Car, il a été constaté des traces de lésions d’hématomes sur certains corps. Ce qui laisse supposer des cas de coups et blessures volontaires.
Le président de la République, à Koulikoro le lendemain pour l’inauguration des logements sociaux et sa délégation ont rendu visite ”aux accidentés’‘. La ville de Koulikoro fut douloureusement attristée par cette tragédie, suscitant moult interrogations sur le sujet. Après les funérailles à Kati, hier mercredi, le corps de la Sénégalaise devait être rapatrié dans son pays, accompagné des éléments de sa promotion.
Cet exercice, qui existe depuis les 40 ans, que des élites du Mali comme le Général Moussa Traoré et le président ATT ont traversé, n’a jamais provoqué autant d’horreur. Selon nos sources, ces extrémités avaient été suspendues des séries d’épreuve du bahutage. Mais cette année, au nom de quelle réforme ces atrocités sont de retour sur la scène d’instruction à l’EMIA ? Le Général Gabriel Poudiougou, chef d’Etat major général des Armées ainsi qu’un bataillon d’officiers supérieurs, qui se sont déplacés sur le site dès l’annonce de la nouvelle, ne manqueront certainement pas d’y réfléchir. En attendant ce qu’ils vont décider, les supputations vont bon train. Où étaient donc les inspecteurs qui accompagnaient les jeunes au moment des faits? Pourquoi, les aînés se sont livrés affreusement à de telle dérivation jusqu’à mort d’homme? Pourquoi revenir sur des instructions qui ne faisaient pas la gloire de cette école militaire? Quelle sera la réaction des parents de ces victimes qui sont en majorité des officiers de l’armée malienne?
Zoumana NAYTE
Correspondant. Koulikoro
L’émotion et la tristesse étaient à leur comble hier sur la place d’armes du Génie militaire. Et pour cause, la nation toute entière rendait un ultime hommage à cinq élèves officiers d’active (quatre Maliens et une Sénégalaise) décédés lors d’un exercice militaire le lundi 3 octobre à Tientienbougou non loin de Koulikoro. La cérémonie d’hommage qui était présidée par le président de la République, chef suprême des Armées, a enregistré la présence du Premier ministre, des membres du gouvernement dont le ministre de la Défense et des anciens combattants, des députés, du chef d’Etat major général des Armées, des coopérants militaires et une foule de parents, d’amis, de camarades et de proches.
C’est dans une atmosphère pathétique que le Colonel Ousmane Korongo, commandant de l’Ecole militaire interarmes de Koulikoro, a lu l’oraison funèbre qui a été précédée par la marche aux morts effectuée par les camarades de promotion des défunts. "Destin implacable contre lequel l’homme ne peut rien, la mort dans sa cruauté a subitement arraché à notre affection, dans la journée du lundi 3 octobre, aux environs de 13 heures, cinq élèves officiers d’active de l’Ecole militaire interarmes de Koulikoro" a introduit le commandant de l’EMIA.
Qui étaient les défunts?
D’abord, la Sénégalaise Fatou Seck Gningue. Née le 1er janvier 1989 à Saint-Louis, au Sénégal, elle était le deuxième personnel féminin étranger à avoir fréquenté l’EMIA. Arrivée à l’EMIA le 1er octobre 2010, elle est nommée élève officier d’active le 1er novembre 2010. Sa formation initiale d’officier devait s’étendre d’octobre 2010 à octobre 2013. Le sort en a décidé autrement. Puis, les quatre Maliens qui sont :
– Sékou Aw, fils du Colonel Major Boubacar Aw, il est né le 29 janvier 1989 à Ségou. – Cheick Oumar Bouaré, fils du Colonel Dramane Bouaré, il est né le 27 juin 1979. Il était agent de police judiciaire de la gendarmerie nationale avant son admission à l’EMIA avec la spécialité police-stabilité-secourisme. -Thierno Seydou Kéïta, fils de Mamadou Karamoko Kéïta, il est né le 18 mars 1987 à Bamako. -Enfin Sidiki Tangara, fils du Colonel Mahamadou Tangara, il est né le 9 décembre 1986 à Kati.
Ces quatre élèves officiers d’active ont été admis sur mérite à suivre le cycle normal de trois ans allant d’octobre 2010 à octobre 2013. Ils ont été nommés élèves officiers d’active pour compter du 1er novembre 2010. A leurs parents, amis, compagnons d’armes et toute la hiérarchie militaire, laissés inconsolables, le Colonel Ousmane Korongo, commandant de l’EMIA, a dit ceci : "D’une moralité sans faille et animés d’une volonté inébranlable, vos enfants, dont nous regrettons la disparition, étaient enthousiastes, actifs et disposaient d’une bonne faculté intellectuelle. Très sérieux et assidus, ils ont su parfaitement gagner l’estime de la direction de l’EMIA et forcer le respect de leurs camarades. Grâce à leur force de caractère et leur ténacité, ils ont toujours su se surpasser".
Au moment où la nation rendait un dernier hommage aux quatre élèves officiers, le corps de Fatou Seck Gningue était rapatrié sur le Sénégal.
Une très forte délégation, composée de deux officiers généraux et plusieurs personnalités civiles et militaires et ses camarades, a accompagné sa dépouille mortelle.
Les quatre élèves officiers d’active reposent désormais au cimetière de Hamdallaye.
Que leurs âmes dorment en paix ! Amen !
Diakaridia YOSSI
Drame de l’école militaire interarmes Boubacar Sada Sy de Koulikoro
Le corps de l’unique femme, la Sénégalaise Fatou Seck Gningue, a été rapatrié hier vers son pays
Après la mort brutale de cinq élèves officiers, le 3 octobre, des suites d’un exercice militaire dans la zone d’entrainement de Tientienbougou, les corps des victimes ont été acheminés le même jour dans les hôpitaux de Kati et du Point G. Trois corps ont été déposés à la morgue de Kati.
Faute de place dans cet établissement hospitalier, les deux autres corps, dont celui de la Sénégalaise, Fatou Seck Gningue, ont été admis à la morgue de l’hôpital du Point G. Lors de notre passage hier quelques heures avant leur inhumation, les corps des quatre Maliens étaient encore dans les deux établissements.
Celui de la Sénégalaise a été retiré dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 octobre pour son rapatriement vers son pays. Lequel rapatriement, apprend-on, de source hospitalière, a eu lieu hier à bord d’un vol de la compagnie aérienne Sénégal Airline.
Selon une source militaire, le corps de Fatou Seck Gningue fut accompagné par certains de ses camarades de promotion.
Les élèves officiers qui ont perdu la vie au cours de l’exercice militaire étaient tous issus de la deuxième année de l’Ecole militaire interarmes (EMIA) de Koulikoro. Ils se nomment : Sékou Aw, Cheick Oumar Bouaré, Sidiki Tangara, Thierno Seydou Kéita et Fatou Seck Gningue.
Abdoulaye DIARRA