Transtion politique : Les véritables enjeux

0

Convention nationale de la Copam, agression du président de la transition, conférence de presse du FDR. A quoi riment toutes ces agitations pilotées par la classe politique en ces troubles et sombres jours d’un après-putsch ?

 

Adama Traoré (g) et Hamadoun Amion Guindo, les leaders de la Copam

Les 21 et 22 mai, la Coordination des organisations patritiques du Mali (Copam) s’est entêtée à tenir sa convention nationale, qui a abouti à la désignation du capitaine Amadou Haya Sanogo, chef des putschistes du 22 mars, comme président de la transition politique. Le premier jour, lundi 21, une marche, qui n’avait rien de spontané, puisque savamment pensée, mûrie, préparée et exécutée, a conduit des manifestants jusqu’au palais présidentiel. N’ayant rencontré aucune résistance, comme si le fait était cautionné par les services de sécurité et forces de l’ordre, ces manifestants ont violé le palais et agressé physiquement son locataire. Le 23, le Front de sauvegarde de la démocratie et de la république (FDR ou front du refus hostile au coup d’Etat du 22 mars et favorable à la décision de la Cédéao de maintenir Dioncounda Traoré à la tête de l’Etat pour une transition de douze mois) organise une conférence de presse au cours de laquelle les animateurs ont réaffirmé leur position.

Ces différentes agitations, comme celles qui ont eu lieu depuis le renversement du général Amadou Toumani Touré, renforcent le clivage de la scène nationale (organisations de la société civile, classe politique, Maliens lambda) autour de la perception du pouvoir et de sa gestion. Un clivage assez fort, mais que seule une petite portion de la nation manifeste, qui ne doit plus occulter cette question fondamentale : quel est le degré d’adhésion ou de rejet du citoyen malien vis-à-vis de ses dirigeants politiques ?

On ne va pas revenir sur la liesse politique qui a accueilli les coups d’Etat de 1968 et de 1991, sauf pour rappeler que cela a donné au peuple malien, dans les deux cas, l’impression d’être libéré d’un véritable joug et de pouvoir aller cette fois dans le bon sens. Le 26 mars 1991 a soulevé un gigantesque enthousiasme populaire, et jusqu’à sa chute peu glorieuse, ATT a été considéré comme un héros national.

C’est ce même enthousiasme qui a amené le peuple malien, pourtant blasé et désabusé de plus de trente ans de dictature (Usrda, Cmln, Udpm) à participer massivement aux consultations référendaires et électorales générales de 1992. Une conférence nationale souveraine et populaire à laquelle ont participé toutes les forces vives représentatives de la nation et une transition politique sans remous avaient fait espérer aux Maliens la restauration des libertés fondamentales et l’instauration d’une démocratie pluraliste. Soudées par l’objectif unitaire d’abattre un ennemi commun, le général-président Moussa Traoré, les associations et organisations de la fronde généralisée, que les idéalistes appellent Mouvement démocratique, n’ont pas tardé à montrer leurs contradictions internes et à prendre des chemins différents voire antagoniques. Les partis politiques ont alors poussé comme de la mauvaise herbe atteignant le chiffre record de près de cent en seulement quelques années (aujourd’hui, on en est à plus de 120 formations politiques). Si l’objectif était d’instaurer une démocratie multipartite, il a été largement atteint,voire dépassé.

 

Ces partis politiques vont alors prendre part aux différentes consultations avec comme slogans électoraux, projets de société et programmes de gouvernance : la lutte contre le chômage, les injustices sociales, la gabegie, la pauvreté, les bas salaires, etc.

Après les élections générales largement remportées par l’Adema, les différents gouvernements ont été formés avec d’autres partis politiques, selon les intérêts partagés.

Le désenchantement

Commence alors le désenchantement ainsi résumé par un observateur présent sur la scène politique depuis l’indépendance : «Sous le régime de l’Usrda et de Modibo Kéita, le Malien avait honte de s’adonner à la fraude, à la corruption ou au vol du bien public. Sous le régime du Cmln-Udpm et de Moussa Traoré, le Malien a peur de s’adonner à la fraude, à la corruption ou au vol du bien public». Le constat général est que depuis le commencement du processus démocratique, la fraude, la corruption et la délinquance financière et économique sont devenus les sports rois, à un tel point qu’on a l’impression que rien ne peut plus diminuer ces phénomènes a fortiori les enrayer. Pire, le délitement du système éducatif général et la profondeur de la fracture sociale se sont tellement accrus que le Malien lambda se demande si c’était la peine de courir derrière une démocratie qui n’enrichit et ne favorise qu’une élite. Celle généralement au pouvoir, composée des responsables de certains partis politiques et affidés qui se sont réunis, sur fond de conflits d’intérêts particuliers et personnels ou au bénéfice de clans ou de partis, pour mettre l’administration et les finances du pays en coupe réglée. Par le népotisme, le favoritisme, l’affairisme, le clanisme, l’exclusion : tout pour nous et rien pour les autres.

 

Le même système a prévalu pendant les dix ans d’Alpha Oumar Konaré et pendant la décennie (à quelques semaines près) du général ATT. Avec ce trait commun aux deux hommes : la gestion concertée, pour l’un, la gestion consensuelle, pour l’autre, du pouvoir. Avec les mêmes responsables et acteurs majeurs de la classe politique depuis vingt ans. Qu’on ne peut même pas créditer d’animer une lutte de classes.

Et aujourd’hui, il ne s’agit plus d’une opposition Dioncounda Traoré-Amadou Haya Sanogo, Siaka Diakité-Hammadoun Amion Guindo, Untm-Cstm, Fdr-Copam, Cédéao-Cnrdre. Il ne s’agit même pas d’une opposition Droite-Gauche.

Pour mieux comprendre, il faudrait d’abord savoir pourquoi la grande majorité des Maliens soutient et s’accroche à un pouvoir militaire qui par tradition et par essence est liberticide et constitue un déni des libertés fondamentales. Parce que, tout simplement, cette majorité exprime son sentiment et son attitude de rejet de la classe politique sous le pouvoir de laquelle le pays s’englue un peu plus chaque jour depuis le 26 mars 1991, rejet de ce que la classe politique a fait de l’opportunité de s’inscrire dans un véritable processus démocratique.

Le rejet du maintien de Dioncounda Traoré à la présidence de la République est avant tout le rejet de la tentative de restauration de l’ordre ancien bouleversé par le coup de force du 22 mars 2012.

D’où la nécessité d’assises nationales. Pour l’heure, le blocage vient essentiellement du Fdr. On comprend qu’après avoir mené en bateau (dans lequel ils étaient seuls maîtres à bord) le pays tout entier pendant plus de vingt ans, les principaux composants du Front anti-putsch ne veuillent pas s’asseoir à une table de concertation. Mais il ne s’agit pour personne de demander des comptes. Cela viendra.

Une véritable refondation des bases d’un Etat républicain

L’urgence, c’est de jeter les bases d’une nouvelle démocratie basée sur les réalités socioculturelles et idéologiques du milieu. Les Maliens sont foncièrement respectueux de l’ordre et du pouvoir, ils n’auraient donc aucun mal à respecter les différents pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et les institutions, si les uns et les autres se respectaient eux-mêmes et devenaient de ce fait respectables. Or le constat est que cela a rarement été le cas. En cinquante deux ans d’indépendance, les différents gouvernements, parlements et magistrats n’ont pas répondu aux attentes du peuple. Loin s’en faut. En 1968, le peuple a fêté l’arrestation du président Modibo Kéita et de ses camarades. En 1991, le même peuple a jubilé quand Mousa Traoré et sa clique ont été renversés. En 2012, le peuple est resté indifférent comme s’il ne se sentait plus concerné. Aujourd’hui encore, quoiqu’en disent le Fdr et, surtout, la Copam, le vrai peuple reste à son poste d’observateur et ne se mêle pas aux marches et meetings qu’on organise en son nom. Les participants à ces manifestations ni plus ni moins que des agitateurs et activistes qui se sont arrogés le droit de parler et d’agir au nom de la très grande masse qui elle a d’autres priorités.

Et en l’occurrence, la méthode utilisée pour exprimer ce rejet est certes critiquable, rien ne pouvant justifier la violence et la barbarie de l’acte commis sur le président contesté de la transition, le 21 mai, par des individus frustres et faibles d’esprit.

Ce qu’il faudrait, ce sont de véritables assises nationales, et quelque soit le nom qu’on leur donnerait, elles devraient réunir volontairement et librement toutes les forces vives de la nation pour des débats certes contradictoires ,mais francs, fructueux et constructifs. Des assises nationales qui permettraient, à l’image de la conférence nationale de 1991, une véritable refondation des bases d’un Etat républicain et démocratique. Mais cette fois-ci, il faudrait également instituer les mécanismes de suivi et de contrôle de la mise en œuvre afin que ses recommandations et résolutions soient respectées à la lettre. Un tel projet existe, proposé par l’Alliance des démocrates patriotes pour une sortie de crise (Adps, présidée par Soumana Sako, président d’honneur et candidat de la Cnas à la présidentielle), et s’impose comme le seul et véritable schéma d’une transition réussie. Il a été proposé depuis le 25 mars, mais malheureusement n’a pas bénéficié de toute l’attention nécessaire de la part d’acteurs obnubliés par des intérêts et agendas personnels.

 

Cheick Tandina

Commentaires via Facebook :