Soumeylou Boubèye Maïga, l’incontournable du gouvernement malien

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L'ex-ministre de la Défense Soumeylou B Maiga au cours d'une rencontre avec l'armée
L’ex-ministre de la Défense Soumeylou B Maiga au cours d’une rencontre avec l’armée

N’étant plus que président de l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie, Soumeylou Boubèye Maïga, patron pendant huit ans (1993-2000) de la Sécurité d’Etat, et ancien ministre des Forces armées (2000-2002), va alerter, dès 2008, sur « le caractère transnational des menaces induites [par sa configuration], qui place le Sahel-Sahara comme partie intégrante d’un champ de confrontation plus global », désignant « la coopération régionale et internationale comme le cadre le plus adéquat pour apporter une réponse proportionnée et collectivement maîtrisée ».

   

 

Il ajoutera : « Du reste quand, en janvier 2008, le président Amadou Toumani Touré a attiré l’attention de ses pairs, au sommet de la Cédéao, à Ouagadougou, sur le caractère transnational de l’insécurité et de la criminalité dans la bande sahélo-saharienne, il s’était d’emblée inscrit dans une perspective multilatérale ». Il militera pour « l’option d’une intégration plus poussée de nos forces, seule susceptible de nous faire évoluer plus efficacement vers une unité de doctrine et une mise en commun plus conséquente de nos capacités ». Selon lui, le Mali devrait « abriter un Centre de coordination pour l’instruction et les opérations », un centre qui aurait « pour tâches la formation et l’instruction militaires, la coordination de la collecte et de l’évaluation du renseignement, le commandement des opérations militaires ». Six ans après la publication de ce texte fondateur de l’Observatoire sahélo-saharien, la « guerre » a permis de réaliser ce que SBM préconisait en temps de paix.

Il dira par ailleurs (L’Aube du 16 janvier 2009) : « J’ai toujours considéré que nous sommes, certes, une république une et indivisible mais plurielle et que dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et républicains, notre Constitution actuelle, qui consacre la libre administration des collectivités, nous permet de grandes avancées en matière de déconcentration et de décentralisation réelle ». Il déplorait une « approche sécuritaire », une « dimension mafieuse », un « processus de militarisation des communautés » et une « tolérance à l’égard d’un tel processus [qui] est à la fois contre-productive et suicidaire, en ce sens qu’il va être contagieux et freiner tout effort de désarmement et [que] tous les acteurs finiront pas avoir la puissance publique comme cible unique et objet de leurs pressions respectives ». Il stigmatisait des « interlocuteurs de l’Etat [qui] ne sont pas porteurs d’un projet politique clair, crédible, adossé à une réelle revendication citoyenne ». Il ajoutait : « Tous visent, dans le fond, une sorte d’effacement et d’instrumentalisation de l’Etat dans le cadre d’un jeu complexe de connivences et de rivalités » ; en créant une « zone de non droit », ils installent une « plateforme pour différentes prestations : transit de la drogue, trafics multiples, sanctuaire pour les auteurs de divers enlèvements, préparation et acheminement de combattants, d’armes et de fonds ».

Au cours de l’été 2010, il animera des séminaires de formation, à Boumerdès, à 45 km à l’Est d’Alger, à destination des cadres de la RASD (« Sahara occidental »). A cette occasion, il évoquera les « points d’incrustation » à partir desquels « l’AQMI devient une menace stratégique à la fois pour les Etats de manière évidente mais également pour les sociétés au sein desquelles l’organisation terroriste récupère toutes les angoisses existentielles et devient aussi le principal facteur de protestation et de lutte dans les pays où les structures classiques comme les partis politiques, les syndicats et la société de manière générale sont en recul ».

Le Soir d’Algérie* qui, le 15 août 2010, rapportait ces propos de Soumeylou Boubèye Maïga, en profitera pour dénoncer la politique algérienne en matière de lutte contre le terrorisme : « Pire, écrivait-il, le gouvernement accorde des concessions politiques aux islamistes qui pensent que ces concessions ne sont que le résultat de leur activisme. Pour eux, le régime qui concède le terrain politique est faible. Ils pensent par conséquent que la prise de pouvoir totale est inéluctable. Le régime adopte ainsi une démarche aussi inutile que dangereuse pour le pays. Plus grave, le refus de débattre sur la question sécuritaire dans le pays érode inexorablement le capital sympathie acquis au prix d’énormes sacrifices par les services de sécurité durant leur lutte contre les groupes islamistes armés ». Le quotidien indépendant algérien écrira que, « si chaque gouvernement ne devient pas le principal responsable de la sécurité de son territoire, tous ceux qui considèrent que leur sécurité, à tort ou à raison, est menacée à partir du Sahel vont se donner le droit d’intervenir directement […] Toute défaillance dans la cohérence des politiques de lutte des pays engagés contre le terrorisme laissera le champ libre à des acteurs étrangers pour intervenir à des fins d’instrumentalisation de l’islamisme et de son bras armé le terrorisme, avec le risque de radicalisation dans la région ». Nous en sommes là aujourd’hui.

 

Quant à Soumeylou Boubèye Maïga, il sera appelé le 7 avril 2011 à prendre en charge le portefeuille des Affaires étrangères et de la Coopération internationale alors qu’Oussama Ben Laden est capturé et assassiné par les forces spéciales américaines et au lendemain des « révolutions arabes » et de la guerre contre la Libye de Mouammar Kadhafi. « Les événements de Libye, dira SBM dans un entretien avec Philippe Bernard (Le Monde daté du 4 mai 2011), accroissent le potentiel de violence dans la région : nous avons enregistré sur notre territoire un afflux d’armes lourdes volées dans les arsenaux libyens. C’est une menace de plus, non seulement pour les étrangers, mais pour l’Etat malien lui-même ». SBM présentera sa nomination à la tête de la diplomatie malienne comme devant permettre de « réactiver » les relations du Mali avec l’Algérie et la Mauritanie « qui estimaient insuffisant l’engagement malien contre le terrorisme ». Il entendait également « établir une concertation durable [avec Paris] afin que la région ne soit pas abandonnée aux terroristes ».

 

Peu de mois après sa nomination, SBM sera à Bruxelles (19-20 juillet 2011) à la tête d’une importante délégation comprenant notamment les ambassadeurs du Mali en France, en Italie, en Suisse, en Belgique, en Espagne, ainsi que le chef d’état-major général des armées, le général Gabriel Poudlougou. Il s’agissait de présenter le Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord (PSPSDN), « un instrument de développement durable axé sur une présence rationnelle de l’Etat et sur l’appropriation par les populations du management du développement local ».

 

La délégation malienne aura des entretiens notamment avec le Service européen d’action extérieure (SEAE) – dont le secrétaire exécutif était alors l’ambassadeur français Pierre Vimont – et le Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne, ainsi que le coordonnateur de l’UE chargé de la lutte antiterroriste, Gilles Kerchove, et le commissaire européen en charge du développement, Andri Piebalgs. Lors de ces entretiens, Bruxelles a salué « la vision claire du Mali, son action déterminée et son leadership sur les défis sécuritaires auxquels l’espace sahélo-saharien est confronté » et « le rôle de premier plan que joue le Mali dans les dynamiques régionales ». L’UE venait alors de lancer, à Bamako, en mai 2011, sa « Stratégie Sahel », dont le coordonnateur était Manuel Lopez Blanco.

 

Nous sommes à six mois tout juste du déclenchement de la « guerre » par le MNLA (17 janvier 2012) et de l’embrasement du Nord subséquent que personne ne semble avoir vu venir.

 

  • Le Soir d’Algérie, fondé le 3 septembre 1990, a été durement frappé par le terrorisme. Le siège du journal a été détruit le 11 février 1996. Son rédacteur en chef et deux collaborateurs trouveront la mort dans cet attentat. Par ailleurs, Yasmina Drici, une collaboratrice du journal, sera assassinée à Rouiba, cette même année 1996.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

 

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