On dit des 18-30 ans, que l’on appelle génération Y, qu’ils sont une génération désabusée, individualiste et sans repères. Pourtant, ce sont eux qui acceptent aujourd’hui de donner leur vie pour leur pays. «Mon fils se bat en Afghanistan pendant que le tien va à l’université». C’est par ce slogan que certains parents de soldats américains affichent leur soutien à leurs enfants, et plus généralement aux militaires en opération. D’un point de vue français, il est vrai que le patriotisme très affiché des Américains peut sembler excessif et surjoué.
Un récent sondage avance que les armées sont l’une des institutions dans laquelle les Français ont le plus confiance. Pourtant, dans le même temps, la fin de la conscription et le déplacement des conflits hors de nos frontières ont éloigné le soldat de la société française. Sans y être hostiles, nos concitoyens se trouvent de fait moins concernés par la chose militaire et les enjeux de défense.
Il peut donc sembler paradoxal aujourd’hui, dans une société où l’individualisme et l’hédonisme sont quasiment érigés en dogme, que de jeunes français fassent le choix courageux et engageant du métier des armes.
Ces jeunes français appartiennent à ce que l’on appelle la génération Y. Ils sont nés entre le début des années 80 et la fin des années 90, et ce nom viendrait du Y que forme le fil de leur lecteur MP3 sur le torse. Autre explication avancée, Y se prononce why (pourquoi) en anglais et correspondrait bien à cette génération, qui aurait besoin en permanence de réponses et de comprendre pour agir.
Sociologues et DRH s’accordent généralement sur certaines caractéristiques de cette génération: les 18-30 ans sont souvent en rupture avec leurs aînés, la génération «mai 68», celle du plein emploi, responsable selon eux du chômage de masse qu’ils subissent. D’autre part, l’éclatement du modèle traditionnel de la famille, le délitement du respect envers des institutions comme l’école républicaine, les ont peu à peu conduits à remettre en cause toute forme d’autorité.
Génération hyper-connectée, que le philosophe Michel Serres nomme «Petite Poucette», parce qu’elle utilise agilement ses pouces pour envoyer des SMS, elle est aussi génération du zapping et de l’instantanéité. Parfois de la superficialité. Napoléon, le général de Gaulle ou Jean Moulin 2ne font plus le buzz. Ils leur préfèrent les stars éphémères et siliconées de la télé-réalité, nouveaux héros des temps modernes.
Cette génération subit également de plein fouet la fragilisation de notre cohésion nationale. La crise de la citoyenneté et l’effritement du sentiment national ne contribuent pas à donner une visée et un sens collectif à la nation française.
Exemple caricatural mais symptomatique des doutes de cette génération, notre jeune équipe de France de football, a contrario de ces aînés de 1998, a du mal à chanter la Marseillaise et à s’imposer comme le visage populaire d’une France qui gagne et qui rassemble.
Ce malaise se traduit enfin par des difficultés à intégrer dans la nation une partie de cette génération, française mais issue de l’immigration. Confrontés à un pays dans lequel ils ne se reconnaissent pas toujours, certains jeunes français font le choix du fanatisme et de l’extrémisme, bafouant ainsi les valeurs universelles défendues par la France: quoi de plus inquiétant que de voir plusieurs centaines de jeunes français, dont certains sont mineurs, mener aujourd’hui le djihad en Syrie?
Pourtant, et à rebours de ce que pourrait laisser croire ce constat initial, la génération Y a vite trouvé les limites de cet individualisme obsessionnel. Elle montre le besoin de s’engager et de donner du sens à son existence.
Ainsi, chaque année, près de 20 000 jeunes font le choix d’abandonner une vie confortable et réglée pour rejoindre les armées françaises.
Elles ne sont pas les seules à proposer un métier exigeant, où la disponibilité, le désintéressement, l’abnégation et le courage se vivent au quotidien: ces valeurs sont partagées par beaucoup d’autres corps de métier.
Mais ces jeunes signent un contrat de travail très particulier, et unique: il est écrit noir sur blanc dans leur statut que l’état militaire exige en toute circonstance un esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême.
Dans une société où l’on pense d’abord à ses droits avant de se rappeler que l’on a également des devoirs, des jeunes gens de vingt ans, font le choix, consenti et profondément altruiste, de servir leur pays, et de lui donner leur vie, si nécessaire.
Depuis vingt ans, les conflits dans lesquels la France est engagée ont évolué. Les missions de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU ont été remplacées par des guerres dures et longues, contre des insurgés ou des terroristes ne respectant pas les règles du droit international. Les armées françaises ont payé un lourd tribu durant ces engagements.
Depuis 2002, près de 130 soldats ont donné leur vie en opération. Récemment, trois jeunes soldats sont morts en République Centrafricaine, lors de l’opération Sangaris, déclenchée en décembre 2013. Ils s’appellent Nicolas Vokaer (23 ans), Antoine Le Quinio (22 ans) et Damien Dolet (26 ans).
Le sergent Marcel Kalafut (26 ans), sous-officier de la Légion Etrangère d’origine slovaque avait lui aussi choisi librement de servir le drapeau français. Le 8 mai 2014, il lui a donné sa vie, sur une piste du massif du Tigharghar, au Mali.
Ces hommes ordinaires, capables de choses extraordinaires, ne doivent pas être considérés comme des victimes, car ils sont des héros. Personne n’a pris leur vie. Au contraire, ils l’ont donnée, en homme libre, et dans un acte d’une extrême générosité. Pour leurs camarades, pour leur chef, pour la France, ou pour protéger des innocents d’un massacre. Peut être aussi pour prouver à ces fanatiques qui magnifient la mort, que la vie sera toujours plus forte.
La génération Y, si on le lui explique, adhère au projet proposé par l’institution militaire, qui semble pourtant très éloigné des préoccupations de la jeunesse actuelle.
Peut être que cette jeunesse n’a en fait besoin que de repères clairement établis, au sein d’une organisation où l’Homme a une place centrale, et où l’ascenseur social fonctionne toujours.
Cette année aura lieu le centenaire de la Grande Guerre et nous rendrons hommage au courage et au sacrifice des Poilus. Nous allons voir également entrer au Panthéon des grands Hommes, quatre figures de la Résistance. Ces deux générations ont lutté et souffert pour protéger leur Terre et conserver leur liberté.
Les Français célébreront avec enthousiasme ces figures héroïques de la patrie, qui ont forgé la nation française.
N’oublions pas d’y associer nos soldats, ceux d’une autre génération, que l’on appelle Y mais qui défendent aujourd’hui leur pays avec autant d’abnégation et de courage que leurs Anciens.
Le Figaro