Rétrospection : le Désaccord-cadre

9

C’était attendu et c’est officiellement fait, enfin ! Amadou Toumani Touré sort du jeu. Pas par la grande porte ni même la petite. Il sort par le mur de «son» palais tant convoité. Il sort sans combattre ni se battre. Atypique jusqu’au bout. Tout comme son successeur à la tête de l’Etat. Dioncounda Traoré n’aura pas eu à combattre ni à se battre pour prendre les rênes. Il ne doit d’être là ni aux urnes ni à la bienveillance des putschistes. Mais à la volonté du peuple malien souverain qui a prévu cette disposition dans sa Constitution. Aujourd’hui, en principe, la boucle serait bouclée avec l’investiture du nouveau chef. Mais, après ?

Le capitaine de la junte malienne, le capitaine Amadou Sanogo (D), avec le ministre burkinabè des Affaires étrangères, Djibrill Bassolè, le 6 avril 2012 à Kati, près de Bamako © AFP

En réalité, personne ne sait de quoi demain sera fait. Et surtout pas l’accord-cadre signé entre les mutins, la Cedeao et ATT, le 06 avril. Trois putschistes, Blaise Compaoré, Amadou Toumani Touré et Amadou Haya Sanogo, sont à l’origine de ce texte. Lequel a même eu l’onction de la communauté internationale, l’Onu en tête. Seulement, ces témoins ont-ils été associés à ce document qui comporte autant de zones d’ombre qu’un théâtre chinois ? L’ont-ils seulement lu ? Ce n’est pas sûr sinon ils auraient certainement eu les mêmes interrogations et inquiétudes quant à la suite des événements.

Quand la Cedeao est intervenue, nombreux sont ceux qui ont cru que le retour à l’ordre constitutionnel signifie le rétablissement de toutes les institutions. Le président de la République a été rétabli pour aussitôt démissionner. L’Assemblée nationale a été rétablie pour qu’elle ait un président devant saisir la Cour constitutionnelle. Il doit le faire avec le Premier ministre or la bonne dame est portée disparue. La Cour constitutionnelle a été rétablie pour constater la vacance du pouvoir et investir l’intérimaire constitutionnel. Le retour à l’ordre constitutionnel signifie également et surtout le retour des militaires dans les casernes ou sur le front, leurs véritables places. Mais à lire l’accord-cadre, c’est le Cnrdre qui a mis en branle l’article 36 (vacance du pouvoir), qui détient le pouvoir pendant les quarante jours d’intérim d’un président sans portefeuille, qui va gérer la période de transition dont personne ne connait la durée, à part Amadou Haya Sanogo et ses amis apprentis-sorciers, de nommer un gouvernement pour cette période.

Mais auparavant, au président intérimaire qui, légalement, ne peut pas nommer un chef de gouvernement ni des ministres, on va en imposer. Ceux illégalement éjectés de leur poste et tenus en détention continuent de croupir dans leur geôle sans assistance familiale ou judiciaire. Bref, on nage dans une inconstitutionnalité totale qui, cependant, est applaudie et cautionnée en divers endroits. Cet état de fait est-il forcément mauvais pour le Mali ? Oui et non.

Oui en cela qu’un coup d’Etat militaire et un pouvoir treillis sont par essence une atteinte à la démocratie, à l’Etat de droit, au peuple.

Non si on donnait raison à l’ancien président de la République française qui a dit, il y a certes bien des années, que l’Afrique n’était pas mûre pour la démocratie. Pour de nombreux pays africains, l’expérience de la démocratie, modèle occidental, a été un désastre. Précisément en ce qui concerne le Mali, les vingt ans de processus démocratique ont permis de développer la corruption et la délinquance financière, de rendre l’école infréquentable et infructueuse, d’accentuer la fracture sociale entre intellectuels proches du pouvoir et les autres, de bâtir une économie et une administration sur le népotisme et le clientélisme. En vingt ans, le Mali est passé de pays en voie de développement en pays où il n’est plus question de réduire la pauvreté généralisée.

En vingt ans de démocratie, le pays a été gouverné comme un patrimoine familial et clanique. D’abord par l’Adema, pendant dix ans, ensuite par ATT, pendant près de dix autres années. Si Alpha Oumar Konaré, pendant sa décennie au pouvoir, a gouverné avec des partis amis et/ou alliés en s’accaparant de toutes les manettes de l’Etat et en mettant le pays sur les genoux, c’est avec l’avènement de son successeur que le Mali va toucher le fond de l’abîme. Amadou Toumani Touré, pendant près de dix ans, va inviter les partis politiques à un festin royal dénommé la gestion consensuelle du pouvoir. Il les aura tous sauf ceux qui ne lui étaient d’aucune utilité. De 2002 à 2007, même la Sadi, parti prétendu de l’opposition, dont le secrétaire général s’agite et gesticule présentement, a participé à la grande bouffe nationale, avant d’être chassée pour trop critiquer un gouvernement dont il est membre. Ensuite, à l’approche des élections générales de 2007, ce fut le tour du Parena et du Rpm de se tenir à distance. Et comme ici au Mali, les partis n’aiment pas trop l’opposition dans laquelle ils ne gagnent rien, ces deux derniers partis rejoindront le gouvernement dans le consensus saison II.

Lassés par ce comportement de la classe politique, les citoyens se sont détournés peu à peu des urnes et de la chose politique. c’est pourquoi, l’émotion passée, les putschistes et leurs discours, populistes et mensongers ou pas, commencent à se payer une certaine sympathie chez beaucoup de Maliens qui croient de plus en plus que la démocratie à l’occidentale, pour être efficace et rentable ici, a besoin d’être encadrée et rappelée à l’ordre par un épouvantail. Sanogo et ses camarades seraient ces repoussoirs. Mais ils ont intérêt à ne pas trop pousser le bouchon, comme ils sont en train de le faire avec des accords-cadres bidons, au risque de ne même pas pouvoir sortir par le mur.

Cheick Tandina

Commentaires via Facebook :

9 COMMENTAIRES

  1. Tres bel article encore une fois. Jusque là nous n’avons fait que patauger de Alpha à Sanogo. Dommage que la democratie nous aie conduit à une situation si lamentable. Finalement je finirais par m’excuser auprès de ce candidat à la presientiel francaise de l’époque. Ce n’est pas pour les nègres.

  2. Donc monsieur le journaliste ou plutôt le “journalier”, si on te suit bien, rien n’a jamais marché et ne marchera jamais au Mali, tout fout le camp dans ce pays, et aucun système de gouvernement ne marche et ne marchera dans le Maliba de nos aieuls? Ta présente sortie, monsieur Cheikh Tandina, est renversante de contre-vérités, et affligeante par le pessimisme qui la caractérise de la première à la dernière phrase. Si tu as peur de dire haut et fort que l’épisode Sanogo (qui, fort heureusement se refermera et sera très vite jeté aux oubliettes de l’Histoire), si tu as a la trouille d’affirmer haut et fort que cet épisode Sanogo et de sa bande de drogués putschistes et narco-traficants intéressés a été une calamité des plus innouies, car c’est cela la verité, tu aurais dû te dispenser d’écrire un papier sur ce sujet, car celui que tu as pondu ici est inutile…

  3. Un désaccord-cadre là au moins le mal est connu dès le debut et la solution peut être trouvé, contrairement à une democratie consensuelle où le mal n’est connu que quand le pire est arrivé,la solution n’est qu’un coup d’etat pour faire reffechir ces politiciens vampirs

  4. Censurez moi comme vous voulez, mais la realite est la realite. Ici ou non je le dirais sur d’autre forums.

Comments are closed.