Moins d’un mois après avoir suspendu sa coopération militaire, à la suite d’un second coup d’État en neuf mois au Mali en mai dernier, qui a fait du colonel Assimi Goïta, le chef de l’État, la France a annoncé, dans un communiqué, la reprise des patrouilles conjointes avec les Forces armées nationales du Mali (FAMA).
Selon des sources bien introduites, la fin de la rupture entre les deux alliés est intervenue suite à une intense activité diplomatique entre le palais de l’Élysée et celui de Koulouba. En effet, le président malien de la Transition a reçu, récemment, à Bamako, une délégation française composée notamment de Franck Paris, le conseiller Afrique de l’Élysée ainsi que l’amiral Jean- Philippe Roland, le chef d’État-major particulier du président Emmanuel Macron. La question que l’on peut se poser suite à la fin du divorce des deux coalisés, est la suivante : la France a-t-elle obtenu les garanties qu’elle exigeait des autorités maliennes, notamment sur la problématique du dialogue avec les groupes islamistes et le respect des délais de la Transition ?
Le réalisme a prévalu
Faute d’être dans le secret des dieux, il est difficile de donner une réponse à cette question. Mais il est certain que les deux parties ont chacune mis un peu d’eau dans son vin, encouragées en cela par les autres partenaires du Sahel engagés dans la lutte contre le terrorisme. L’on imagine néanmoins que pour qu’Emmanuel Macron lâche du lest, les autorités maliennes de la Transition ont dû prendre de nouveaux engagements. Mais il reste à savoir la nature de ces engagements et surtout, s’ils seront tenus.
En effet, l’on sait que le Premier ministre malien, Choguel Kokala Maïga, est très proche du plus qu’influent iman Mammoud Dicko, partisan du dialogue avec les groupes islamistes dont la France ne veut pas entendre parler. Peut-il donc se défaire de la tutelle de son mentor sur la question, sans scier la branche sur laquelle il est assis ? L’on peut en douter.
Quant au respect du délai de la Transition, le doute, là aussi, subsiste. En effet, de nombreuses voix dans l’entourage du président Assimi Goïta, se sont récemment élevées pour dire que le respect des échéances électorales devant mettre un terme à la Transition par la dévolution du pouvoir aux civils, est impossible. À quoi tient donc l’accord qui a permis la reprise de la coopération militaire entre les deux pays ? Mystère et boule de gomme. La seule certitude est que Maliens et Français ont fait preuve de réalisme et cela, dans la défense de leurs intérêts respectifs. L’on sait que la France ne pouvait pas se passer durablement du Mali où, en plus des liens historiques nés de la colonisation, elle a d’importants intérêts économiques. Mieux, toute la région sahélienne constitue pour elle, un important enjeu stratégique dans un contexte de rivalités avec des pays comme la Russie, la Chine ou les pays du Golfe qui convoitent la région. Et puis, on ne le dira jamais assez : les portes de la sécurité de la France se trouvent au Sahel. La bouderie n’était donc qu’un coup de bluff destiné à mettre la pression sur les autorités maliennes.
Plutôt que de donner le poisson à nos États, la France doit plutôt leur apprendre à pêcher
De son côté, malgré les appels au départ des troupes étrangères, le Mali ne peut véritablement pas se passer de la France. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un feed-back pour remonter en 2012 où sans l’intervention de la France à travers l’opération Serval, les groupes terroristes comme le MUJAO ou Ansardine se seraient emparés de Bamako et auraient transformé le Mali en une théocratie musulmane. Aujourd’hui encore, la force Barkhane joue un rôle irremplaçable dans le dispositif sécuritaire du Mali qui a véritablement mal à son armée. Il ne faut pas s’y méprendre, en l’état actuel, le Mali, sans la France, ne serait pas le Mali. Cela dit, l’on peut dire que c’est Assimi Goïta qui se frotte les mains. Après la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a renoncé à imposer véritablement des sanctions au Mali et à ses autorités, c’est au tour de la France de desserrer l’étau autour du président de la Transition après son putsch. L’on peut ainsi dire qu’il est né sous une bonne étoile. Car, son aîné Amadou Haya Sanogo n’a pas eu la même chance. Il lui appartient désormais de ne pas faire regretter à la CEDEAO et à la France, leur disposition bienveillante en tenant ses engagements internationaux comme ses alliés politiques l’ont toujours clamé. La France, quant à elle, se tire de cet épisode, il faut le dire, avec une image quelque peu écornée. Car, l’impression que donne cette reprise de la coopération militaire, est qu’il y a eu une hâte suspecte ; toute chose qui vient apporter de l’eau au moulin de ceux qui pensent que la présence militaire française au Mali et au Sahel cache mal d’autres intérêts que la lutte contre le terrorisme. Ceci étant, les deux alliés doivent tirer leçon de cette crise. Le Mali, comme tous les États du Sahel, doit travailler à se passer de la présence militaire française pour échapper aux pressions de la France, notamment par la construction d’armées républicaines et fortes. Quant à la France, il est aussi temps qu’elle comprenne que plutôt que de donner le poisson à nos États, elle doit plutôt leur apprendre à pêcher. Autrement dit, elle a aujourd’hui tout intérêt à aider les armées africaines à monter en puissance plutôt qu’à vouloir se substituer à elles.
Cyrille Coulibaly