Officiellement, elles cherchent à lutter contre le terrorisme, mais les interventions des acteurs extérieurs s’inscrivent davantage dans la défense de leurs intérêts.
L’empreinte militaire extérieure, notamment celle des États-Unis et de la France, s’accroît en Afrique de l’Ouest et particulièrement au Sahel. Pourtant, face à des opinions publiques de plus en plus hostiles à cette présence jugée envahissante, ces interventions risquent de s’avérer inefficaces ou, pire, contre-productives.
Le 6 avril 2018, le président ghanéen Nana Akufo-Addo déclarait : « Il n’y aura pas de base militaire américaine au Ghana ». Il répondait ainsi aux protestations soulevées par la signature d’un accord de coopération en matière de défense avec les États-Unis. Quatre mois plus tôt, au Niger, les autorités avaient démenti avoir autorisé l’envoi de soldats italiens dans le Nord du pays, où des bases américaines et française étaient déjà positionnées.
Autrefois limitées au conseil, à la formation et à l’équipement des armées nationales de la région, les forces militaires étrangères, depuis le déclenchement de la crise malienne de 2012, ont accru le déploiement de troupes au sol ainsi que l’installation des bases logistiques ou militaires. Au Mali, en 2013, l’intervention des troupes françaises dans le cadre de l’opération Serval a permis de stopper l’avancée des groupes extrémistes violents vers le sud du pays et leur éviction des grandes villes.
Présenter cette zone du Sahel, comme la nouvelle frontière d’un « djihad » mondial comporte des risques importants
Dans ce capharnaüm militaire, le Mali et le Niger, au carrefour de l’instabilité régionale, sont devenus des terrains privilégiés pour les puissances occidentales. Ces dernières, bien qu’ayant recours aux mêmes arguments sécuritaires pour justifier leur présence, poursuivent des objectifs parfois différents.
Si la lutte contre le terrorisme demeure l’enjeu principal pour les Américains dans la région, il semble que des partenaires européens, comme l’Allemagne et l’Italie, soient aussi motivés par la question migratoire. L’annonce du gouvernement italien, en décembre 2017, de sa décision d’envoyer des troupes au Niger pour combattre le terrorisme répondrait davantage à une volonté d’exercer un contrôle plus étroit sur les flux migratoires. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 75 % des migrants et réfugiés parvenus en Europe en 2017 sont entrés par l’Italie et nombreux sont ceux ayant transité par le Niger.
La participation de l’Allemagne à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) avec un millier de soldats et l’ouverture d’une base logistique au Niger consolide sa présence au Sahel, une zone au cœur des dynamiques migratoires.
La montée en puissance des groupes extrémistes violents et de la criminalité organisée au Sahel, ayant conduit au renforcement de la présence militaire étrangère, a été précédée d’un affaiblissement des États de la région. La situation de ces pays, qui font face à une mauvaise gouvernance caractérisée par une corruption endémique, un système de justice défaillant, une incapacité à fournir les services sociaux de base et à intégrer les espaces périphériques, favorise l’ancrage local et la résilience des groupes extrémistes violents de la violence auprès des populations.
Au Mali, forces françaises sont de plus en plus critiquées par l’opinion publique
Si la France est intervenue à la demande des autorités maliennes de transition de l’époque, au nom d’un passé commun, elle l’a fait aussi et surtout pour protéger ses ressortissants et défendre ses intérêts stratégiques, y compris économiques, dans la région.
À titre d’exemple, le pays continue d’importer du Niger voisin la majeure partie de l’uranium indispensable à son énergie nucléaire. L’intervention de la France, baptisée Serval, en janvier 2013, a laissé la place, six mois plus tard, à l’Opération Barkhane – au coût financier d’environ un million d’euros par jour – dont la zone d’action est élargie aux cinq pays du G5 Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad.
Tandis que la présence française est fortement médiatisée, d’autres pays tels que les États-Unis et l’Allemagne, se font plus discrets. En octobre 2017, quatre commandos américains et cinq militaires nigériens ont perdu la vie à TongoTongo, localité située à la frontière avec le Mali, dans une embuscade revendiquée par l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Cette attaque a révélé au grand public l’ampleur de la présence militaire des États-Unis au Niger, et plus largement dans la région.
Elle a également démontré, une fois de plus, que les groupes terroristes, bien que traqués par les pays de la région et leurs alliés, conservent une capacité de nuisance et recourent à des modes opératoires de plus en plus complexes. Cependant, la présentation de cette zone du Sahel, dans la rhétorique qui a suivi l’attaque de TongoTongo, comme la nouvelle frontière d’un « djihad » mondial comporte des risques importants.
De nombreuses études soulignent en effet la nécessité de prendre en compte les dynamiques locales dans le développement et l’expansion des groupes armés terroristes dans la région. Ces groupes exploitent, entre autres, les griefs des populations contre la gouvernance étatique ainsi que les tensions entre les différentes communautés socioprofessionnelles – à l’image des conflits pouvant opposer les éleveurs aux agriculteurs – pour s’ériger en garant de l’ordre social.
La décision des États-Unis de donner plus d’autonomie aux troupes déployées sur le terrain paraît dangereuse
Par ailleurs, la décision des États-Unis de donner plus d’autonomie aux troupes déployées sur le terrain paraît dangereuse. Dans un tel contexte, les erreurs de ciblage risquent d’être exploitées par les groupes extrémistes violents pour consolider leur présence et d’affecter l’efficacité des interventions.
Ces derniers mois, les signes d’un mécontentement populaire contre la présence militaire extérieure se sont multipliés dans la région. Accueillies dans un consensus quasi-général au Mali, en janvier 2013, les forces françaises sont de plus en plus critiquées par l’opinion publique.
Cette hostilité a débouché sur l’émergence de mouvements de protestation au cours des derniers mois, à travers le pays, pour dénoncer la politique de la France, accusée parfois d’accointance avec les anciens groupes rebelles. Au Niger, également, des manifestants, répondant à l’appel d’une coalition d’organisations de la société civile, scandaient en février dernier : « Armées française, américaine et allemande, allez-vous en ! », accusant leurs autorités de brader la souveraineté du pays.
La multiplication des interventions au Sahel répond d’abord à une volonté des puissances occidentales de défendre leurs intérêts stratégiques, qu’ils soient d’ordre sécuritaire, politique, diplomatique ou économique. Le masquer ou tenter de le dissimuler contribuerait davantage à renforcer l’image d’une région victime de simples calculs géopolitiques de la part d’acteurs extérieurs.
Ibrahim Maïga, Chercheur, ISS Bamako et Nadia Adam, Chercheure boursière, ISS Dakar
Cet article est d’abord paru sur le site de l’Institut d’études de sécurité
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