Tout était pourtant bien parti pour prouver une volonté partagée de trancher la question en toute indépendance de la justice. Conformément à la volonté des partenaires, la partie malienne, après moult atermoiements, a finalement lâché du lest en profitant du remaniement ministériel pour se débarrasser des ultimes personnalités citées dans l’affaire. Il s’agit notamment de Mme Bouaré Fily Sissoko et de Mahamadou Camara, ci-devant ex-ministre de l’Economie et des Finances et ex-ministre de l’Economie numérique, de l’Information et de la Communication. L’une pour avoir été signataire de la lettre de garantie autonome pour 100 milliards de nos francs en faveur Guo Star, l’autre pour avoir décerné mandat à l’intermédiaire Sidi Mohamed Kagnassy, conseiller de la présidence de la République, viré aussitôt après l’ébruitement du dossier. Quant au ministre de la Défense en son temps, Soumeylou Boubèye Maïga, il avait été libéré de cette fonction depuis la vague de l’intervention ratée de l’armée à Kidal.
Bref, la déchéance des ministres concernés avait été perçue par nombre d’observateurs comme un clin d’œil significatif dans le sens des conditionnalités posées par les Ptf : situer les responsabilités en toute transparence dans le dossier ayant entraîné une pénible et couteuse suspension de leur aide budgétaire. Mais, les limites de cette volonté apparente ne dépassent manifestement pas la perception personnelle du chef de l’Etat sur l’affaire, comme en atteste le récent coup de gueule que celle-ci lui a inspiré.
Pratiquement reléguée aux oubliettes, la polémique des commandes de matériel militaire a connu un rebondissement circonstanciel mais, assez spectaculaire pour influencer le destin de l’affaire. Dans sa traditionnelle adresse à la nation, à l’occasion de la fête de l’armée, IBK ne pouvait mettre sous le boisseau une problématique qui «a défrayé la chronique» et qu’il attribue lui-même à une simple incompréhension entre les autorités et les partenaires. Le chef de l’Etat n’est par conséquent pas allé de main morte pour battre en brèche les allégations d’irrégularité dans la passation du marché des équipements de la défense. Quoiqu’il admette tacitement la pertinence d’une révision de l’étendue du concept de secret défense dans l’arsenal règlementaire des commandes de l’armée, le chef de l’Etat s’inscrit en faux contre les manquements relevés par les deux structures de contrôle autonome mandatées par le gouvernement pour en connaître : le Bureau du Vérificateur générale et la section des comptes de la Cour suprême.
«(…) Il y a lieu de noter que le contrat en question ne portait, ni sur des marchés fictifs ni sur des produits superflus. Toutes les commandes qui ont été honorées correspondent à des besoins essentiels et urgents exprimés par nos troupes éparpillées sur un théâtre d’opérations s’étendant de Nara à Tin-Zewaten».
Ces propos, qui sont identiques à l’argumentaire développé par l’ancien ministre de la Défense Soumeylou B. Maïga, ne ressortent certes qu’en filigrane dans l’adresse à la nation du président. Ils n’en constituent cependant point l’accessoire, au regard de l’intérêt massif des concitoyens pour que soient levées les équivoques sur le marché de 69 milliards Fcfa pour lequel les fonds publics sont engagés pour 100 milliards Fcfa sous la forme de garantie auprès des banques.
Et, comme il est loisible de le constater, le jugement d’IBK sur la question est quant à lui sans équivoque, avec notamment un parti pris nettement favorable aux personnes mises en cause dans ladite affaire : des membres du gouvernement cités dans l’affaire à l’exécutant du marché en passant par l’intermédiaire Sidi Mohamed Kaganassy.
En tranchant la question de la sorte, le chef de l’Etat fait une irruption manifeste dans un dossier pendant devant de la justice et dans le cadre duquel nombre de ces personnalités citées ont déjà été entendues ou sont sur le point de l’être par les services du Pôle économique et financier. Doit-en déduire, en définitive, que les enquêtes n’ont plus leur raison d’être tant l’irruption du président du Conseil supérieur de la magistrature sonne comme une orientation sur la conduite à suivre dans la procédure ?
Sans mépriser l’indépendance somme toute très relative des juges, on imagine mal au Mali un magistrat instructeur ignorer le jugement d’un chef de l’Etat -de surcroit président du Conseil supérieur de la magistrature- sur le fond d’une affaire. Comme tout le monde le voit, la sortie d’IBK est bel et bien une immixtion déguisée, dont les motivations sont à chercher peut-être dans certaines collusions.
En plus de fausser le jeu dans la procédure, la plus haute autorité de la République, à travers cette influence, porte l’estocade à la notoriété des structures indépendantes de contrôle qui, par leurs audits respectifs, pensent avoir fait œuvre utile en édifiant l’opinion nationale et internationale sur les pratiques qui émaillent les commandes. Avec la conclusion banalisante qui se dessine, il est fort à parier que peu de structures publiques se sentiront obligées d’accorder du crédit au résultat des contrôles auxquels elles sont soumises.
M. DIAKITE