Mes étoiles noires» de Lilian Thuram : L’éternelle «dette de sang» qui hante la France

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Nous avions manqué l’opportunité de nous exprimer sur ce sujet à l’occasion des festivités commémoratives du 70ème anniversaire du débarquement de Provence du 15 août 1944. Des dirigeants africains, dont Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK, et quelques Tirailleurs rescapés avaient été invités à la fête à Toulon. Mais la lecture du très beau et riche (bien documenté) livre de Lillian Thuram (Mes Etoiles Noires, de Lucy à Barack Obama), nous donne une nouvelle occasion que nous ne pouvions que saisir au bond. Qu’elle l’admette ou non, la France sera toujours redevable à l’Afrique !

1916 -Siriki Koné, 1er bataillon Somali/Caporal : Gradé, d’une extrême bravoure, remplissant les fonctions de clairon. Au cours de l’attaque du 24 octobre 1916, il a accompagné son Commandant de compagnie jusqu’au dernier objectif. Tombé dans un trou d’obus occupé par plusieurs Allemands, il est parvenu à désarmer un de ses adversaires, en a tué deux et blessé deux autres. A été atteint lui-même de neuf coups de baïonnette. Médaille militaire et Cité à l’Ordre de l’Armée. C’est ce qu’on lit dans «Mes Etoiles Noires» de Lillian Thuram à propos des «Tirailleurs». Tout comme aussi Dyné Sylla, Tiemcoumba, Thierno Diop, Ouijaram Ollian. La liste de ces «morts pour la France», pour la Liberté et pour la Justice pourrait remplir des livres et des livres, à elle seule…, souligne Lilian Thuram dans son livre, «Mes Etoiles Noires, de Lucy à Barack Obama» (Alliance Internationale des Editeurs Indépendants, en vente au Mali dans les Librairies Jamana).

Et l’ex-«Bleu» (ancien international français) s’interroge : Qu’allaient-ils faire dans cet enfer, ces deux cents mille natifs d’Afrique équatoriale et occidentale, qui ne jouissaient même pas de la nationalité française ? Et, citant la presse de l’époque, Thuram répond : «Ils se précipitent en Métropole, la fleur au fusil, pour jouer aux héros, parce que c’est dans leur nature généreuse, parce qu’ils ont la vocation guerrière, le sens de l’obéissance, le courage, l’endurance, la ténacité, l’instinct de combat…». Des héros des guerres mondiales pour qui, «la plus belle tombe est celle qu’on creuse au champ d’honneur». Des héros qui ont pourtant bavé, avant de bénéficier de leurs droits et qui ont été massacrés à Thiaroye (Dakar, Sénégal) pour l’avoir revendiqué.

Rarement, la France se rappelle qu’elle a «une âme africaine», comme on l’a vu en août dernier à Toulon lors des commémorations du 70ème anniversaire du débarquement de Provence du 15 août 1944. Ce sont en particulier ces régiments africains qui libéreront Toulon et Marseille à la fin du mois d’août 1944. Etait donc de la fête, une quarantaine de vétérans représentant les «Tirailleurs» venus de l’Afrique et une douzaine de chefs d’Etat africains. L’occasion pour le président Hollande de rendre hommage en effet au «sacrifice de l’armée française d’Afrique». Une opportunité de saluer «la mémoire de tous ces soldats venus se sacrifier de Toulon à Berlin pour sauver leur mère patrie. Un dévouement exemplaire à ne pas oublier à l’heure où l’Afrique est aujourd’hui gangrenée par le terrorisme religieux, mise en quarantaine à cause du virus Ebola».

Ainsi, comme l’indiquait le Quotidien Le Midi Libre (France), «l’aide militaire de la France au Mali ou en Centrafrique n’est qu’un juste retour des choses. Un devoir de mémoire pour nos vieux frères indigènes».Une commémoration qui a aussi suscité beaucoup de témoignages et de plaidoyers. «Les soldats de l’armée française d’Afrique ?… Nous leur devons beaucoup. Il était grand temps que la France les honore. Grâce à ces soldats, la France a surmonté en partie l’humiliation de 1940 et figuré en 1945 dans les rangs des vainqueurs. Elle doit maintenir son effort de solidarité, pour montrer qu’elle n’oublie pas ceux qui, unis dans un destin commun, ont servi sous son drapeau et qui, quelle que soit la nationalité aujourd’hui, demeurent une partie d’elle-même», a lancé Michel Roussin, l’ancien ministre français de la Coopération, dans une tribune publiée par le site Internet du Figaro.

Il n’a pas manqué de citer le poète-président, Léopold Sédar Senghor, en rappelant : «Passant, ils sont tombés fraternellement, unis pour que tu restes Français» ! Hélas, la France s’en souvient rarement au point de honnir ces «Indigènes» qui ont payé sa liberté au prix de leur sang, de leur vie. «Dès la veille de la libération, notre pays a opéré un blanchiment de sa résistance… Ce blanchiment s’est étendu à toute l’armée par la démobilisation des troupes coloniales. Ainsi, même si la moitié des  hommes qui ont débarqué en Provence sont des Africains, on ne les voit pas défiler le 14 juillet 1945 sur les Champs Elysées… La guerre terminée, pas un de leurs noms ne figure sur les livres d’Or. Quant aux Monuments aux morts, il est bien rare qu’ils mentionnent un soldat africain», déplore Thuram dans son livre.

Victime d’une revanche politique

Et comme le dit le Colonel Maurice Rives qui s’est battu en vain pour réhabiliter les «Tirailleurs», «pas plus de trace que celle d’un pas vite effacé par le vent dans le sable du désert». Un décret signé en 1959 par Valery-Giscard d’Estaing, alors secrétaire aux Finances, a gelé les retraites, allocations et pensions des vétérans de l’ancien empire français en Afrique qui allaient être désormais calculées sur la base des prix en vigueur à la date de l’indépendance de chaque pays. La loi des finances dite de «Cristallisation» avait été votée le 26 novembre 1959 et promulguée par le Général Charles de Gaule. «Cette trahison de l’Etat français», comme le dénonce Lilian Thuram, ne sera officiellement corrigée que le 14 juillet 2010. Ironie du sort, c’est celui qui a défendu que «l’Afrique n’était pas entrée dans l’histoire» (Nicolas Sarkozy) qui prendra un acte visant à corriger cette injustice. «C’est pour témoigner de notre reconnaissance indéfectible envers les anciens combattants originaires de vos pays que nous souhaitons les voir bénéficier désormais des mêmes prestations de retraite que leurs frères d’armes français. Il y a des dettes qui ne s’éteignent jamais. Il était temps de le reconnaître», s’était justifié Nicolas Sarkozy, lors du dîner offert, mardi 13 juillet 2010, aux dirigeants africains.

Cette mesure devait bénéficier à près de 30 000 personnes, soit 10 000 anciens soldats et 20 000 veuves de «chair à canon». Insignifiant, comme l’écrivait un confrère français à l’époque, «au regard du nombre de tous ces conscrits coloniaux morts, parfois dans le dénuement total, sous l’empire de cette loi aussi scélérate que raciste de 1959». Pour lui, «la meilleure façon de faire amende honorable sur cette iniquité dont ont été victimes ces oubliés de la victoire sur le nazisme, c’est de faire rétroagir la future loi sur le dégel des pensions de retraite. Au moins ça pour éteindre la dette financière. Quant à la dette de sang, elle, elle ne s’éteindra jamais. Jamais !» ! La dette morale de la France à l’égard de l’Afrique est immense. Elle ne se limite pas seulement aux Tirailleurs. Mais, concerne aussi la colonisation qui a été le tremplin de crimes comme l’esclavage, la traite des noirs, la spoliation des matières premières.  Et ce n’est pas la présence d’une quarantaine de vétérans et d’une poignée de dirigeants qui rendront justice aux «Tirailleurs». Ceux-ci ont combattu pour la «Liberté et la Justice». Un combat dont ils ont été les premières victimes. Leur descendance continue à être victime du même rejet et dédain.

Sortir du jeu «maître et jeu» !

La France est ouverte à tout le monde, sauf à l’Afrique, sauf aux Africains. Les tracasseries dans les consulats ne cessent de le prouver à longueur de journée. Obtenir un visa pour la France, c’est comme si on convoite un ticket pour le Paradis. Ce qui contraint de milliers de jeunes africains à braver les mers dangereuses avec l’espoir de se refaire un destin. Et sur le plan diplomatique, de la coopération bilatérale, c’est toujours ce rapport de «maître et sujets» qui est la règle d’or. Que devons-nous attendre de la France ? Juste des leçons de démocratie, de gouvernance en fonction de ses intérêts ! Notre génération semble comprendre cette donne. Ne comprenant pas que c’est dans son intérêt de s’ouvrir aux futures élites du continent, la France s’est barricadée derrière un discours néocolonialiste… Aujourd’hui, les jeunes Maliens, Sénégalais, Guinéens, Marocains, Ivoiriens… préfèrent aller étudier et se former au Canada, aux Etats-Unis, au Royaume Uni, voire en Chine au Japon, qu’en France où ils savent qu’ils seront jugés sur leur valeur intrinsèque et ce qu’ils peuvent apporter au rayonnement économique et culturel. Et non sur la couleur de leur peau ou sur les préjugés qui limitent leurs ambitions à des cadres de seconde zone : jamais à hauteur des autres, même à compétence égale.

«À défaut d’aller étudier au Canada ou aux Etats-Unis, nous avons préféré venir ici que d’aller en France. D’ailleurs, nos camarades qui étaient partis en France, reviennent ici parce que les instituts et les universités tunisiennes sont connectés au Canada et aux Etats-Unis, offrent donc plus d’opportunités», nous disaient des étudiants africains rencontrés à Tunis (Tunisie), il y a deux ans. En fait, sur le plan diplomatique et culturel, la France a perdu l’initiative au profit d’autres puissances. Elle délaisse l’Afrique qui est pourtant son meilleur atout, dans beaucoup de domaines (économie, culture, sport…). Aujourd’hui, le français est mis à côté dans les Pays émergents (Corée du Sud, Brésil, Turquie) à cause des potentialités de développement que le continent africain leur offre. De plus en plus rendue frileuse par la percée de l’extrême droite sur la scène politique intérieure, la France est toujours à la traîne en Afrique. On l’a récemment vu par rapport à la gestion de l’épidémie de la fièvre à virus Ebola, qui a commencé par la Guinée avant de se répandre au Liberia et en Sierra Léone. Il fallut que les Etats-Unis et la Grande Bretagne prennent des décisions courageuses pour soutenir ces deux derniers pays pour que la France se décide à envoyer un Secrétaire d’Etat à Dakar et à Conakry pour tenter de récupérer le terrain perdu. Et même le fait de remettre l’Afrique au cœur des festivités commémoratives du 70ème anniversaire du débarquement de Provence ne devait rien au hasard.

Au lendemain du premier Sommet Etats-Unis/Afrique, il fallait reprendre l’initiative pour prouver aux Yankee que la «France-Afrique» n’était pas encore morte.  Tout porte à croire que les dirigeants avaient été appelés en Hexagone pour être recadrés. Et même là, la France est en retard puisqu’elle ne semble pas comprendre que l’Afrique est en pleine évolution politique et que la jeune génération se battra pour avoir son mot à dire dans ses relations avec le monde. Une génération plus attirée par le pragmatisme que par des supposés liens historiques qui ne sont pris en compte par la France que lorsque cela l’arrange.

Tandis que le monde prend conscience des atouts de l’Afrique et essaye d’établir avec nos élites des relations respectueuses et pragmatiques, la France n’a pas toujours tourné la page de la Conférence de Berlin (15 novembre 1884-26 février 1885). Les jeunes africains se sont affranchis de l’émotion de la colonisation et désirent vivre dans le monde de leur temps : sans frontières, sans attaches et sans préjugés ! Ils sont donc décidés à s’ouvrir à ceux qui leur offrent les meilleures opportunités de réussite pour combler le retard de leur continent. La France doit à l’Afrique, en partie, sa liberté. Et cela n’a pas de prix. En échange, nous n’exigeons que respect et considération. Croire que notre génération se reconnaît encore en ces dirigeants qui font la courbette devant les locataires de l’Elysée, est une grosse erreur. Nous assumons, sans complexe aucun, notre passé avec l’intime conviction que c’est la colonisation qui est à la base du retard de l’Afrique, parce que les colons ont trouvé sur place des formes d’organisation qui les dépassaient et qu’ils se sont acharnés à détruire ; parce que cela ne favorisait pas leur politique de spoliation et d’aliénation.

Moussa BOLLY

 

N.B : «Mes Etoiles Noires, de Lucy à Barack Obama» de Lilian Thuram (400 pages). En vente au Mali dans les Librairies Jamana

 

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2 COMMENTAIRES

  1. Le contenu de ce livre intéressant.Ça parle vraiment des réalités,en tout cas ce passage que je viens de lire me dit que ce serait cool de lire le reste. 😉 En attendant bon vent au vent au livre et son auteur.

  2. que france meure et ceux ki ne cesse de nous parler meure l ipocrizy au diable que la veriter trionphe a bah la france vive l afrique noir

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