Le Mali dans une impasse : ATT est-il le seul coupable ?

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De l’indépendance à nos jours, le Mali n’a jamais été autant menacé dans les fondements de la République que sont l’Unité nationale, l’intégrité du territoire et la souveraineté acquise le 22 septembre 1960. Une dizaine de jours après le coup d’Etat du Comité national de redressement de la démocratie et de restauration de l’Etat (Cnrdre), les mouvements rebelles se sont accaparés de presque toutes les régions du nord. Une triste réalité qui vient rappeler aux partisans de la junte qu’un putsch militaire n’était pas opportun pour faire face aux sérieuses menaces qui planent sur le Mali.  Et face à l’impasse politique et économique dans lesquelles se trouve notre pays, il est facile d’indexer le président déchu, Amadou Toumani Touré. Ce militaire et démocrate est-il le seul comptable de ce péril démocratique que nous dénonçons depuis longtemps ? Nous pensons plutôt à une faillite de l’ensemble de la classe politique qui, aveuglement, a suivi le Général-démocrate en ne se préoccupant que de leurs propres intérêts à composer avec le régime en place.

Difficile pour un démocrate de fermer les yeux sur un coup d’Etat militaire, même sensé «redresser» une démocratie chancelante ou restaurer une autorité de l’Etat bafouée depuis l’avènement de la démocratie le 26 mars 1991. Comme l’écrivait récemment un confrère, «la démocratie, c’est la force du droit, avec en son centre le peuple souverain, source légitime du pouvoir d’Etat». Un coup d’Etat militaire est donc une violation grave de la forme républicaine d’un Etat. Comme le dirait l’autre, «c’est du vol par effraction, un coup de poignard dans le dos de la démocratie. C’est une claque régentée au peuple souverain, dans la tentative de légitimer on ne sait quel droit de la force».
De 1991 à nos jours, le Mali avait progressé sur la voie démocratique, sur les chantiers de son développement socioéconomique et politique. Malgré certains signes de faiblesse, ils étaient nombreux à penser que le processus était désormais irréversible. Hélas, la résurgence de la rébellion au nord et la «folie patriotique» de jeunes sous-officiers et officiers viennent de nous ramener à la triste réalité. Du jour au lendemain, le Mali dégringolé de son statut d’Etat démocratique, montré en référence partout dans le monde, à un pays au bord du chaos politique car menacé dans son existence même.
Comment sommes nous tombés si bas ? Bien sûr à cause de la faillite d’un régime. Les signes annonciateurs du déclin de notre démocratie n’ont pas manqué. Ne seraient-ce que les multiples crises qui n’étaient que l’aboutissement «de la mauvaise gouvernance, du galvaudage, du clientélisme et de la corruption à outrance érigée en un système de gérance, qui ont fini par gangrener toutes les institutions de la République et même l’armée supposée être républicaine».
L’erreur fatidique d’ATT a été de vouloir diriger le Mali en essayant d’avoir tout le monde avec lui. Ce que lui-même a appelé la gestion consensuelle du pouvoir. Il a mélangé les chèvres et les loups, les patriotes et les opportunistes… Finalement, les seconds (militaires et civils) ont réussi à éloigner de lui les premiers. Dans l’ombre, ils ont réussi à contrôler tous les leviers du pouvoir et de l’économie. Ce sont eux qui avaient la main mise sur le trafic de la drogue et des armes, enlèvements de touristes pour bénéficier de primes faramineuses sur les rançons… Ce sont eux qui avaient, directement ou indirectement, tous les marchés juteux de la République.

Faux amis, conseillers cupides et les traitres
Au même moment, ils ont fait croire au Général que son modèle était le meilleur pour le pays, qu’il était compris de son peuple et de son armée qui le soutenaient de façon inconditionnelle. Le réveil a dont été naturellement douloureux pour ATT dont les «faux amis» et «médiocres et cupides conseillers» avaient réussi à l’éloigner visiblement d’un peuple et d’une armée désabusés par la corruption à grande échelle, la délinquance financière, la gabegie, le népotisme… Autant de facteurs qui ont favorisé le coup d’Etat du 22 mars dernier.
Mais, il serait aujourd’hui malhonnête de mettre tout le mal à l’actif du seul Amadou Toumani Touré à qui on peut tout reprocher sauf qu’il n’était pas un démocrate et qu’il n’aimait pas son pays. A notre avis, c’est la faillite de l’ensemble de la classe politique qui a conduit le Mali vers l’impasse politique et le chaos socio-économique auxquels il tente d’échapper désespérément de nos jours.
Pour être mieux ancré et consolidé, la démocratie a besoin de garde-fous comme une opposition mature et constructive. Et pourtant, malgré que le pays se soit doté d’un statut de l’opposition, les politiciens pensent que la démocratie peut se passer de celle-ci. C’est avant tout l’hypocrisie et la désunion de cette classe politique qui a favorisé le retour d’ATT au pouvoir le 8 juin 2002. Après avoir injustement écarté Ibrahim Boubacar Kéita au premier tour, il s’est retrouvé au second tour face à Soumaïla Cissé alors candidat de l’Alliance pour la Démocratie (Adema).
Comment un candidat indépendant peut-il réussir à battre le représentant du parti majoritaire ? Parce que sa famille politique (Adema) à jouer à l’hypocrisie en lui faisant croire à un soutien dont il n’a jamais réellement bénéficié. Parce que la classe politique a joué à l’égoïsme pour éviter que l’Adema ne succède à l’Adema au pouvoir ! Les gens ont volontairement fait fi de la menace que représentait le retour d’un militaire, même démocrate, au pouvoir. Les chapelles politiques lui ont déroulé le tapis rouge. Et en reconnaissance de cette unité égoïste autour de lui, Amadou Toumani Touré a été amené à ouvrir les vannes du pouvoir à tout le monde, y compris les plus grands opportunistes de la République.

Tous coupables par cupidité ou par mégalomanie
En 2007, à l’exception d’Ibrahim Boubacar Kéita du Rassemblement pour le Mali, aucun leader politique influent n’a jugé utile de se battre pour l’empêcher de renouveler son bail malgré un bilan contrasté et surtout terni par le laxisme dans la gouvernance et une corruption galopante malgré les différents rapports du Bureau du Vérificateur général. C’est donc naturellement qu’ATT a validé son ticket pour un second mandat dès le premier tour du scrutin présidentiel.
Comme le disait le doyen Tiégoum Boubèye Maïga (Nouvelle République) dans sa chronique hebdomadaire (Méchage) du jeudi 29 mars 2012, «Les hommes politiques qui vont lui faire des génuflexions ont tous participé à la gestion du pouvoir ATT (Y compris Dr Oumar Mariko, Ndrl) soit comme ministre, soit comme députés. Ils lui ont tressé des lauriers. Je n’ai pas vu un seul parmi eux démissionner du gouvernement parce qu’il ne s’entendait plus avec ATT ou parce que sa politique ne lui convenait pas (ceux qui se vantent de n’avoir refusé la main tendue d’ATT ont en réalité été mis à la porte à cause de leur mauvaise gestion avérée dans les précédentes équipes ou parce qu’ils ne représentent rien sur l’échiquier politique). Au contraire, ils applaudissaient à tout rompre devant lui, et les plus courageux parmi eux s’en allaient ensuite le critiquer dans leur salon de leurs enfants ou dans leur Grin, mais jamais publiquement…» !
En réalité même ceux qui s’agitaient récemment à l’Assemblée nationale en se faisant passer pour des opposants ne voulaient pas de cette opposition démocratique. Soit ils émargeaient à Koulouba comme ce populiste ancien leader estudiantin des années 90, soit ils avaient été exclus de l’exercice du pouvoir suite à la pression de certains partenaires techniques et financiers en colère contre la mauvaise gestion de certaines initiatives comme «L’Opéra du Sahel».
Nous sommes convaincus que si, en 2002, les partis comme l’Adema, le Rpm ou  le Cnid avaient fait le choix d’une vraie opposition parlementaire, le Mali n’en serait pas là aujourd’hui. Leur poids politique aurait contraint le président Amadou Toumani Touré à tenir compte des critiques des médias privés, de la société civile qui, elle aussi, à malheureusement finit par prendre goût au pouvoir.
Dans une démocratie où aucune menace de censure ne plane sur l’exécutif, il est utopique de s’attendre à une gestion responsable de l’Etat. Bien au contraire, il faut s’attendre plutôt à l’expansion de la corruption, de la délinquance financière, des spéculations et combines de tout ordre… Surtout que l’appareil judiciaire n’existait que de nom parce que «indépendante de tout sauf de l’argent sale».
La classe politique malienne, ces dix dernières années, a fait toujours croire à ATT que tout allait bien dans ce Mali en perte de repère et de crédibilité aux yeux de nombreux partenaires. Ces dix dernières années, la classe politique ne s’est jamais assumée comme il se doit dans une vraie et grande opposition démocratique. Il ne faut pas non plus se voiler la face, depuis l’avènement de la démocratie, notre pays souffre aussi de la faiblesse de sa vie intellectuelle.
Avec ce qui se passe aujourd’hui, on a la terrible impression que la classe politique malienne n’a tiré aucune leçon de ses erreurs des dix dernières années. Présentement, presque chaque leader politique pense exclusivement au profit qu’il pourra tirer de l’actuelle cacophonie ne permettant à aucune ligne forte de ressortir de cette confusion. Rares sont ceux qui pensent réellement à œuvrer pour que la démocratie malienne ne puisse jamais souffrir d’un tel retour avilissant à la case pour un pays à la fierté légendaire.

Remettre le pays sur les rails
Ce coup d’Etat a remis en cause tout ce que nous avons réalisé ces vingt dernières années. Mais, comme l’a dit un grand ami du pays, Thomas Weil, «cette interruption dramatique du processus démocratique est arrivée parce qu’il y avait la place pour qu’elle arrive». Et cette brèche, c’est la classe politique qui l’a ouverte, notamment ceux qui ont ouvertement poussé les mutins du 21 mars à profiter de la situation créée pour confisquer  le pouvoir.
Toutefois, comment peut-on expliquer que quelques dizaines de militaires fassent trembler un pays entier dans ses fondements institutionnels ? Sans doute parce qu’il y a, dans le mouvement démocratique, beaucoup plus de démagogues et d’opportunistes que de vrais démocrates. Sans compter que la situation humiliante pour les Maliens démontre l’extrême fragilité voire l’état de déliquescence de l’Etat Malien.
Aujourd’hui, le plus urgent c’est de revenir à l’ordre constitutionnel afin de sauver l’intégrité territoriale du pays et d’organiser des élections crédibles. L’urgence, c’est de remettre ce pays sur les rails. De créer les conditions d’une pérenne stabilité nous permettant de redire aux investisseurs étrangers, «venez chez nous. Voici le code de conduite et les règles, voici vos engagements et les nôtres».
On ne dégagera jamais les premières étapes d’un développement industriel ou d’une économie de services sans la confiance des investisseurs étrangers. Même si on a une population incroyablement jeune, il nous faut de l’éducation nationale et des investisseurs dans un environnement non corrompu.
Malheureusement, depuis l’avènement de la démocratie au Mali, il n’y a presque jamais eu un environnement stable pour un investissement entièrement sécurisé. «Prenons simplement, l’exemple de la diaspora malienne, je parle la des gens de haut niveau. Ils ne reviennent pas au Mali sauf exception car convaincus que la corruption aura raison de leurs initiatives économiques… Et comment parler de vie constitutionnelle dans un pays où 90 % du peuple n’a pas eu accès a une éducation scolaire», souligne un interlocuteur dans un récent débat sur le net.
Comme lui, nous pensons que nous avons perdu trop de temps sur ces sujets cruciaux de développement. Ce qui fait que, aujourd’hui plus que jamais, il nous faut un vrai leader pour cette nation. Un guide qui va s’appuyer sur «des ministres et des hauts fonctionnaires beaucoup mieux payés». Mais, des grands commis qu’on mettra systématiquement à la touche au moindre fait avéré de corruption et qui devront répondre de leur gestion devant une justice indépendante et moins corrompue malgré son indice salariale élevée.
«Un Ministre doit être rémunéré pour travailler 18 heures par jour en sachant qu’il n’est là que pour un temps donné et qu’il sera mis au pas voire à la porte au moindre fait qui aille contre l’intérêt public… Si on ne peut pas augmenter tout le monde en même temps, on doit commencer par le haut de la pyramide avec un message intangible sur le sens de la responsabilité et du bien public», explique un expert des finances publiques.

Une vision, une ambition : Un Mali débout !
Hélas, c’est cette vision qui a toujours manqué dans ce pays. On parle de lutte contre la corruption alors que le cadre A ne peut même pas décemment vivre de son salaire à plus forte raison s’assurer une retraite paisible. Sans compter que, ces dernières années, le pays est gouverné sur fond de populisme. Et pourtant, il est avéré qu’on n’avance jamais en faisant plaisir à tout le monde, dans la crainte d’avoir des détracteurs. Sinon on va droit au marasme comme le Mali le vit présentement.
Pour reprendre notre marche démocratique vers le développement, il faut à la tête du pays un vrai visionnaire, un leader moderne qui n’aura pas peur de bousculer certaines pratiques, de démanteler des réseaux qui contrôlent les leviers économiques, pas au profit d’autres intérêts égoïstes, mais pour le bien-être des Maliens. Le Mali a besoin d’un président qui va diriger le pays d’une «main de fer», sans céder à la dictature et à des pratiques liberticides. Nous devons alors tous comprendre que les libertés individuelles ne valent que par leur contribution au renforcement de la démocratie et du développement homogène et équitable du pays.
Comme nous l’avons toujours dénoncé ces dernières années, dans nos différentes chroniques, on ne peut pas mieux gouverner un Etat en essayant de faire plaisir à tout le monde, en ménageant les médiocres et les délinquants financiers. Il faut être rigoureux et intraitable sur les intérêts de la nation. Avec la prise de Kidal, Tombouctou et Gao sur le fil du rasoir…, ce n’est vraiment pas le moment de réfléchir aux destins personnels des uns et des autres. Il faut agir maintenant sinon le Mali va perdre sa souveraineté compromise par les succès militaires des rebelles.
Ce qui est sûr, nous devons continuer à nous battre avec notre plume et nos idées ! Il ne faut pas avoir peur de l’avenir de ce pays, il faut continuer à se battre avec les moyens dont nous disposons, notamment avec des actes et les initiatives citoyennes. Refusons désormais d’être ces intellectuels timorés incapables d’influer sur la vie de la nation. Il faut à ce pays des débats, des idées et des projets. Mais, nous ne devons plus nous contenter de critiquer, mais il faut aussi trancher, décider, légiférer et appliquer nos résolutions avec la plus grande rigueur ! La méritocratie ! Voila ce qui urge aussi pour ce pays.
Kader Toé

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6 COMMENTAIRES

  1. des intellectuels malhonnetes supportent le coup d;etat, et cela on le verra seulement au Mali.Certains leaders politiques souffrent d;une constipation intellectuelle et ils ne pensent qu’a eux memes et non au pays et au peuple.

  2. Putch ou pas, les zones prises le seraient, puisque la prise de Kidal était amoncée après celle de Tessalit. et ensuite, et ensuite… seuls les borgnes ne le voyaient pas.
    Et quel autres accord serait signé alors avant le 8 juin?
    l’accard précedant nous en dit long.

  3. Oui… ATT est responsable… et bientôt, il sera jugé. S’il est déclaré coupable… il sera puni par la loi des hommes… L’HISTOIRE aussi jugera 🙁 🙁 🙁

    Laissons le en paix. Il a désormais tout son temps pour préparer sa défense. Pour essayer de retrouver sa dignité d’homme et de militaire. 🙁 🙁 🙁 🙁

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