La question du Nord est, à l’évidence, la plus urgente à résoudre. Détonateur de la crise, elle reste la menace principale qui pèse sur son règlement. La reprise des attentats dans les villes du Nord depuis l’automne dernier, les tensions entre les différents segments de la population qui y vivent, la présence de groupes armés de nature communautaire et le retour difficile de l’État dans les régions septentrionales sont autant de défis à surmonter. Le président IBK s’est impliqué avec volontarisme dans la relance du dialogue national, élément clef de la réconciliation entre le nord et le sud. Son gouvernement a organisé des États généraux de la décentralisation, des assises nationales du Nord à Bamako et des assises régionales à Gao. Cette démarche est apparue comme une tentative intéressante d’engager un dialogue qui n’enferme pas, comme jadis, le gouvernement dans un face-à-face exclusif avec les groupes armés. Des organisations de la société civile, en particulier du Nord, ont été associées aux débats à Bamako et Gao.
Cependant, ces initiatives apportent une réponse encore insuffisante à la question du Nord. Le Mali a déjà connu à plusieurs reprises de semblables conférences d’envergure nationales dont l’impact sur le terrain fut ensuite très faible par manque de suivi politique. Par ailleurs, la volonté d’avancer rapidement sur le dossier du Nord a conduit le gouvernement à piloter entièrement le processus depuis Bamako. Désireuses d’imposer leur agenda, les autorités maliennes n’ont pas cherché une véritable concertation avec les groupes porteurs de revendications différentes des leurs. En conséquence, les groupes armés présents au Nord ont majoritairement refusé de participer à ces rencontres, reprochant au gouvernement d’en maîtriser les modalités et de fermer la porte à un dialogue réel.
Surtout, ces rencontres ne doivent pas se substituer à de véritables pourparlers de paix incluant tous les représentants du Nord, y compris les groupes armés. Selon l’accord de Ouagadougou, de tels pourparlers inclusifs de paix devaient s’ouvrir 60 jours après la formation du gouvernement. Ce délai a expiré début novembre. Le comité de suivi et d’évaluation de cet accord, prévu pour offrir un cadre de concertation dans lequel devaient se retrouver chaque mois les parties impliquées et les différents modérateurs internationaux, ne s’est plus réuni depuis octobre 2013. La relance de l’accord de Ouagadougou et le respect de ses principales dispositions doivent être l’une des priorités du gouvernement malien. Pour le moment, celui-ci s’est engagé sur une voie bien différente.
Certes, les contacts entre le gouvernement et les groupes armés se sont poursuivis mais en dehors du cadre légal de l’accord de Ouagadougou. Le pouvoir a renoué des liens avec une partie des leaders touareg et arabes sur une base uniquement clientéliste. Lors des récentes élections législatives, le parti du président IBK a ainsi soutenu plusieurs candidats issus, ou proches, des groupes armés. En agissant de la sorte, il restaure une partie de son influence au Nord tout en espérant diviser et affaiblir les mouvements armés. Si elle peut immédiatement ramener un semblant de stabilité, cette stratégie est, à plus long terme, un frein aux nécessaires réformes de la gouvernance dans le Nord. Par ailleurs, elle avive les tensions au sein des groupes armés. Exclus de la relation clientéliste, des éléments appartenant à ces groupes se sentent floués et sont tentés de reprendre les armes. La récente médiation initiée par l’Algérie peut relancer le dialogue entre Bamako et les groupes armés mais elle a jusqu’ici accentué les tensions. Des membres des mouvements armés dénoncent la présence à cette réunion de négociateurs jugés peu crédibles car trop proches des positions pro-gouvernementales.
La question du Nord n’est enfin pas la seule posée au Mali. La nouvelle équipe dirigeante s’est engagée avec l’appui de ses partenaires internationaux dans un ambitieux programme général de réforme de la gouvernance. Par le passé, cette rhétorique du changement a maintes fois été utilisée par l’État malien pour mieux couvrir son immobilisme. Il en sera de même si le chef de l’État ne pose pas rapidement des actes forts au-delà des concessions symboliques qu’il a octroyées aux bailleurs.
Ces derniers ont également leur part de responsabilité dans la dérive malienne et doivent opérer leur propre bilan critique. Après avoir fait le constat que le “modèle malien” n’avait été qu’un château de cartes, les partenaires du Mali ont aujourd’hui tendance à retomber dans l’illusion du “retour à l’Etat souverain”.
Tout n’est certes pas sombre au Mali. Le retour à l’ordre institutionnel est un acquis important. Il reste cependant un long chemin à parcourir pour éviter une rechute. Tous les acteurs impliqués doivent comprendre qu’une opération militaire extérieure et la tenue d’élections ne suffisent pas à inscrire un redressement et une réconciliation nationale dans la durée. Le président malien doit, quant à lui, prendre conscience que sa forte légitimité électorale lui offre un moment unique et finalement très court pour prendre les décisions courageuses et honnêtes qui guériront son pays.
International Crisis Group : le rapport de 49 pages sur le Mali, janvier 2014
http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/west-africa/mali/210-mali-reformer-ou-rechuter.pdf
Comments are closed.