La confusion au Mali, boîte de Pandore ouverte pour le Sahel

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BAMAKO (Reuters) – L’instabilité engendrée par le renversement du régime libyen de Mouammar Kadhafi dans le Sahel a joué un rôle de taille dans le coup de force au Mali, événement qui, à son tour, risque d’être un facteur d’instabilité croissante dans toute la région.

Des officiers subalternes ont renversé le président malien Amadou Toumani Touré jeudi en reprochant à celui-ci de ne pas avoir affecté les moyens suffisants pour combattre la rébellion touarègue, laquelle a été dopée ces derniers mois par les armes en circulation depuis l’insurrection libyenne et par le retour au Mali d’anciens combattants qui étaient à la solde de Kadhafi.

“C’est un effet domino”, explique Yvan Guichaoua, maître de conférence sur la politique africaine à l’Université d’East Anglia, interrogé par Reuters à Bamako.

Le Mali, troisième producteur d’or d’Afrique et important producteur de coton de la sous-région, passait en Afrique pour un pays démocratique relativement stable, entouré d’Etats troublés depuis des décennies par des putsches et mutineries, voire des guerres civiles.

Le Mali a été un allié des pays occidentaux dans les efforts pour faire cesser les attaques et enlèvements menés par des islamistes affiliés à la nébuleuse Al Qaïda et tenter de les empêcher de se propager au sud du Sahara -ce qui est déjà le cas avec la secte islamiste Boko Haram au Nigeria.

“C’est vraiment malheureux pour le Mali. Cela plonge dans l’instabilité l’un des pays les plus stables d’Afrique de l’Ouest”, dit à Reuters Gilles Yabi, directeur de projet en Afrique de l’Ouest pour le club de réflexion International Crisis Group.

“Il ne faut pas résoudre les contentieux par les armes. C’est un signal néfaste pour les autres pays, qui s’efforcent de renforcer leurs démocraties”, estime pour sa part Nadia Natal, chargée des questions de gouvernance politique au sein de l’organisation Open Society Initiative for West Africa (OSIWA).

Les Etats-Unis formaient à la lutte antiterroriste des éléments de l’armée malienne. L’un des meneurs du coup de force, le capitaine Amadou Sanogo, proclamé président du tout nouveau CNRDR (Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat), a dit avoir été formé par des “marines” américains et des agents des services de renseignement américains.

PAS D’INTENTIONS POLITIQUES CLAIRES

Le coup de force mené mercredi par des officiers va porter un coup d’arrêt, pour l’heure, à un tel appui. La Banque mondiale, la Banque africaine de développement (Bad) et la Commission européenne ont toutes suspendu leur aide financière au Mali.

Les chefs du CNRDR ont promis de remettre le pouvoir à un président démocratiquement élu “dès que le pays sera réunifié”. Mais les rebelles touaregs, dans le nord du pays, progressent d’ores et déjà en direction du sud, tirant parti de la confusion.

Les auteurs du coup de force n’ont pas l’air de contrôler vraiment les soldats sous leurs ordres, à en juger par les pillages et les fusillades dans les rues, ce qui est de mauvais augure pour le proche avenir.

“Il n’y a pas de programme clair (…). On ne sait pas du tout ce qui va advenir”, estime Guichaoua.

“Cela donne une impression de chaos”, dit de son côté Yabi.

L’incertitude a été renforcée vendredi avec l’annonce par l’Union africaine que le président Touré se trouvait toujours au Mali, non loin de Bamako, en sécurité et sous la protection d’éléments de l’armée qui lui sont restés fidèles.

Touré, qui s’est acquis la réputation d’un démocrate pour avoir rapidement restitué le pouvoir aux civils après son putsch en 1991, comptait se retirer à la suite des élections prévues en avril, au terme de deux mandats consécutifs.

Selon les observateurs politiques, il aurait été difficile, sinon impossible, d’organiser un scrutin crédible le mois prochain étant donné que des parties importantes du nord du pays échappent au contrôle des autorités et que des milliers de personnes ont été chassées de chez elles par l’insurrection touarègue.

Les rebelles, qui progressent désormais en direction du sud, disent vouloir mettre sur pied un Etat indépendant qui s’étendrait sur le nord du pays.

Bouréma Dicko, député chargé de la commission défense du parlement, avait déclaré à Reuters avant le putsch que les rebelles touaregs n’avaient pas de programme politique clair. “Ils veulent simplement pouvoir se livrer au trafic d’armes et de drogue dans le nord du pays. Ils ne veulent pas vraiment la sécurité”, disait-il.

Pour Nata, de l’OSIWA, le coup de force ne manquera sans doute pas d’accroître l’insécurité et la criminalité dans l’ensemble du Sahel.

“Cela (le putsch) a ouvert la boîte de Pandore”, dit-elle.

Eric Faye pour le service français

REUTERS – 24 mars 2012

 

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