Le Cnrdre, par la voix de son maître, vient d’accepter, « par principe » le président par intérim, Dioncounda Traoré, comme président de la transition. Ce revirement intervient quelques heures après l’adoption d’une loi d’amnistie totale censée couvrir les arrières des putschistes de mars. Le calme va peut-être revenir, mais cela n’empêche pas les interrogations qui s’invitent aux réjouissances.
Une loi, quelle qu’elle soit et quel que soit le nombre de députés qui l’ont adoptée (100% pour celle-ci), peut-elle amnistier un crime jugé imprescriptible par une constitution toujours en vigueur ? L’Assemblée nationale du Mali croit que oui. Au cours de sa session du 18 mai 2012, les députés ont adopté une loi d’amnistie totale en faveur du Cnrdre, auteur du coup d’Etat militaire perpétré dans la nuit du 21 au 22 mars contre le deuxième mandat constitutionnel du général Amadou Toumani Touré. En attendant la décision très attendue, mais peut-être connue à l’avance de la Cour constitutionnelle, seule habilitée à juger de la conformité d’une loi, le citoyen lambda, pour sa part, se pose des questions : quels crimes cette loi du 18 mai est-elle censée absoudre exactement ? Quelle est la période amnistiée ?
D’emblée, il faut retenir, selon un « spécialiste avisé » (ils sont légion par les temps qui courent), ue les bénéficiaires de la grâce parlementaire sont « les auteurs du coup d’Etat du 22 mars ». Seulement il y a aussi les autres et on ne précise pas s’ils sont concernés.
Des pillages et saccages avec pertes matérielles et en vies humaines ont suivi le putsch. Ces actes, même s’ils découlent du coup de force des militaires, ils n’en sont pas pour autant des éléments constitutifs ni des conséquences naturelles et nécessaires. En cela que leurs auteurs, militaires et civils, auraient pu les éviter. Volontairement et délibérément commis, ils constituent des infractions à la loi. et leurs auteurs sont donc poursuivables. Le seront-ils ou seront-ils absouts par la loi du 18 mai ?
Plus d’un mois après, alors que les choses semblaient se tasser, des éléments du régiment des commandos parachutistes de Djicoroni, les « bérets rouges », ont pris les armes alors que rien ne les y obligeait. Le 30 avril, en effet, en tentant de contrôler l’Ortm, l’aéroport international de Bamako Sénou et le camp Soundjata de Kati (QG du capitaine Sanogo et des « bérets verts », les « bérets rouges » ont cru nécessaire de perpétrer un coup d’Etat contre les autorités intérimaires et un contre-putsch envers le Cnrdre. La Constitution du 12 février 1992 étant toujours en vigueur, les auteurs de ce forfait sont poursuivables pour tentative de crime imprescriptible. Avec circonstances aggravantes dans la mesure où leur mentor, ATT, a accepté le fait accompli et démissionné de sa fonction présidentielle, les commandos parachutistes n’avaient aucune raison objective de réagir. Seront-ils poursuivis ou absouts ?
Pour ce qu’il en reste, ils seraient entre les mains de la justice. Poursuivis jusque dans leurs derniers retranchements avec la plus grande rigueur possible, beaucoup ont eu droit à un extrême préjudice (le capitaine Sanogo en personne s’en vante). Les auteurs de cette répression barbare et extrajudiciaire présumée seront-ils amnistiés par la loi du 18 mai censée ne concerner que les événements du 22 mars ?
Par ailleurs, de hautes personnalités du pays dont d’anciens ministres et chef de gouvernement, un député et des chefs d’institution ont fait l’objet d’arrestation et de séquestration présumées arbitraires. Elles auraient été interpéllées pour des questions relatives à la sûreté nationale et à la sécurité de l’Etat. Certains comme l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé sont littéralement persécutés après avoir fait plusieurs fois l’objet d’enlèvements par des hommes portant l’uniforme des forces armées et de sécurité, et de nombreux séjours à Kati. Tout cela a été fait dans une totale violation du Code de procédure pénale. Les auteurs de ces exactions sont poursuivables. Le seront-ils ou bénéficieront-ils de la loi du 18 mai ?
Les journalistes ne peuvent pas se permettre de demeurer en reste. Deux directeurs de publication, en l’espace de quelsques heures, ont également fait l’objet d’interpellation et d’interrogatoires. Gardés pendant de nombreuses heures juste pour des questions relevant de la police judiciaire. Leurs ravisseurs et geôliers sont poursuivables et seront poursuivis tôt ou tard, car eux au moins sont connus et ne peuvent pas appartenir à « l’espèce protégée » par la loi d’amnistie.
Pour en revenir à ceux-ci, du Cnrdre, il y a un détail sur lequel ils auraient tort de fermer les yeux. La loi d’amnistie totale ne concerne que les « auteurs du coup d’Etat du 22 mars » Or ce jour, un jeudi, il n’y a eu aucun coup d’Etat. En réalité, la mutinerie et le putsch ont été consommés bien avant minuit, le 21 mars. Et les auteurs du coup d’Etat du 21 mars ne bénéficient d’aucune loi d’absolution et sont donc poursuivables.
Cheick Tandina
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