Mercredi dernier, ATT n’a pas su tenir sa langue : Niamé Kéïta aurait fui ses responsabilités. Du coup, ce dernier réplique en s’attaquant à son Ministre de tutelle et reçoit une réponse cinglante d’un autre officier de l’armée. Délation, dénigrement, menaces, la «grande muette» parle enfin. A quelle fin ? Que cache cette soudaine beuglante ?
On fait très souvent à l’actuel chef de l’Etat le reproche de trop parler et, le plus souvent, de manière inconsidérée. Mercredi dernier, dans la diffusion en différé de l’émission «Baro» sur l’ORTM, il a perdu une occasion en or de se taire. En effet, sa réponse à une question sur le récent remaniement du commandement des forces armées et de sécurité oppose aujourd’hui, beaucoup plus que l’on ne croit, la police et l’armée. Se sentant en ligne de mire, c’est le désormais ex-Directeur général de la police nationale, l’Inspecteur général Niamé Kéïta, qui, vendredi dernier, dans les colonnes du journal L’Indépendant, a dégainé le premier. De manière subtile contre le président de la République, auquel il semble reprocher un manque d’objectivité et d’impartialité.
A l’en croire, dans la querelle latente qui oppose le Directeur général à son Ministre de tutelle, Amadou Toumani Touré n’a écouté qu’une seule partie, pour laquelle il a pris partie. De fait, à l’analyse des propos d’ATT, Niamé Kéïta aurait sa responsabilité engagée dans certains actes d’indiscipline posés par des policiers et dans la tragédie du stade Modibo Kéïta. Le «présumé coupable» n’a eu pour recours que de s’attaquer directement à celui qui, selon lui, a «désinformé» le président sur des actes dont la réalité est connue de tous. A en croire l’ex-flic N°1, l’indiscipline caractérisée au sein des forces de sécurité est due notamment aux faits que le Ministre Gassama se refuse à toute prise de sanction ou d’application de sanction à l’encontre des fautifs. Il reconnaît avoir fait lui-même acte d’insubordination en refusant de lever des sanctions, comme le lui demandait son chef.
L’officier militaire n’aime pas l’Officier de police
Mais paradoxalement, ce n’est pas le Ministre lui-même qui a signé la lettre de réponse à Niamé Kéïta, mais un autre officier supérieur de l’armée, du nom de Nouhoum Dabitao, Commissaire-lieutenant-colonel. N’a-t-il fait que signer une lettre en réalité écrite ou dictée par le Ministre Gassama, comme le croient certains ? A-t-il pris de sa propre initiative de «briser le devoir de réserve» auquel sont soumis certains corps ? Dans les deux cas, ce lieutenant-colonel n’a rien à gagner, à part jeter de l’huile sur le feu, envenimer une situation déjà pourrie, opposer deux camps qui ne filent pas le parfait amour. Pour sa part, le Commissaire des armées Dabitao ne semble pas porter la police dans son cœur.
Pour lui, Niamé Kéita n’est qu’un «sac à dos, un commandant de circulation routière bis, etc». Autrement dit, l’ex-Directeur général de la police n’est que quelqu’un qui a gravi pas-à-pas les échelons pour mériter ses galons, sans aller perdre son temps dans des écoles et académies militaires où les Maliens brillent très peu. L’officier militaire n’aime pas l’officier de police qui refuse le confort douillet d’un bureau climatisé pour monter au créneau, aller au charbon, se montrer au carrefour, régler souvent au besoin lui-même la circulation. Bref, le Commissaire-lieutenant-colonel n’aime pas les officiers de police qui font correctement le travail pour lequel on les paye, qui mettent du cœur à l’ouvrage, qui sont les seuls à mériter véritablement le «droit à la considération et à la reconnaissance de la Nation». Il préfère, et de loin, ces militaires qui ont terni l’image de la police par leur passage à la tête de cette institution. Il préfère un Tiécoro Bagayoko qui a fait de la police un instrument de dictature, de répression, de sauvagerie et de barbarie, un épouvantail dont le peuple malien tout entier a fêté la chute un certain 28 février 1978.
Mais, personne ne dénie à l’officier Dabitao d’avoir ses préférences, même si elles sont d’un autre temps. C’est un Malien, et nous sommes en démocratie où toutes les préférences sont les bienvenues. Seulement, on se demande de plus en plus si ces soudaines préférences ne trahissent pas d’autres desseins. Qu’est-ce qui se cache derrière ces soudaines sorties spectaculaires offertes au public par des généraux? Pourquoi est-ce maintenant que «la grande muette» retrouve sa langue et occupe le devant de la scène?
Le noyautage de l’Etat par l’armée
Depuis que l’armée a profité de la victoire du peuple pour prendre le pouvoir, en 1991, les militaires ne sont pas véritablement retournés dans leurs casernes. Ils se plaisent à s’occuper de politique, une chose trop sérieuse pour eux, alors qu’ils ont fort à faire sur plusieurs fronts, notamment au Nord où se sont installés en seigneurs les groupes de bandits armés et les cellules terroristes. Pourtant, depuis dix ans, depuis qu’ATT a repris le pouvoir, tous les postes de haute responsabilité et stratégiques du pays sont pris d’assaut et occupés par les militaires. Outre le président de la République qui, en 2002, a refusé de démissionner de l’armée, conformément à la loi, on a eu droit à un chef de Gouvernement officier général, un Ministre de l’administration territoriale officier général, un Ministre de la sécurité intérieure officier général. Il est vrai que le Département le plus indiqué pour un militaire, le Ministère de la Défense, est régulièrement occupé par des civils. Mais là, il n’y a rien à faire, à part se tourner les pouces, pendant que les chefs d’état-major décident à votre place, conformément aux ordres reçus d’ailleurs. Pour parachever le noyautage de l’Etat par l’armée, des officiers supérieurs des forces armées et de sécurité sont imposés à tous les Ministères, où ils jouissent comme dans «leurs casernes» des bureaux climatisés et des grosses cylindrées.
Mais jusque là, tout allait sans heurts. Maintenant, on se demande si le but de toutes ces manœuvres est de préparer une prise de pouvoir qui s’effectuera suite à la débâcle électorale savamment programmée et planifiée, elle-même conséquence d’une mauvaise organisation des élections de 2012. Car, en n’en pas douter, l’entêtement du Gouvernement à voter sur la base du RACE ne pourra déboucher que sur le chaos. Un lit idéal pour l’armée de se coucher sur la démocratie.
Cheick TANDINA