Décidemment, l’heure est grave au sein de l’Armée malienne. Comment justifier qu’environ 44 milliards de francs CFA ont été dégustés à la petite cuillère dans le cadre de la gestion des soldes, sans laisser la moindre trace. Des responsables militaires et non des moindres et leurs complices, risquent gros. Et même très gros. Surtout que les fantassins commencent à découvrir l’existence de deux bulletins de paiement de solde en leur nom.
Au sein de la grande muette, surtout dans le rang des responsables militaires chargés de la gestion des soldes, on ne dort plus que d’un œil. Une seule question blanchit, désormais, les nuits de ces responsables: comment expliquer aux autorités, que les milliards de francs CFA débloqués pour les besoins de la solde des militaires maliens, ont disparu. Sans la moindre trace ?
Bourdonnement dans les garnisons
À en croire nos sources, l’opacité, qui entoure la gestion de la solde des militaires maliens a fait le tour des casernes. En effet, selon une source bien introduite, cette gestion qui jette le froid dans le dos de plus d’un militaire, révèle l’existence de détournements de plusieurs dizaines de milliards en séries dans l’Armée, par le biais de faux bulletins de salaire.
En tout cas, le sergent-chef Goro du 133e Escadron de Reconnaissance de Gao, en recevant son salaire, le 4 Septembre 2017, ne se doutait pas qu’un bulletin différent de celui qu’il avait en main existait dans les arcanes du système informatique de l’Armée Malienne. Il venait de recevoir 199.685 FCFA, nettement plus qu’il n’aurait eu avant les réformes engagées à partir de 2012-2013, visant à rehausser le statut de ceux et celles qui défendent la nation, très souvent au prix de leurs vies– en moyenne, l’Armée perdait un soldat par jour en 2017. Dans sa parution n° 781 du 29 Mai 2020, le journal ‘’Le Sphinx’’ dévoilait l’existence d’une fraude massive sur la paie des militaires maliens. Et que le dossier serait aux mains du procureur Mamoudou Kassogué. Mais il ne croyait pas si bien dire. Il s’agissait d’une opacité hors paire autour de la gestion des fonds de la Loi d’Orientation et de Programmation Militaire (en abrégé, LOPM).
Améliorer la vie des soldats
Avec la LOPM datant de la période de Février 2015 à 2019, la somme de 1230 milliards de francs CFA (1230 563 972 349F CFA) sont mis à la disposition de l’Armée Malienne. Du coup, la LOPM consistait en l’achat d’équipements militaires mais aussi, visait l’augmentation des effectifs de l’Armée ainsi que l’amélioration des conditions de vie des militaires maliens et leur assurer des formations de qualité.
Fonctionnement du système de fraude
Avec la LOPM, on estime que l’effectif de l’Armée Malienne est passé à 20.000 éléments. Mais le nombre exact de militaires déployés ou non est généralement classé secret-défense. Pourtant, ce chiffre, et le grade des militaires déterminent la masse salariale allouée aux ministères en charge de la défense et de la sécurité.
Les malversations de fonds dans le cadre de la LOPM ont fait l’objet de publications multiples, y compris par notre confrère ‘’Le Sphinx’’. Mais ce qui est clair aujourd’hui, c’est que les détournements ne se limitent pas seulement à l’achat d’équipement. Et l’absence de transparence dans la gestion du personnel militaire a eu de graves conséquences sur la transparence autour du budget.
Sur le Tableau 1, on peut voir deux bulletins de paie du sergent-chef Goro – celui qu’il a perçu et l’autre – montrant une différence de 92 400 FCFA du Net à Payer. Le Sergent-chef a perçu 199 585 FCFA, alors que le contribuable malien a dépensé 289 585 FCFA. Il n’a simplement jamais reçu sa prime de fonction de 90 000 FCFA brut. Sa paie de Septembre 2017 n’est malheureusement pas isolée ; pour le mois qui suit (voir Tableau 2), l’escroquerie va un peu plus loin ; le Sergent-chef est promu adjudant le 1er Octobre 2017 ; son salaire reçu le 5 Octobre reflète encore son grade de sergent-chef. Mais dans le system informatique de l’Armée malienne, il est payé au grade d’adjudant, passant ainsi de l‘indice 343 à 350, toujours avec cette prime de 90 000 FCFA, qu’il n’a jamais touché. Le sergent-chef Goro n’est malheureusement pas la seule victime. La double fiche s’étend à d’autres militaires, dans d’autres unités, dans d’autres régions militaires et dans d’autres corps militaires. À l’analyse des bulletins ce sont ceux des militaires de l’armée de terre, l’armée de l’air et la garde nationale. Et cela dure depuis au moins 2017.
Pour arriver là, l’armée communique les informations au Trésor et un bulletin (Bulletin 2) en bonne et due forme est établi. Une fois le montant global des salaires virés, un nouveau bulletin (Bulletin 1) est établi en interne et c’est ce bulletin que le militaire reçoit. La différence entre les deux bulletins s’évapore.
Certainement que l’enquête du procureur Kossogué, lèvera ce voile si le Ministère de la Défense coopère. La seule conclusion qu’on peut tirer est que cette escroquerie a enrichi beaucoup au sein (ou en dehors) de la grande muette.
Pour les aigrefins, la confection du nouveau bulletin est parsemée d’erreurs qui commencent à semer le doute chez les récipiendaires.
Le 11 mars 2019, l’adjudant Keita de la 734e Batterie d’Artillerie d’Abeibara reçoit son bulletin de paie ; son salaire brut et le net à payer sont nettement supérieurs à la normale ; l’addition de la solde et des indemnités et primes 248.800 FCFA – ne correspond au total imprimé de 338.800 FCFA. Une différence de 90.000F. La même différence notée dans les bulletins de Goro.
Il y a aussi des cas de « prime généreuse ». Prenons le cas d’un garde du Groupement Spécial de la Sécurité Présidentielle, l’unité chargée de la protection de la présidence. Le garde, fraîchement recruté, se retrouve avec un salaire brut de 296 646 F, bien plus qu’un adjudant déployé au Nord ou au Centre. En tout 171 946 FCFA de prime, dans la rubrique «Autres Primes ».
Cette prime et la prime « Fonctions » constituent les deux rubriques utilisées dans cette escroquerie savamment orchestrée. D’autres erreurs peuvent être remarquées sur les bulletins perçus – la falsification est effective mais pas parfaite.
Dans le premier exemple ci-contre, on peut remarquer que la date est écrite avec un zéro additionnel. Et sur le deuxième, il y a une erreur constante (et répétée) de placement du cadre autour du « net à payer » – le cadre est toujours décalé sur la droite dans le bulletin falsifié.
Montant de la Fraude
Il ne fait aucun doute qu’une enquête approfondie est nécessaire pour (1) établir le montant du préjudice subi par le contribuable, (2) situer les responsabilités, (3) restaurer la confiance des militaires et du contribuable, et (4) palier au déficit de transparence et de contrôle qui a permis l’éclosion d’une telle situation. Mais il est d’ores et déjà clair que le montant de la fraude dépasse tous les scandales attribués à l’Armée malienne depuis au moins 10 ans.
Selon des estimations, le montant du préjudice est d’au moins 44 milliards et pourrait aller jusqu’à 166 milliards de FCFA, d’ici à Décembre 2020 ; la fourchette est large à cause de l’incertitude sur l’étendue de la fraude.
En moyenne, on peut chiffrer à 92 668 FCFA le montant mensuel de primes qui disparaissent pour chaque militaire, hormis les officiers. De 2017 à ce jour, et sur la base de 10.000 militaires déployés sur le terrain on arrive au chiffre de 44 milliards ; et bien plus si on remonte aux années précédentes. Et si on va du principe que 30% de la masse salariale de 553 milliards de FCFA a alimenté cette fraude (cumulée de 2017 à 2020), on arrive au chiffre extraordinaire de 166 milliards.
Dans un rapport paru en 2019, Transparency International disait ceci sur l’Armée Malienne : « la mise en place de systèmes de paiement électroniques devrait réduire considérablement les possibilités de détournement des primes ou d’écrémage des salaires. Les ministères compétents pourront également collaborer avec les forces de défense et de sécurité pour veiller à ce que des critères objectifs soient systématiquement appliqués dans tous les processus de recrutement et de promotion ».
Le 3 Juin 2020, la DIRPA a tenu un point de presse annonçant que le processus de bancarisation des salaires était en cours. Selon son Directeur, le colonel-major Diarran Koné, l’immense majorité des militaires était favorable à la bancarisation ; les freins, selon lui, sont l’absence ou l’inadéquation de la couverture bancaire dans les zones de déploiement et un certain degré d’illettrisme du personnel. La question des faux bulletins n’était pas à l’ordre du jour.
Pas de développement sans justice et pas de justice sans sécurité. Et une sécurité nationale repose sur une armée apte et bien équipée. Mais au sein de l’Armée Malienne, des responsables militaires, sans foi ni scrupule, se leurrent du malheur du peuple en procédant à des surfacturations, des détournements et aux doubles paiements de factures. Sans discontinuer. Même les primes et les frais d’évacuation des soldats sur le théâtre des opérations prennent des destinations inconnues.
Comme on le voit, le compte à rebours vient, à peine de commencer. Mais au moment où, les responsables militaires de cette gestion au sein de l’Armée malienne doivent s’expliquer sur leur gestion, on se crêpe le chignon dans un « gros français ». Qui ferait pâlir « Victor Idiot » de jalousie.
En attendant, c’est le sauve-qui-peut, général, au sein de la troupe malienne. Est-ce à dire que le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants va-t-il coopérer pour que la justice face son travail ? Seul le temps, nous en dira de plus.
Cyrille Coulibaly
SEIGNEUR
∁0ℳ𝒫ℒ0∁∁I𝓓€ℕŦ𝔄UX ?
VU, LU….!!
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