La crise que connait notre pays interpelle tous ses fils et filles. Plus que jamais, le dialogue et le débat contradictoire doivent prendre le dessus sur la démagogie et les accusations ‘’accusatrices’’. La contribution des universitaires et autres acteurs de la science s’avère indispensable pour la pertinence du débat national. Du choc des idées faire jaillir l’étincelle de vérité qui construira la nation malienne : telle est la dynamique dans laquelle s’est lancé votre journal dans le cadre de la recherche de solutions à cette crise politico-sécuritaire. Cette semaine, nous avons approché le Pr Abdoulaye Diarra et vice recteur de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako. Sans détours, l’homme nous livre ses impressions et ouvre des perspectives de solutions. Un entretien à lire absolument…
‘’Crise du nord et responsabilités des dirigeants politiques : impressions et rappels historiques’’…
Le meilleur moyen de prévoir l’avenir est l’étude du passé. Pour une compréhension réelle de ce que nous vivons dans notre patrie, il est souvent nécessaire de faire l’historique. Nous n’allons pas recommencer l’histoire depuis la colonisation, mais il est nécessaire de dire que la première république du Mali a géré la crise au Nord avec fermeté, patriotisme en privilégiant l’intérêt national. Les dirigeants de la première république, dès notre indépendance, ont avec beaucoup de patriotisme reconnu l’intérêt national en luttant contre les envahisseurs. Nous leur devons donc une reconnaissance toujours renouvelé car ils sont parvenus à faire face au colonialisme et juste après, ils ont réussi à combattre l’ennemie. La 2ème république aussi traita la crise du nord de façon patriotique même s’il faut signaler qu’il n’a pas été facile de citer les accords d’Alger, de Tamarasheq…
La crise du Nord de notre temps fait inéluctablement intervenir des facteurs nouveaux, tant sur le plan sous régionale, régionale et internationale mais aussi la mauvaise perception de la situation sous régionale par l’ancien régime. Je voudrais évoquer ici la guerre en Libye, la guerre en Côte d’Ivoire et la guerre de religion du Nigéria et leurs conséquences sur l’ensemble de la sous région. Ça c’est le 1er point. 2ème point, il faut reconnaitre qu’ au lieu d’analyser la dimension de l’intérêt général de la nation par rapport à la crise, le pouvoir en place s’est lancé dans des réformes politiques sans fondements réels et inopportuns. Aussi, la personnalité a supplanté la conception de la véritable vision du peuple Malien. je veux parler aussi du projet de réforme constitutionnelle improvisé, mal conçu et dont la conception a beaucoup couté au peuple Malien et profondément divisé la classe politique et de manière inutile. Comment peut-on comprendre aussi les motivations réelles d’un chef d’Etat qui autorise, sans l’avis du parlement, des militaires lourdement armées à s’installer aisément sur notre territoire. Il s’agit là des combattants aguerris par des dizaines d’années de combats au service d’un pays étranger. Et ce, sans comprendre quelles sont réellement leurs motivations. Ensuite la volonté politique pour ma part non justifiable d’organiser des élections dans un pays occupé, rappeler vous de l’occupation de Ménaka, dès janvier 2012 et le génocide opéré à Aguelhok. Je n’ai personnellement pas compris pourquoi, dans ces conditions on nous entrainait vers des élections dont l’invalidation par la cour constitutionnelle ne souffrait d’aucune contestation. Enfin l’on peut dire que, dans de telles conditions, la transition était prévue parce que jusqu’à janvier-février, le pays manquait de fichier électoral viable et consensuel pour l’ensemble de la classe politique.
Ce sont plus de mille six cent (1600) milliards qui ont été investis au nord pour le développement. Cette énorme somme a t’elle été utilisée de façon conforme ? En tout cas, les narcotrafiquants contrôlent le mouvement financier du nord en complicité avec certaines puissances sous régionale et internationale. La gestion calamiteuse de l’armée pendant des dizaines d’années mérite aussi d’être soulignée. D’ailleurs, un grand homme politique de notre pays n’a pas hésité à parler de trahison de l’armée, qui serait l’une des causes de la défaite de notre armée et de l’occupation des 2/3 de notre patrie. Ainsi des questions se posent sur l’utilisation des budgets de l’armée, pendant plus de 20 ans. En ce qui concernent les ennemis internes qui ont informé et aidé les rebelles en désertant simplement de notre armée, la réflexion sur notre politique d’intégration incontrôlée de certains dans notre armée doit nous interpeller. Car cette mesure continue et continuera à nous couter très cher.
‘’Solutions pour la résolution de la crise du Nord’’…
Lorsqu’une crise aux dimensions multiples éclate comme ça dans un pays comme le notre, il ne saurait avoir une seule solution, mais plutôt plusieurs solutions. Préconiser des solutions à une crise, c’est d’abord tenté de comprendre les ressorts de cette crise, quelles sont ses raisons profondes et qui sont nos envahisseurs. Notre pays est effectivement confronté à la rébellion depuis l’indépendance, nous sommes pratiquement et tragiquement à la 3ème rébellion (1963, 1990-1991 celle de 2012 que nous vivons actuellement). Le Mali depuis janvier 2012 est occupé et les maliens sont outragés et meurtries par les actes et crimes perpétrés contre la nation malienne par des mouvements comme le MNLA, ANCARDINE, AQMI, LA MUJAO et tant d’autres. La multiplicité des groupes aux origines et idéologies différentes ne facilite pas la mise en œuvre d’une stratégie unique. Le choix de notre pays par ces troupes fanatiques, terroristes s’inscrit dans une démarche de longue date ce qui leur a permis de s’organiser et de nous agresser. Mes solutions s’articulent donc autour de quelques points.
1er point : commençons par la particularité du cas de notre pays. Un grand spécialiste en la matière disait récemment qu’au Mali, les différents groupes sont parvenus à initier leurs efforts pour vaincre l’armée, sans que les pays membres de la CEDEAO ne puissent réagir. Effectivement, ce qui revient à mettre l’accent pour ma part sur l’impérieuse nécessité de réarmer notre armée nationale qui a d’ailleurs fait ses preuves partout en Afrique et dans le monde au service de l’ONU et au sein de la CEDEAO. Rien ne pourra être possible dans ce combat sans notre armée nationale. Elle doit être au centre de toute intervention ou opération militaire au Nord. Tel est le premier point sur lequel je souhaiterais attirer l’attention des uns et des autres.
2ème point : la consécration de l’union sacrée au sud avec la formation d’un seul gouvernement de libération est incontournable. L’intérêt national doit être mis au dessus de tout le ciment de l’unité nationale face aux oppresseurs, aux pilleurs et aux criminels qui sont entrain de mener une entreprise sordide de destruction au nord de nos valeurs culturelles. Faisons taire nos divergences politiques. Arrêtons de nous critiquer. Cherchons ce qui nous unir et renforçons notre force face à l’ennemi commun. Les ambitions politiques viendront après la libération du nord. Il faut savoir éviter les pièges tendus par les ennemies du Mali depuis 1963. Rien ne sera possible sans l’union sacrée avant et après la libération de notre pays.
3ème point : la recherche de tous les complices de nos ennemis à travers tout le pays (de Kayes a Kidal) est aussi une stratégie incontournable. Un des spécialistes du renseignement de notre pays et fervent patriote nous à expliquer récemment, dans une interview, comment la connexion entre ses différents mouvements à été opéré sur le territoire Malien. Le même chercheur et spécialiste nous renseigne également que ces tyrans ont infiltré le tissu social Maliens et qu’ils seraient partout sur le territoire malien y compris à Bamako. Cela veut dire que nous devons construire une stratégie de libération nationale en intégrant cette réalité là. Il s’agit en fait de libérer le nord de tous ces éléments, mais également de pacifier tout le reste du pays. Il faudrait donc installer les structures de l’Etat, les sécuriser et les rendre fonctionnelles.
‘’Rôles des institutions africaines et de la communauté internationale dans cette crise’’…
En ce qui concerne le rôle de la communauté internationale, je commencerais d’abord par faire observer que l’occupation de notre pays par le MNLA, ANCARDINE, AQMI, le MUJAO compromet dangereusement la stabilité nationale et sous régionale et menace la paix internationale. Notre pays est membre de l’ONU, de la CEDEAO, de l’UEMOA. Lorsqu’un pays de ces organisations est confronté à des occupants qui violent et pillent ses fondements culturels, c’est l’ensemble de la communauté internationale qui est interpelé et concerné. La crise au nord de notre pays a une dimension internationale certaine de surplus, il y a une urgence effective. Notons que tous les accords et conventions, les traités internationaux et régionaux interdisent la torture, le viol, les séquestrations arbitraires des individus, les crimes de guerre, les génocides…
L’armée Malienne participe activement aux opérations militaires et humanitaires dans toutes les organisations sous régionales et internationales. Par conséquent, toutes ces organisations à savoir l’ONU, l’union Africaine, la CEDEAO, l’UEMOA ont le devoir d’aider notre pays à se libérer de ces occupants. Leur mission est de nous aider à mettre en place les structures et stratégies idoines. Il ne s’agit pas seulement d’une question d’ordre juridique, mais aussi et surtout d’un impératif culturel et moral pour toutes ces organisations pour la libération des régions occupées du Mali et la sauvegarde de sa démocratie et de ses valeurs.
‘’Le gouvernement actuel et les différents actes qu’il a eu à poser depuis sa prise de fonction’’…
Je voudrais placer cette question sous l’accord cadre du 1er Avril dernier. Cet accord entre la CEDEAO et la CNRDRE exige le retour à une vie constitutionnelle normale et la formation d’un gouvernement nationale dirigé par un premier ministre de pleins pouvoirs. L’accord du 6 Avril prévoit lui-même les missions prioritaires de ce gouvernement de pleins pouvoirs à savoir la libération du nord, la préparation des élections libres et transparentes et l’aide humanitaire aux populations du nord. Par conséquent, pour ma part, les grandes lignes de la feuille de route tant revendiquée sont précisées par l’accord cadre. Lorsque ce gouvernement fut mis en place, la grande majorité des maliens a pris acte de sa formation. Je pense que la critique essentielle qu’on peut faire à ce niveau au gouvernement, s’articule autour du non respect de certains aspects de l’accord cadre. Il y a des représentants de la société civile, de la classe politique et surtout des technocrates. Les partenaires bilatéraux et multilatéraux ont, eux aussi, exigé la formation d’un gouvernement d’union nationale. La souveraineté de toutes initiatives internes pour la libération du nord est salutaire
‘’La classe politique, la société civile, les institutions de la république… depuis le coup d’état du 22 mars’’…
Par rapport au coup d’Etat du 22 mars, l’article 123 alinéa 3 de notre constitution de 1992 stipule que tout coup d’Etat ou putsch est un crime contre le peuple Malien. J’ai personnellement condamné à plusieurs reprises le coup d’Etat dans mes écrits et dans les conférences. Le coup d’Etat, par contre, est intervenu dans un contexte de crise et de blocage systémique quant au fonctionnement régulier de l’Eta t et des institutions relatives à la tenue des élections générales. Ensuite dès janvier, Menaka est occupé sans oublier le génocide d’Aguelhok. Les reformes politiques inopportunes et inutiles ont divisé la classe politique de notre pays. L’Etat lui-même était entrain de réfléchir sur l’éventualité d’une transition politique faute de fichier électorale et la difficulté d’organiser des élections libres et transparentes. Bien entendu le coup d’Etat a apporté un coup sérieux au fonctionnement des institutions qui furent dans un premier temps suspendues et dans un second temps rétablies suite à l’accord cadre. Une institution telle qu’elle soit, qu’elle soit politique, juridique, sociale ou culturelle ne peut fonctionner à plein régime pendant une crise politique. Ainsi le fonctionnement régulier des institutions dans ce contexte de crise ne fut pas sans conséquence sur la classe politique divisée, fragilisée et dominée, il faut le dire, par la recherche des intérêts personnels. Il faut que nous unissions nos forces et nos intelligences pour vaincre l’ennemi commun et les occupants de notre territoire. La solution de sortie de crise se situe à ce niveau là.
‘’La situation actuelle du Mali sur les plans politique, économique, social, culturel et démocratique’’…
Nous vivons une situation politique, économique, sociale, culturelle et démocratique extrêmement difficile. La crise que nous traversons aujourd’hui se situe à 5 niveaux interdépendants. Sur le plan politique, la transition fonctionne dans un climat marqué par des divergences politiques. L’intérêt général doit prévaloir et permettre d’arriver à un consensus national. Sur le plan économique, les sanctions de la CEDEAO dès le coup d’Etat a porté un sérieux coup à notre économie. Tous les partenaires techniques et financiers ont rompu les contacts avec le Mali. La banque mondiale et l’union Européenne en font partie. Sur le plan socioculturel, les envahisseurs sont entrain de détruire nos valeurs culturelles et sociétales…lesquels comportements représentent des crimes de guerre.
‘’Impressions sur le journal ‘’Le Flambeau’’ qui est aujourd’hui à son centième numéro…’’
Je lis pratiquement chaque semaine Le Flambeau et je suis abonné. Je dirais tout simplement que la création d’un journal par les étudiants est un acte de portée patriotique considérable. Le Flambeau contribue aujourd’hui au développement du pluralisme démocratique dans notre pays. Je voudrais rendre hommage à cette volonté rigoureuse de consolider la démocratie et la liberté de la presse. Placé au cœur de nos universités, le Flambeau permettra très certainement de faire connaitre au peuple Malien les fondements de nos universités, les fonctionnements des départements d’enseignement et de recherches, les filières mais aussi les difficultés auxquelles nos jeunes universitaires sont confrontés. Je souhaite aux responsables de ‘’Le Flambeau’’ beaucoup de courage et bonne chance dans leurs entreprises.
‘’Un message au peuple malien’’…
Le seul message que je voudrais adresser au peuple de notre nation, c’est un vibrant appel à l’union sacrée et à la formation d’un seul front de libération nationale. Pour évoquer un grand libérateur occidental qui disait par rapport à son pays, je dirai ceci : le Mali est occupé, colonisé, meurtri… mais je suis convaincu que demain le Mali sera libéré.
Portrait du Professeur Abdoulaye Diarra
Universitaire à la valeur reconnue, passionné par le Droit et les sciences politiques et fervent patriote dévoué pour la cause de sa patrie, le Professeur Diarra Abdoulaye est actuellement le vice recteur de l’université des sciences juridiques et politiques de Bamako. Il occupe cette fonction depuis Août 2011. Rigueur, travail, discipline, disponibilité, sociabilité, dévouement, patriotisme et savoir- faire sont entre autres valeurs qui ont facilité le retour à l’enseignement de l’homme, après tant d’années de service dans l’administration, et continuent de lui valoir le respect de ses collaborateurs et l’estime des étudiants.
De 1994 à 2008, il était en fonction à la cour constitutionnelle du Mali. Il a été conseiller diplomatique du ministre des affaires étrangères et des maliens de l’extérieur de 1992 à 1994. Il a également été Directeur National des Affaires Politiques, Juridiques et Consulaires au ministère des affaires étrangères et des Maliens de l’extérieur. Le professeur Diarra est détenteur d’un doctorat de 3ème cycle de l’université de Paris X Nanterre en études politiques. Il a également obtenu un doctorat d’Etat en science politique toujours dans la même université en 1989. Il a été nommé professeur d’enseignement supérieur suivant le décret N°93-228/P-RM du 5 juillet 1993. Après de nobles services rendus à l’enseignement supérieur, l’homme a été nommé professeur de classe exceptionnelle suivant l’arrêté N°07-0091/MEN-SG du 19/01/2007 portant avancement de grade. Il a enseigné à l’école nationale d’administration (ENA) de 1984 à 1991. Il a, par ailleurs, participé à plusieurs activités et projets. Il a participé à la présentation de l’avant projet de la constitution de la IIIème république en 1991. Il fut membre du secrétariat technique de pilotage des élections municipales, législatives et présidentielles du Mali et Expert auprès de l’organisation intergouvernementale de la Francophonie (OIF) en matière électorale. Il a participé à la conférence internationale sur les élections au Sénégal. Le professeur Abdoulaye Diarra a apporté son expertise en matière électorale à plusieurs pays africains. Il s’agit : du Conga Brazzaville en octobre 2001, le Gabon et le Benin en Décembre 2001, le Rwanda en 2003, le Burundi, le Burkina Faso, Haïti, la République centrafricaine, les Iles Comores…
Sur le plan de la recherche, il a participé au comité des correspondants permanents de la revue scientifique africaine des libertés académiques. Le professeur a à son actif plusieurs ouvrages, dont « la démocratie et le droit constitutionnel dans les pays francophones d’Afrique noire – le cas du Mali depuis 1960 » un livre de 368 pages paru aux éditions Karthala de paris.
Viola un intelectuel, l’interview est excelent. Merci monsierur
Tres interssant mr le vice recteur. du courage car le pays a besoin de vous
Mr le recteur, tu est trop fort…
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