Dans la nuit du 3 au 4 décembre derniers, le juge d’instruction en charge du dossier dit ’’affaire des bérets rouges’’ a fait procéder à l’exhumation de 21 corps d’une fosse commune à Diago, localité connue pour son usine d’embouteillage d’eau minérale, située à une dizaine de km de Kati. Deux semaines après, quelle est la situation à Diago ? Et le charnier ? Comment les populations ont-elles vécu ce drame ? Notre reporter est allé faire le constat à Diago, sur les lieux du crime. Aujourd’hui encore dans cette localité, il règne un climat de méfiance et de peur. Malgré tout, L’Aube a pu recueillir sur place des témoignages. Reportage.
Diago est sur la route nationale Bamako-Kita, à moins de 10 km du poste de pesage de Kati. Arrivés aux environs de 9 heures et demi, le vendredi dernier, dans le village, nous ne tardons pas à comprendre la réticence des populations. Elles ne veulent nullement évoquer la découverte du charnier, encore moins l’exécution sommaire de soldats. Premier interlocuteur, un vendeur de carburant. Celui-ci pensait d’abord à faire à un client. Il fait montre d’une grande sympathie, avant d’afficher une mine serrée quand il su les raisons de notre présence à Diago. Sans ménagement, il nous conseille de continuer notre chemin. Devant une boutique, située à quelques 700 mètres du vendeur d’essence, un groupe de jeunes échange autour du thé. Là aussi, l’on nous donne une indication un peu plus précise sur l’endroit du charnier. Finalement, c’est un autre groupe, cette fois-ci des vieux, qui indique la mairie de la commune. Sur place, il est probable d’avoir des informations sur le charnier, affirment-ils. « Sinon vous passerez la journée à tourner ici, personne ne vous montrera l’endroit. L’on ne veut pas être mêlé à cette histoire dont nous ignorons la suite» précise un sexagénaire. En somme, la découverte du charnier fait toujours régner à Diago un climat de terreur et de méfiance. Comme si un message avait été passé à cet effet. Tous les villageois abordent avec une grande réserve le sujet, surtout devant des étrangers. Comme indiqué par les vieux, nous nous rendons à la mairie de la commune rurale de Diago. Le maire étant absent, un de ses adjoints, Zan Diarra, nous donne des précisions sur l’emplacement du charnier. Cependant, il prévient que le lieu a été placé sous bonne garde des gendarmes. Ces derniers, au dire de Zan, n’ont laissé aucun journaliste s’approcher de la fosse commune. Pourquoi ? Le maire l’ignore et précise que les autorités communales n’ont pas été impliquées, de quelque manière que ce soit, dans la procédure d’exhumation des 21 corps.
La fosse commune est refermée…
Qu’à cela ne tienne, cap sur le lieu du charnier, situé non loin de l’usine de cimenterie, soit à quelques 2 km de la mairie. Pour retrouver l’endroit, il fallait encore se renseigner. On s’adresse à des hommes, regroupés sous le hangar d’un vendeur, qui après quelques secondes de silence et de murmure prennent le « risque » de parler. Il fallait abandonner la route goudronnée et s’enfoncer dans les hautes herbes jaunâtres, « tout en observant toujours à gauche » disent-ils d’une voix à peine audible. Finalement, c’est une dame d’un hameau qui nous montre de loin l’arbre sous lequel étaient enterrés les 21 corps. Sur place, la première remarque est que les gendarmes ne sont plus là, et la fosse commune est refermée. Mais les traces fraîches des travaux effectués sont toujours visibles, bien que les enquêteurs aient essayé de les dissimiler en couvrant la surface de pailles et d’herbes sèches. Le charnier est dans un champ à moins de 50 mètres de la voie ferrée. La zone, selon nos informations, s’appelle Dièni. Des minutes durant, nous contemplons le site sous le regard curieux de quelques passants, parmi lesquels un homme daigna nous approcher. Cet homme, B Coulibaly, affirme avoir remarqué, il y a plus de quatre mois, l’étrange fosse. Mais, dit-il, « je croyais qu’il s’agissait peut être d’un trou creusé par le propriétaire du champ pour ses propres besoins. C’est pourquoi, je n’y avais pas accordé une attention particulière ». Notre interlocuteur poursuit : « quand j’ai appris qu’il y avait des corps humains enterrés là. Je n’en revenais pas. Et jusqu’ici j’ai du mal à comprendre, comment et surtout pourquoi des militaires ont pu commettre de telles atrocités sur leurs frères» s’indigne-t-il.
Après cet échange et après avoir pris des photos, nous sommes retournés sur nos pas…
« Ils ont souillé notre terre »
Revenu à la mairie, nous avons rencontré le maire Souleymane Coulibaly qui, tout comme de nombreux habitants, n’a pas souhaité se prononcer sur le sujet, au motif que nous n’étions pas munis d’ordre de mission et d’une autorisation expresse de la gendarmerie. Après la mairie, nous tentons d’en savoir plus auprès des populations. Deux jeunes du village affichent leur disponibilité. L’un d’entre eux, Y C, déclare avoir su l’existence du charnier par voie de presse. Cependant, il se dit consterner par cette affaire qui s’est déroulée chez eux. Aussi, il s’interroge à présent sur les motivations des auteurs de ces crimes à choisir Diago pour enfouir des cadavres. « Les auteurs de ce crime ont souillé nos terres » dit-il avant d’indiquer que les habitants sont terrorisés depuis la découverte du charnier.
L’autre, S T, ajoute qu’il habite dans un hameau, non loin du charnier. Cependant, S T affirme n’avoir pas entendu parler du charnier. « Certes, j’ai appris que des bérets rouges et verts s’étaient affrontés à Bamako, mais je n’imaginais pas que le différend avait atteint ce niveau. Mais je crois qu’il aurait dû amener les corps loin des habitations».
Rien n’a filtré du côté du chef de village, Soma Coulibaly qui avait du mal à comprendre le sens de notre reportage. Le vieux aurait des problèmes d’audition, dit-on dans son entourage. Après cette dernière rencontre, nous avons quitté Diago…
Laissant sur place des populations martyrisées qui ne comprennent pas à présent ce qui leur est arrivé. Aujourd’hui, Diago ressemble à un village fantoche dont les populations vivent dans la peur et la hantise.
Issa B Dembélé
(L’Aube 580 du lundi 23 décembre 2013)